Raisonner l'épillonnage de la vigne en fonction des conditions de l'année
La suppression des entrecœurs était une technique bien installée dans certains vignobles, pour gagner en qualité. L'évolution du climat change la donne.
La suppression des entrecœurs était une technique bien installée dans certains vignobles, pour gagner en qualité. L'évolution du climat change la donne.
En appellation crozes-hermitage, c’est presque une tradition. Vers la fin du printemps, des armadas de saisonniers passent dans les vignes pour supprimer les entrecœurs, ou rameaux secondaires, ayant poussé au niveau de la zone des grappes. Les vignerons du nord de la vallée du Rhône appellent cela l’épillonnage. La cave coopérative drômoise de Clairmont, à Beaumont-Monteux, en a fait son levier de montée en gamme dans les années 2000. Des expérimentations menées à l’époque avec la chambre d’agriculture sur les syrahs montraient clairement un meilleur état sanitaire et davantage de polyphénols.
Mais les vignerons en reviennent doucement, à la faveur du réchauffement global. « On se rend compte qu’en année sèche, sur des vignes peu vigoureuses, l’intérêt est très limité », rapporte Frédéric Borja, président de la cave de Clairmont. Sur blanc également, le besoin de garder de la fraîcheur amène de plus en plus à laisser les grappes à l’ombre. « Mais il ne faut pas enterrer la pratique pour autant : en 2021, par exemple, nous avons bien fait d’épillonner, sinon ça aurait été difficile d’avoir de beaux raisins », nuance le président. Alors certains adaptent leurs pratiques pour trouver un compromis. À l’instar de Florent Martinelli, l’un des coopérateurs, qui ajuste selon les conditions météo de l’année.
Une pratique davantage intéressante sur les millésimes difficiles
« Quand il fait sec ou trop chaud, nous n’intervenons que sur le côté levant ou sur la face nord », témoigne-t-il. Frédéric Borja, quant à lui, effeuillait auparavant les deux faces pour aider à l’épillonnage. À présent, il ne passe que du côté du soleil levant, et avise ensuite en ce qui concerne la suppression des entrecœurs. « Avant je faisais les deux faces de façon systématique. Mais je faisais aussi sept rognages par saison, alors qu’en 2019 je n’ai eu à passer que trois fois : la sécheresse enlève la vigueur », estime-t-il. Le président mentionne également que l’épillonnage était important à une époque parce que les vendanges étaient tardives, et que le maintient d’une récolte saine était plus délicat que maintenant où la maturation arrive en conditions plus sèches.
Si la pertinence de cette pratique diminue en crozes-hermitage, il se pourrait qu’elle gagne en intérêt dans d’autres vignobles. Lorsque nous nous sommes penchés sur le sujet il y a quelques années (Réussir Vigne n° 229, mai 2016), Marie Thibault, technicienne à la Sicavac de Sancerre, avait expliqué avoir réalisé des essais dont les résultats n’étaient pas probants. Malgré un meilleur état sanitaire, acidité et sucre faisaient défaut. « Dans notre région les entrecœurs ont peut-être un rôle de photosynthèse en fin de saison », avait-elle annoncé. Maintenant que les maturités ont tendance à être plus facilement atteintes, peut-être que l’épillonnage aurait un effet bénéfique. Il serait intéressant de relancer pour cela des expérimentations, dans ce nouveau contexte de changement climatique. Il semblerait d’ailleurs que la pratique se soit exportée en dehors de la vallée du Rhône et qu’elle ait fait des adeptes dans le Sud-Ouest puisque le négociant Palois Lionel Osmin & Cie en fait la promotion sur son site internet…
avis d'expert
Un intérêt dans des cas très particuliers
« On observe également cette pratique en vallée du Rhône méridionale, mais c’est peu courant car chronophage. Cela se fait d’ailleurs de moins en moins. Epillonner n’est pas forcément favorable en année chaude, où l’on a de plus en plus besoin de garder un microclimat plus frais. La technique est à raisonner différemment maintenant, en fonction du climat, mais aussi des charges de l’entreprise. L’épillonnage peut être intéressant, par ailleurs, dans des cas très particuliers de vignes très peu vigoureuses où l’on veut favoriser la mise en réserve dans le rameau que l’on gardera à la taille. J’ai un exemple cette année dans le Vaucluse d’une vigne récupérée par un client dans un piteux état. Nous faisons cela couplé à l’ébourgeonnage, non pas dans un but qualitatif mais pour reconcentrer l’énergie là où la vigne en a besoin. »
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