Du nouveau pour les friches viticoles
La pression économique et sanitaire renforce encore le sentiment d’urgence à endiguer l’essor des friches viticoles. Un nouveau dispositif législatif se veut plus dissuasif en simplifiant les procédures de sanctions en vigueur pour les zones de lutte obligatoire contre la flavescence dorée. Il devrait s’appliquer dès cet été.
La pression économique et sanitaire renforce encore le sentiment d’urgence à endiguer l’essor des friches viticoles. Un nouveau dispositif législatif se veut plus dissuasif en simplifiant les procédures de sanctions en vigueur pour les zones de lutte obligatoire contre la flavescence dorée. Il devrait s’appliquer dès cet été.

Le manque d’outils et de solutions contraignantes pour empêcher qu’une vigne abandonnée perdure est déploré depuis des années. Mais un texte de loi adopté successivement par l’Assemblée nationale, le 6 mars 2025, et par le Sénat, le 5 juin 2025, ambitionne de donner des moyens d’action plus efficaces. Défendu par la filière, il était dans les tuyaux législatifs depuis 2020. Avec l’accentuation de la crise et l’accumulation des aléas climatiques, l’urgence d’un outil plus dissuasif s’est fait encore plus pressant.
Une mesure orientée sur les vignes en zone de lutte contre la flavescence dorée
Voisiner une friche est vécu comme un facteur de vulnérabilité supplémentaire du fait des conséquences sanitaires et des surcoûts induits en traitements. « Je suis vigneron. Je suis voisin de vignes en friches et je peux attester de l’impact économique sur mon entreprise », témoigne Sébastien Pla, sénateur et vigneron dans les Corbières, rapporteur sur cette proposition de loi. Le texte vise à instaurer « des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées ». Il sera opérationnel dès cet été.
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Il concerne les friches identifiées dans des zones touchées par la flavescence dorée. Une sanction en cas de non-réalisation des mesures de prévention, surveillance et lutte imposées pour les parcelles de vignes plantées était déjà prévue par le point II de l’article L 251-20 du Code rural. Mais ce dispositif était inappliqué et donc non dissuasif tant la peine prévue est lourde et disproportionnée : six mois de prison et 150 000 euros d’amende. « On simplifie un système qui ne fonctionne absolument pas », se félicite Sébastien Pla.
Une sanction graduée pour plus de réactivité
Le nouveau texte a pour effet de rendre plus légère la sanction pour la méconnaissance des mesures de prévention et de lutte définies, en vue de la rendre plus opérationnelle. Elle relève désormais d’une contravention de la cinquième classe, qui correspond à une amende de 1 500 euros pouvant monter jusqu’à 3 000 euros en cas de récidive. Le texte intègre un autre changement. Il crée une nouvelle mesure de police administrative permettant à l’administration d’ordonner « à un propriétaire ou un détenteur de végétaux de procéder à un arrachage dans un délai contraint, après une première mise en demeure », explique le rapport parlementaire sur la proposition de loi. En cas de non-respect de l’injonction dans les délais impartis, alors la sanction délictuelle précédente est mobilisable. Les sanctions sont donc désormais graduées.
« L’importance de ce texte est capitale. Nous avons la conviction que la gradation des mesures qui est proposée permettra d’obtenir des résultats concrets sur le terrain », a considéré Hubert Ott, député à l’origine de la proposition de loi, lors d’une conférence de presse en amont du vote par le Sénat. C’est maintenant aux Sral de s’emparer du dispositif pour permettre une action « en temps réel », comme l’espère le député.
Une prise en charge collégiale de l'arrachage à prévoir dans certains cas
La vitesse de réaction est un point essentiel. « Dès que ça commence à se dégrader, il devient plus difficile de récupérer la parcelle et de trouver un porteur de projet, témoigne Valérie Périn, chargée de mission environnement et territoires à la chambre d’agriculture de Loir-et-Cher. La remise en état peut être un coût problématique. »
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Reste que financer un arrachage est hors de portée pour un exploitant en difficulté. Alors que se passe-t-il dans ce cas ? Le député Hubert Ott assure que les ODG auditionnés en amont de la proposition de loi ont garanti qu’ils se mettraient en relation avec les viticulteurs concernés et qu’une logique d’entraide se mettra en place. « L’arrachage sera fait de façon collégiale pour les situations qui posent difficulté », projette-t-il. À voir sur le terrain comment cette promesse va se concrétiser, notamment pour des grandes surfaces délaissées. « L’avertissement précédera l’amende », rassure de son côté Sébastien Pla.
À la Cnaoc, Raphaël Fattier, directeur, estime que « la réalité est plurielle » quant à l’origine des abandons de parcelles. Autrement dit, que si les raisons économiques sont importantes, elles ne constituent pas la totalité des motifs.
L’identification des friches est à géométrie variable
Mais qui identifie les friches ? Sébastien Pla estime que le travail de veille sanitaire effectué par les Groupements de défense contre les organismes nuisibles (Gdon) et les Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) génère des cartographies. Mais sur le terrain, les moyens peuvent manquer et la remontée jusqu’à l’exploitant ou propriétaire de la parcelle est souvent complexe.
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Depuis la loi du 13 octobre 2014, les Commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDpenaf) doivent procéder tous les cinq ans à un inventaire des parcelles considérées comme des friches, qui pourraient être réhabilitées pour l’exercice d’une activité agricole ou forestière. Ce recensement du ressort des DDT (ou DDTM) n’est pas forcément réalisé. En réalité, d’un bassin à l’autre, selon le degré d’enfrichement, la volonté des acteurs locaux, les motivations et les moyens, l’identification s’organise… ou pas. Les acteurs qui se mobilisent sont aussi variables. Ils peuvent inclure chambres d’agriculture, Gdon, Fredon, fédérations de vignerons, ODG, Sral, Safer... « S’il y a une forte volonté politique localement, les services de l’État réalisent l’inventaire mais sinon, c’est la profession sur le terrain », observe Raphaël Fattier. Il constate qu’il n’y a rien de systématique et aucune méthodologie commune.
Le rapport sénatorial étudiant la proposition de loi note « qu’il n’existe pas de comptage exhaustif des surfaces, forcément mouvantes, laissées en friche ». Il cite une évaluation des surfaces de vignes abandonnées d’environ 2 000 hectares en Gironde et de 1 330 hectares sur les aires d’appellations côtes-du-rhône et côtes-du-rhône-villages. « En termes de parcelles, les chiffres de 700 parcelles dans le Beaujolais, 92 dans les ex-Midi-Pyrénées ou encore 1 939 en ex-Languedoc-Roussillon ont été transmis au rapporteur », relève aussi le rapport.
Raphaël Fattier avance le chiffre de 30 000 hectares de friches viticoles au niveau national en 2024. « Il pourrait atteindre rapidement 40 000 à 50 000 hectares compte tenu de la situation économique », alerte-t-il.
Un élargissement du dispositif attendu
Mais au sein de ces hectares, tous ne relèvent pas de zones concernées par la lutte obligatoire. Si l’impact du voisinage d’une vigne infectée par la flavescence dorée est avéré par plusieurs travaux, notamment menés par l’IFV, le rapport parlementaire pointe qu’il n’existe pas d’étude reconnue pour les autres maladies. Bien des viticulteurs peuvent pourtant en témoigner. « L’arsenal juridique pourrait être utilement complété en prévoyant des mesures de police sanitaire équivalentes pour lutter contre le développement des maladies cryptogamiques. Il convient cependant de démontrer au préalable, de manière scientifique et irréfutable, le lien entre une vigne en friche et la diffusion de ces maladies », postule le document.
Tout en signalant une étude exploratoire menée par l’IFV en 2024 et des essais effectués par certaines chambres d’agriculture, il évoque « une étude de l’IFV en cours d’élaboration, qui cherche à vérifier plus précisément le rôle des friches dans la transmission de ces maladies ». Éric Chantelot, expert national en protection des plantes à l’IFV, confirme que l’IFV n’a pas pour l’instant « d’éléments qui permettent de prouver que la présence d’une friche peut entraîner une recrudescence du mildiou dans la parcelle cultivée voisine ».
À partir de faits constatés dans le vignoble bordelais en 2023, une étude est programmée avec le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Elle sera basée sur l’étude de la sporée dans la vigne en friche et dans une vigne voisine cultivée. Mais cela suppose d’identifier des sites adéquats pour mener l’étude. « À ce stade, la zone de l’étude n’est pas identifiée », précise Éric Chantelot. Peu probable donc qu’il y ait des éléments en 2025.
Attachée à un dispositif qui dépasserait le périmètre de la lutte obligatoire, la Cnaoc rassemble de son côté des éléments déjà existants attestant de l’impact du voisinage d’une friche en termes de nombre de traitements à réaliser, de rendement et de coûts induits, afin de sensibiliser les décideurs. Affaire à suivre.
Définition
Une friche viticole se caractérise par la présence de deux des trois critères suivants :
- Absence de taille ;
- Présence de maladies cryptogamiques ;
- Repousses de vignes ou de plantes ligneuses.
Retour d’expériences à Bordeaux
Devant l’urgence d’agir face à l’enfrichement, deux expérimentations ont été menées dans le vignoble bordelais. Le préfet Étienne Guyot en a dressé un bilan le 17 avril dernier. La première prévoyait le lancement d’une procédure pénale donnant lieu à une transaction pénale de 5 000 euros. Quatre procédures ont été lancées et ont conduit trois exploitants à arracher leurs parcelles.
L’autre dispositif testé a été conçu en partenariat avec les ODG blaye et côtes-de-bourg, en coordination avec la sous-préfète de Blaye. À partir de l’identification de 514 parcelles non cultivées (environ 300 hectares), 106 exploitants ou propriétaires ont reçu un courrier rappelant leurs obligations réglementaires et les informant des dispositifs d’accompagnement existants et suggérant des contacts à joindre. La préfecture de Gironde écrit qu’« un tiers d’entre eux ont répondu au courrier pour régulariser leur situation » et que « suite à ces retours, près de la moitié des parcelles a fait l’objet d’un arrachage volontaire ou est en cours de procédure d’arrachage ». Cet envoi de courrier pourrait inspirer d’autres vignobles.