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[CONDUITE BIO] Observer ses vignes pour anticiper

Nathalie et David Drussé, vignerons à Saint-Nicolas-de-Bourgueil dans l’Indre-et-Loire, ont débuté leur conversion bio en 2015. L’observation des vignes, l’analyse technique et la réflexion sur les itinéraires sont devenues leurs enjeux primordiaux.

Pour Nathalie et David drussé; installés en bio depuis cinq ans, il ne faut pas être utopiste mais prendre le teps de trouver l'itinéraire qui convienne le mieux à son exploitation.
© X.DELBECQUE

Cela fait maintenant cinq ans que Nathalie et David Drussé ont déposé leur dossier de conversion en agriculture biologique, et deux ans que leurs étiquettes arborent le fameux logo vert. Le domaine semble s’être tout à fait adapté à cette nouvelle façon de cultiver. En marchant dans les vignes de l’exploitation, vous ne trouverez pas de sortie incontrôlée de mildiou, ni d’herbes folles. Il faut dire que le bio était une idée qui trottait dans la tête du couple depuis un moment, et qu’ils s’étaient préparés. « Jusqu’en 2010, je suivais un schéma tout à fait conventionnel, où le cavaillon était désherbé chimiquement, explique David Drussé. Mais j’en avais marre de voir mes complants souffrir. Et l’idée de savoir que par une simple erreur de bidon dans le local phyto je pouvais tuer la totalité de mes vignes, ça m’effrayait. » Cette même année, il investit alors dans une paire de lames intercep de chez Boisselet.

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La gestion de l’herbe se corse après plusieurs années sans herbicides

Si les deux premières campagnes se déroulent parfaitement bien, David Drussé apprend vite à ses dépens qu’il a été aidé par l’effet des herbicides, qui ne s’arrête pas du jour au lendemain. En 2013, c’est le coup de massue. « On ne comprend pas pourquoi il y a de l’herbe alors qu’on fait comme d’habitude, se remémore le vigneron. Jusqu’au moment où on se rend compte que c’est parce que les herbicides avaient toujours un petit effet les deux premières années. Et là, on rentre dans le vrai ! » Il essaie de nombreux outils intercep, et achète en 2015 une décavaillonneuse, de la même marque que ses lames. La stratégie qu’il adopte finalement est de passer avec cet outil couplé à des disques jeteurs à la fin de l’hiver, pour étouffer la flore en place mais surtout ramener la terre sur le cavaillon. Dès les premières salissures, il passe un coup de lame et renouvelle à chaque levée d’adventices. En ce qui concerne l’interrang, il est en train de se chercher, tout comme il a dû faire pour le cavaillon. Jusqu’ici il a travaillé intégralement tous les rangs pendant la saison végétative, et fait en sorte que la concurrence soit inexistante. « Mais il faut trouver le bon équilibre agronomique pour ne pas appauvrir complètement le sol », admet le vigneron. En novembre dernier, il a fait une formation avec Matthieu Archambeaud, spécialiste des couverts végétaux et de l’agriculture de conservation. Aussi il a réalisé cet hiver un premier essai de semis avec du trèfle incarnat, du seigle et de la vesce, qu’il a détruit au cover-crop en février. « Il ne faut pas être utopiste, je sais qu’il me faudra du temps pour trouver l’itinéraire qu’il me faut, admet David Drussé. Mais je sens que je suis sur la bonne voie. On commence tout juste à restaurer le sol, je revois des agrégats, des galeries de vers de terre, la texture de mes sols s’améliore. Je n’ai plus de sols boueux comme avant. »

Il y a toujours un pulvérisateur attelé pendant la campagne

Le vigneron a eu en revanche plus de facilité pour s’adapter à la nouvelle stratégie phytosanitaire. « J’ai l’impression d’avoir redécouvert mon métier, dit-il. Avant, en travaillant avec la chimie il me suffisait de passer tous les 14 jours, c’était anémiant. Maintenant j’observe les vignes beaucoup plus et j’analyse. » Pour lui, la protection du vignoble en bio c’est simple. Cela demande juste un investissement en temps et en matériel. Pour ses 21 ha, le vigneron possède trois tracteurs et trois pulvérisateurs. Si bien qu’il a toujours un pulvé d’attelé. Un appareil à panneaux récupérateurs lui permet de passer tôt dans la saison à 75 g/Cu/ha tout en assurant une bonne protection pour le début de campagne. « Le seul secret c’est de traiter avant la pluie quand il y a de la pression mildiou, reconnaît humblement David Drussé. Il faut simplement être bien équipé et être réactif. » Il avertit toutefois : il n’y a plus en bio aucun droit à l’erreur. « En 2018, qui était une année très compliquée, je me suis fait avoir sur mes traitements en juin, raconte le vigneron. J’ai attrapé du rot brun et perdu une bonne partie de la récolte. Il faut l’accepter, c’est une réalité de la viticulture bio. » Pour éviter des situations comme celles-là, il lit scrupuleusement les bulletins techniques tous les huit jours et reste toujours proche de son technicien de la chambre d’agriculture, qu’il a au téléphone régulièrement. « La prise de décision est plus difficile qu’en conventionnel, dit-il. Donc je demande un maximum de conseils. Puis avec l’expérience, on fait ses preuves et on prend plus d’assurance. »

David Drussé a dû s’adapter également à d’autres réalités de l’agriculture biologique. En plus de voir ses coûts d’équipement et de main-d’œuvre grimper, il a vu parallèlement ses rendements baisser.

Passer par une meilleure valorisation devient une étape obligatoire

Des 55 hl/ha qu’il faisait régulièrement avant 2010, il ne lui reste plus qu’en moyenne 35 hl/ha. « Il faut dire que nous avons eu le gel en 2012, 2013, 2016 et 2017, le mildiou en 2018, et que l’esca ne nous aide pas, nuance-t-il. Sans cela nous serions à 45 hl/ha. » David et Nathalie Drussé ont donc machinalement monté les prix. Le tarif de la bouteille a doublé en dix ans, et l’objectif est d’atteindre 8 € TTC prix caveau pour l’entrée de gamme. Le couple reconnaît avoir perdu des clients au passage. Mais ils n’ont guère d’autre choix, et peuvent heureusement s’appuyer sur l’apparition d’une nouvelle clientèle. Du côté de la main-d’œuvre, David et Nathalie Drussé ont décidé cette année de ne plus faire appel qu’à des prestataires. « C’est difficile de trouver des gens pour faire du bon boulot, surtout quand il faut passer enlever les herbes à la pelle dans les vignes, déplore le vigneron. La prestation coûte plus cher en apparence, mais il n’y a pas besoin de former les gars, ils sont efficaces et cela nous apporte beaucoup de sérénité. »

S’il devait résumer ce qu’il a appris lors de sa conversion, David Drussé dirait que la viticulture biologique c’est de l’anticipation. Afin de se faire déborder ni par l’herbe, ni par la maladie. « Pour quelqu’un qui n’a déjà pas le temps de bien gérer son exploitation en conventionnel, c’est foutu d’avance », dit-il. Le vigneron l’assure, il faut être prêt à passer plus de temps dans les vignes, et se mettre davantage à l’écoute de celles-ci. Autrement on tombe dans des impasses techniques. « Puis il faut oublier d’être pointilleux et stressé, s’amuse-t-il. Une fois que l’on a réussi la conversion, c’est très enrichissant. Toutes les années sont différentes et le mode de production bio incite à toujours être dans le questionnement et l’amélioration. »

 

 

Témoignage : Adeline Boulfray, conseillère à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire

Maîtriser la pulvérisation et l’agronomie est le secret de la réussite

« Le domaine Drussé est un bon exemple d’une conversion en bio réussie. La stratégie phytosanitaire est maîtrisée, et les adventices bien gérées : ce sont les deux points fondamentaux pour ne pas se planter. Le premier point de vigilance quand on se lance en bio, c’est d’avoir une bonne qualité de pulvérisation. Bien sûr il faut regarder la maturité des œufs en début de campagne et pouvoir intervenir souvent et rapidement à petite dose, mais ceux qui réussissent le mieux ont souvent un pulvé performant. Ce qui est important aussi c’est d’être davantage agronome. Comprendre la fertilité des sols, le nourrir en installant des couverts hivernaux tout en faisant attention à éliminer la concurrence azotée à partir du stade 5 feuilles étalées. Je vois beaucoup de viticulteurs bio qui ont des rendements honorables avec une très bonne qualité de raisins, même en ce qui concerne l’azote assimilable. Quand le sol fonctionne mieux, les vignes souffrent moins du stress hydrique, et les rendements sont généralement plus linéaires. Les échecs viennent des viticulteurs qui se font avoir par le mildiou ou qui se font gagner par l’herbe. C’est là que les rendements chutent drastiquement et que l’on est plus rentable. »

 

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