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Réduire ses IFT
IFT: « Je suis sorti de l’état d’esprit où il fallait surprotéger la vigne »

Philippe Ducourt, responsable des vignobles Ducourt, a rejoint le réseau ferme Dephy-Est Gironde en 2012. Il a depuis réduit ses IFT de près de 30 %. La dynamique du groupe auquel il appartient a joué pour beaucoup. Pour aller plus loin, il mise sur les cépages résistants.

Philippe Ducourt, responsable des vignobles Ducourt dans l'Entre-deux-mer, a réduit ses IFT de 30% en dix ans en actionnant plusieurs leviers. © J.Gravé
Philippe Ducourt, responsable des vignobles Ducourt dans l'Entre-deux-mer, a réduit ses IFT de 30% en dix ans en actionnant plusieurs leviers.
© J.Gravé

Les vignobles Ducourt, propriété familiale depuis 6 générations, sont l’une des plus grandes entreprises viticoles de la région bordelaise. Ils regroupent 480 hectares de vigne répartis sur 14 châteaux basés principalement dans l’Entre-deux-Mers. « Cela fait longtemps qu’on a engagé une réflexion autour des produits phytosanitaires, introduit Philippe Ducourt, responsable vignobles de la propriété. On était déjà ISO 9001 il y a vingt ans, puis ISO 14 001, agriculture raisonnée, SME de Bordeaux, et maintenant HVE et membre d’un groupe pilote pour la RSE. » Anticiper plutôt que subir les évolutions, un leitmotiv qu’il explique avoir hérité de son père.

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Apprendre à prendre des risques en confrontant ses choix

Pour Philippe Ducourt, outre l’aspect environnemental et sociétal, l’enjeu avec les IFT est aussi et surtout économique. « Si on réduit les phytos, on baisse les prix de revient. Vu la valorisation de nos vins, c’est un point non négligeable », analyse le viticulteur. En 2012, il rejoint le réseau ferme Dephy local, créé deux ans plus tôt. « L’idée de pouvoir partager les expériences avec d’autres producteurs, et d’être accompagné dans ma démarche par des ingénieurs me plaisait », explique-t-il. Pour Aurélie Vincent, ingénieure en charge du réseau ferme Dephy-Est Gironde, ces échanges sont une source de motivation importante. « Je les réunis en présentiel environ 4 fois par an, et en saison, on fait des réunions téléphoniques tous les mardis matin », explique-t-elle. Les thèmes abordés sont choisis par les participants. « La dynamique de groupe est essentielle pour les amener à changer leurs pratiques », observe l’ingénieure.

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Premier chantier, les fongicides

Le premier chantier auquel Philippe Ducourt décide de s’attaquer avec l’aide du réseau est celui des fongicides. « On avait déjà abandonné les CMR depuis quelque temps mais on voulait aller plus loin », expose Philippe Ducourt. Les premiers leviers actionnés sont plutôt d’ordre psychologique. « Grâce aux discussions avec les collègues, je suis sorti de l’état d’esprit où il fallait surprotéger la vigne. Avant je n’acceptais pas une tâche de mildiou. À leurs côtés, j’ai appris à prendre des risques, même si la décision de traiter n’appartient qu’à moi », analyse le viticulteur. Le groupe a l’avantage d’avoir des membres répartis sur une vaste zone couvrant la Gironde du nord au sud. « Ça permet de comparer par rapport à ceux qui sont des secteurs plus précoces, et d’avoir une meilleure analyse du risque encouru s’ils décident d’attendre avant de traiter », complète Aurélie Vincent.

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Stations météo et OAD pour gagner en réactivité

Philippe Ducourt se penche ensuite sur la pulvérisation. Déjà équipé d’un pulvérisateur face par face, il prend contact avec l’IFV pour mener des essais de pulvérisation confinée. Et constate les progrès. « On en a acheté trois il y a cinq ans. Pour traiter les zones où il y a des riverains c’est quand même un vrai plus », observe-t-il. Il fait d’ailleurs de son mieux pour engager le dialogue avec ses voisins sur le sujet. « Il faut désamorcer avant que ça n’explose », observe-t-il. Le responsable vignobles se dote en parallèle de stations météo et de l’outil d’aide à la décision (OAD) Décitrait. « Ça nous permet de gagner en réactivité et ça nous sécurise dans nos prises de décision », note-t-il. Le viticulteur utilise des produits de biocontrôle mais s’avoue mitigé. « Ça ne marche que lorsqu’ils sont utilisés en association avec le cuivre. Pour moi c’est trop tôt pour ne pouvoir compter que là-dessus », affirme-t-il. Sans CMR et avec peu de biocontrôle, Philippe Ducourt reconnaît n’avoir que peu de produits à disposition (voir encadré). « C’est bien d’alterner les matières actives, pour éviter les résistances. C’est sûr que là on grille des cartouches », estime le viticulteur.

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Un îlot de 13 ha de variétés résistantes depuis 2014

En 2014, le viticulteur se tourne vers une piste encore inexplorée dans la région, celle des cépages résistants. « On a demandé conseil auprès de la famille Pugibet, dans l’Hérault, qui en avait déjà pas mal. Et en 2014 on a planté du muscaris, du sauvignac, du souvignier gris et du cabernet jura sur un îlot de 13 ha », développe le Girondin. S’il applique deux traitements à base de soufre et de cuivre par an pour éviter les résistances, le viticulteur se dit bluffé par les résistances de ces variétés aux maladies fongiques. « À l’achat les pieds coûtent deux fois plus chers, mais c’est vite rentabilisé », assure-t-il. Il note toutefois quelques traces de phylloxéra, qu’il faudra surveiller dans les années à venir. « Le problème avec les résistants, c’est plutôt le commerce », soulève-t-il. Pour le moment, ces variétés ne sont pas autorisées en AOC bordeaux. Un vrai frein alors que, selon le vigneron, la typicité de l’appellation est bel et bien respectée. « On les présente à nos clients comme un vin plus bio que le bio, mais les cavistes ne savent pas où le positionner dans le rayon. Certains pensent même que ce sont des OGM. Il y a un vrai travail de pédagogie à faire », juge Philippe Ducourt. Malgré cela, il reste convaincu du potentiel de ces cépages et réfléchit à planter une nouvelle variété résistante rouge, pour remplacer le cabernet jura qui, à cause de son nom, ne sera jamais intégré dans l’AOC.

Le manque de tractoristes expérimentés, un facteur limitant

Enfin, côté désherbage, le viticulteur a scindé son vignoble en deux. Une partie est désherbée chimiquement et l’autre mécaniquement. « Avec 480 ha, c’est très compliqué de tout faire mécaniquement », commente-t-il. Car comme de nombreux producteurs, Philippe Ducourt est confronté à un cruel manque de tractoristes expérimentés. « Ce sont les prestataires qui ont sauvé le vignoble. Nous, on n’a pas la force de frappe suffisante pour agir en temps et en heure », affirme Philippe Ducourt. Un constat que partage Aurélie Vincent, qui affirme que « l’arrêt des herbicides est une préoccupation forte dans le vignoble girondin ». « Le manque de main-d’œuvre est clairement un facteur limitant », martèle l’ingénieure.

Aujourd’hui, les Vignobles Ducourt ont un IFT moyen qui se situe entre 10 et 11. Les plus grands espoirs du viticulteur pour l’avenir reposent désormais sur les cépages résistants. « Il y a de plus en plus de collègues qui me contactent pour voir les vignes et goûter les vins. Je pense que la demande pour ces variétés va bientôt exploser », estime Philippe Ducourt.

comprendre

Des freins psychologiques à lever sur les produits non CMR

Dans le cadre du programme Eco3vic, financé par l’Ademe, Annie Sigwalt et Mohamed Ghali, enseignants-chercheurs en sociologie et en économie à l’ESA d’Angers, se sont intéressés aux freins et leviers à l’adoption de pratiques environnementales en viticulture. « L’idée était de fournir un tableau de bord des pratiques identifiées par les professionnels comme respectueuses de l’environnement et éclairer les partenaires publics sur l’accompagnement à l’innovation environnementale », explique Annie Sigwalt.

70 % des personnes interrogées ne connaissent pas la signification du sigle CMR

Dans leur étude, les chercheurs se sont basés sur un questionnaire soumis à près de 90 viticulteurs et viticultrices du Val de Loire. Sur la question des produits phytosanitaires, les résultats révèlent un fait surprenant : 40,4 % des personnes interrogées ne peuvent citer au moins une lettre du sigle CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), et seuls 29 % connaissent la signification des trois lettres. Pour Annie Sigwalt, cette méconnaissance est liée à la crainte de ne pas avoir assez de choix dans les produits non CMR pour conduire sa stratégie phytosanitaire. « 38,5 % des personnes interrogées expliquent que la liste des produits non CMR est trop restreinte. Elles craignent de devoir déléguer le choix des produits à leur technicien ou technicienne », analyse Annie Sigwalt. Selon la chercheuse, l’arrêt définitif des produits CMR ne peut s’envisager sans de gros efforts de sensibilisation sur les alternatives existantes.

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