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Rosés, cap vers la garde

Fort de son succès, le rosé gagne ses galons de grand vin en s’installant sur le terrain du vin de garde. Rencontre avec deux producteurs de rosés de gastronomie, ayant choisi de travailler la puissance en bouche plutôt que l’aromatique, et de reléguer la couleur au second rang des critères d’importance.

Loin des standards, le rosé de saignée du Château Le Puy présente une couleur soutenue. © J. Gravé
Loin des standards, le rosé de saignée du Château Le Puy présente une couleur soutenue.
© J. Gravé

Sur le plateau rocheux de Saint-Émilion, en Gironde, au Château Le Puy, la recherche de la maturité phénolique pour déclencher les vendanges est une règle d’or. C’est évidemment le cas pour les vins rouges, qui constituent la production majoritaire du domaine, mais aussi pour le rosé de saignée, baptisé cuvée Rose-Marie. « J’aime beaucoup le rosé, mais à l’époque, j’avais du mal à en trouver qui me plaisait », confie Pascal Amoreau, propriétaire du château Le Puy. En 2007, il décide alors de faire un rosé à partir d’une cuve de cabernet sauvignon, pour sa consommation personnelle et celle de son entourage. Il le vinifie dans une barrique bordelaise. « Mais il n’y avait aucune acidité, c’était imbuvable », s’amuse Pascal Amoreau. Après un second essai non concluant à partir 50 % de cabernet sauvignon et 50 % de merlot, il finit par trouver la bonne formule lors du millésime 2010. « C’est un rosé de saignée 100 % merlot issu de terroir calcaire, le seul à nous garantir des acidités totales autour de 3,8 g/l. »

Pas de différences significatives entre pressurage direct et saignée

Avec Steven Hewison, directeur technique du Château Le Puy et beau-frère de Pascal Amoreau, ils essayent d’élaborer leur rosé à partir d’un pressurage direct. « Mais ça n’apportait rien de plus et rien de moins. L’avantage de la saignée est que cela nous permet de sélectionner les jus sur deux ou trois parcelles, pas toujours les mêmes selon les millésimes », rapporte l’œnologue. En moyenne, ils écoulent le raisin après 6h d’encuvage, mais constatent que cette durée à tendance à diminuer alors que les millésimes se veulent de plus en plus solaires. Pascal Amoreau et Steven Hewison travaillent leur rosé comme ils travaillent leurs rouges. Les vins sont entonnés dans des barriques de quatre ou cinq vins, et fermentent environ trois semaines. L’objectif des deux hommes est d’apporter au vin de la sucrosité et de la puissance, mais pas de notes boisées. Après soutirage, le vin reste six à dix mois en barrique. « Le point de vigilance, c’est la volatile. Sur un rosé, ça ne pardonne pas », remarque Steven Hewison. Comme les vins fermentent grâce aux levures indigènes, ils veillent à ce que la totalité des sucres soient consommés et que la malo soit faite. « Mais désormais elle se fait en même temps que la fermentation alcoolique », observe Steven Hewison. Les deux vignerons ne jugent pas le bois indispensable pour faire un rosé de garde, mais ils estiment que cela permet à leur vin d’évoluer et n’envisagent pas de s’en passer, sauf peut-être au profit des amphores. « On n’ajoute rien dans nos vins, on ne cherche surtout pas les arômes fermentaires mais plutôt des arômes tertiaires, davantage pérennes. Donc pour ça il faut impérativement des interactions entre le vin et l’oxygène », indique Steven Hewison. Malgré son TAV de 15 % vol., le rosé du Château Le Puy dénote par son côté désaltérant et ses arômes… de raisin. « Preuve que c’est une question d’équilibre », glisse Pascal Amoreau.

Un rosé de garde n’est pas forcément élaboré dans un contenant en bois

Pour Julien Castell, vigneron au domaine Castell-Reynoard près de Bandol, dans le Var, la notion d’équilibre est également fondamentale. « Cet équilibre doit être obtenu naturellement, en travaillant correctement la vigne, sinon il ne durera pas dans le temps », averti le vigneron. Pour lui, comme pour les blancs ou les rouges, pour faire des grands rosés, il faut de grands terroirs. « Je construis l’identité de mes rosés en pensant que ce ne seront pas des vins d’apéritif mais des vins qui doivent se marier avec un plat », commente le vigneron. Certains cépages s’y prêtent plus que d’autres. « J’utilise le mourvèdre en cépage dominant, car il confère aux vins une grande puissance aromatique, et grenache noir et cinsault en cépages minoritaires », précise Julien Castell. Comme ses confrères bordelais, il insiste sur l’importance de récolter à maturité phénolique. « L’acidité est primordiale car sans tension, le vin va vite s’essouffler. Mais il faut aussi qu’il y ait du volume, de la complexité et un peu d’amertume, une saveur intéressante quand on cherche un accord met et vin », poursuit le viticulteur. Il travaille donc sa vigne de sorte à éviter les blocages de maturité, « fatals si on veut conserver de l’acidité ». Installé dans une région très ensoleillée, il n’effeuille pas afin que ses grappes mûrissent à l’ombre des feuilles. Sur les deux rosés que produit le domaine, tous deux orientés gastronomie, Cœur de vigne est vinifiée et élevée en cuve tandis que For my dad est vinifiée et élevée en barrique. « Le bois apporte indéniablement de la complexité, de la puissance », pointe le vigneron qui utilise aussi des barriques de plusieurs vins. Il remarque que les vins peuvent développer un caractère oxydatif en cuve, pas en barrique. « Cela me permet d’éviter de sulfiter jusqu’à la mise en bouteilles », commente Julien Castell. En vinification, il évite de fermenter à températures trop basses, soit entre 16 et 18 °C, car elles favorisent les arômes fermentaires. « Il n’est cependant pas souhaitable de dépasser 22°C si on veut conserver de la fraîcheur », observe-t-il. Les deux cuvées sont généralement mises en bouteilles après 12 à 13 mois d’élevage. « Je commercialise actuellement le 2016, et j’ai du 2012 en magnum qui n’a pas bougé », se félicite Julien Castell. Bien sûr ces méthodes d’élaboration et ces immobilisations pendant l’élevage ont un coût, qui se répercute irrémédiablement sur le prix de la bouteille. Ces vins de garde, aussi appelés vin de gastronomie, sont donc plutôt à positionner sur le créneau de la grande restauration.

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Les sommeliers, un rôle indispensable de prescripteurs

Les rosés de garde dénotent par leurs couleurs relativement soutenues, ce qui peut rapidement déconcerter. « Dans l’esprit des consommateurs, une couleur pâle est synonyme de meilleure qualité », analyse Julien Castell, du domaine Castell-Reynoard. C’est donc aux sommeliers d’entrer en jeu pour faire découvrir ces vins dont la présence est encore timide dans les restaurants gastronomiques. « En gastronomie, peu importe le type de vin, ce qui est important c’est sa texture », pointe Pierre Vila Palleja, meilleur sommelier de France 2018 et propriétaire du restaurant le Petit sommelier à Paris. Pour lui, les rosés thiolés à élevage court, axés sur la fraîcheur ont difficilement leur place dans ce type d’établissements car ils sont très difficiles à marier avec des plats en sauce. Il privilégie davantage les rosés légèrement structurés, ronds et minéraux. « En tant que restaurateurs, on a du mal à trouver des rosés de garde, or, on commence à avoir de la demande. Déjà parce qu’il y a de plus en plus de clients qui ont envie d’être surpris et que ce type de vin permet cela. Et aussi parce que ceux qui y ont goûté reviennent rarement aux rosés standards par la suite », poursuit le sommelier. Quant aux prix, rarement inférieurs à 30€ à la propriété, ils ne sont pas un frein pour ces consommateurs avides de découverte. « Avec un accord mets et vins pertinent, auquel s’ajoute le côté découverte, les clients acceptent le prix sans problème », affirme Pierre Vila Palleja.

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