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Jouer pour s’approprier de nouveaux itinéraires techniques viticoles

Entre la théorie et la mise en pratique d’itinéraires plus vertueux, il y a souvent un grand pas que de nouveaux outils pédagogiques baptisés jeux sérieux cherchent à réduire. L’ESA d’Angers a conçu Vitipoly, un jeu de ce type spécifiquement dédié à la viticulture, et se prépare à le diffuser plus largement.

Mieux appréhender l'impact environnemental des itinéraires techniques viticoles est ce que l'on peut gagner en jouant à Vitipoly. Ce jeu très sérieux dure pas moins de 4h30. Un nombre de 4 ou 5 participants permet à chacun de s'impliquer.  © ESA (capture écran)
Mieux appréhender l'impact environnemental des itinéraires techniques viticoles est ce que l'on peut gagner en jouant à Vitipoly. Ce jeu très sérieux dure pas moins de 4h30. Un nombre de 4 ou 5 participants permet à chacun de s'impliquer.
© ESA (capture écran)

Dans le jeu Vitipoly mis au point par l'unité de recherche Grappe (École supérieure d’agricultures (ESA) d’Angers et Inrae), il n’y a rien à gagner mais beaucoup à comprendre ! Si, à l’image d’un jeu de société, il dispose d’un plateau, de fiches et de cartes, sa conception émane d’une démarche scientifique. « Dans l’idée d’un jeu, ce n’est pas le côté ludique qui est visé mais le fait de représenter les opérations techniques et de disposer d'objets à manipuler pour matérialiser visuellement les choix », souligne Christel Renaud-Gentié, enseignante-chercheuse à l’ESA, qui coordonne la création du jeu. L’objectif de Vitipoly est de « sensibiliser les viticulteurs aux impacts environnementaux de la gestion des vignobles et de développer leurs compétences en écocoception viticole », définit Christel Renaud-Gentié.

Le contenu du jeu est basé sur des cas concrets.

L’équipe a constitué le jeu à partir de cas concrets dont elle a collecté les données techniques. Il s’agit de 8 itinéraires techniques sélectionnés en Val de Loire, correspondant à différents types de sols, objectifs et modes de productions. Les joueurs doivent améliorer la performance environnementale d’un des cas disponibles dans le jeu. Une fois le cas choisi, ils décident d’une stratégie d’amélioration. Ils construisent ensuite l’itinéraire technique optimisé en fonction de cartes qui détaillent différents choix sur les opérations techniques ou les traitements phytosanitaires. Des cartes météo donnent des prévisions par demi-semaine. « Une carte va par exemple présenter une bineuse à doigts en indiquant la vitesse de travail, la consommation de carburant et les impacts d'un passage », décrit Christel Renaud-Gentié. Pour prendre en compte la notion de budget, un système de jetons limite les choix d’équipements possibles.

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Le jeu comme support d’échange

Si le jeu est conçu pour 4 à 8 personnes, Christel Renaud-Gentié juge que 4 à 5 personnes est le nombre idéal, afin que « chacun soit bien impliqué ». Une partie dure environ 4 h 30. Elle comprend une introduction pour expliquer le jeu et un débriefing pour parler des résultats obtenus. « L’échange entre les viticulteurs apporte beaucoup. Il permet à certains de s’ouvrir à d’autres possibles. » L’effectif peut être un peu plus élevé dans le cas d’étudiants. « Pour les étudiants, le jeu c’est un moyen de récapituler les connaissances », observe Christel Renaud-Gentié.

Des calculs d’impacts grâce à l’ACV

L’impact environnemental des choix est évalué par l’approche de l’Analyse du cycle de vie (ACV). L’ACV est « une méthode d’évaluation environnementale multicritère. Elle consiste à intégrer les aspects environnementaux sur l’ensemble du cycle de vie du produit et donne des résultats sur une grande diversité d’impacts », définit Christel Renaud-Gentié. L’Unité de recherche Grappe (ESA-Inrae) a développé des compétences spécifiques sur les ACV des itinéraires viticoles. Elle a même mis au point l’outil VitLCA pour les calculer. L’évaluation des itinéraires choisis se fait donc au cours du jeu. « Ça permet de voir qu’avec certaines décisions, on peut gagner 30 à 35 % de réduction d’impacts en moyenne, avec juste de la modification de pratiques annuelles », relève la chercheuse. L’animateur du jeu est formé à l’approche ACV afin de l’expliquer, mais aussi de pouvoir interpréter les résultats obtenus. Les tests ont montré la nécessité d’améliorer encore le dispositif sur ce dernier point.

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Une mise au point en plusieurs étapes

Le jeu Vitipoly est né grâce à des ateliers réalisés dans le cadre du projet Eco3Vic et d’une thèse dont le but était d’élaborer des méthodes pour concevoir collectivement des itinéraires techniques viticoles réduisant les impacts environnementaux. Dans cette phase, initiée en 2018, l’équipe a travaillé avec la chambre d’agriculture Pays de Loire, la cave Robert & Marcel ou encore Terra Vitis. Les fiches et cartes longuement développées pour ces ateliers ont été améliorées pour constituer un prototype de jeu qui a été retesté avec des étudiants et soumis à un comité consultatif. Il sera à nouveau testé en fin d’automne avec des viticulteurs avant de lancer l’édition du jeu fin 2021 ou début 2022. L’ESA envisage une formation d’une journée pour le maître de jeu, finançable par les organismes de formation. La boîte de jeu serait vendue à la hauteur de son coût de fabrication. L’intégration d’itinéraires techniques d’autres régions est l’un des projets d’évolution en cours.

Thibaut Henrion, vigneron au domaine de la Treille à Saint-Macaire-du-Bois (49) et membre de Terra Vitis, a fait partie d’un des ateliers ayant donné naissance au jeu.

« On peut visualiser les itinéraires de chacun sous un même format »

« L’intérêt était de créer des itinéraires plus respectueux de l’environnement. On pouvait remettre son itinéraire en question. C’est un temps de réflexion. On marque ce que l’on fait et on voit ce que l’on peut améliorer avec des nouvelles techniques. Le jeu est un support qui ouvre des débats, des échanges entre les vignerons. On peut visualiser les itinéraires de chacun sous un même format, avec le même langage. Et ça c’est très pertinent car sinon chacun a ses images, ses mots pour décrire ce qu’il fait. Là, on comprend tout de suite les impacts. C’est très concret.

Je n’ai pas changé des choses à la suite de cet atelier mais ça m’a poussé à réfléchir sur des évolutions à venir. Ça nous met des idées dans le coin de la tête. J’étais par exemple réfractaire aux robots mais je me suis dit que certains aspects vont les rendre indispensables. »

Quentin Gaufreteau, responsable vignoble chez Robert & Marcel à Saint-Cyr-En-Bourg (49) a participé à l’élaboration du jeu avec des vignerons adhérents de la cave.

« Travailler sur un cas concret favorise les échanges »

« La participation aux ateliers était intéressante pour les vignerons car cet exercice permet de prendre du recul sur les pratiques réalisées durant la campagne. Les faire travailler conjointement sur un cas concret favorise les échanges et permet parfois de déclencher un déclic sur un changement de pratique. C’est un outil intéressant à utiliser avec des groupes d’adhérents sur des thématiques bien précises.

Certaines pratiques courantes comme l’application d’un cuivre au mois d’août pour favoriser l’aoûtement et éviter le mildiou mosaïque sont beaucoup plus questionnées depuis les ateliers. Certains vignerons essayent également de plus combiner les outils pour limiter les passages, donc gagner du temps et du carburant.

L’approche ACV a toutefois été parfois perturbante pour les vignerons sur certaines pratiques qu’ils imaginaient plus vertueuses et qui se sont avérées impactantes sur les résultats. La réalisation d’un traitement au cuivre, par exemple, à un impact plus fort sur l’ACV que l’utilisation d’autres produits de traitement. De même, les engrais minéraux semblaient avoir un impact moindre alors que nous avons plutôt l’habitude de privilégier les engrais organiques qui sont d’origine naturelle.

Il est donc important de toujours prendre du recul par rapport aux résultats car l’ACV ne donne qu’une image partielle de l’impact réel des pratiques sur l’environnement en ne mesurant pas certains effets agronomiques positifs sur le sol et la plante. Par exemple ici, les engrais organiques vont également favoriser le bon fonctionnement du sol, la vie micro-organique, la rétention de l’eau ou encore le stockage du carbone. »

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