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Projet de décret sur le cannabidiol – « On rate le coche d’une filière encadrée et sécurisée » selon le syndicat du chanvre

Le gouvernement vient de proposer un décret sur l’ouverture du marché du cannabidiol (CBD) en France. Un projet de réglementation qui prévoit d’exclure de la commercialisation les fleurs et les feuilles de chanvre. Le Syndicat du chanvre est en désaccord avec ces décisions et estime que la France fait des mauvais choix pour les consommateurs, pour les industriels et pour les producteurs. Interview avec son président Aurélien Delecroix.

Aurélien Delecroix : « Les propositions de la mission d’information parlementaire des députés Ludovic Mendes et Jean-Baptiste Moreau n’ont pas été suivies »
© DR

Les services du Premier ministre ont présenté le 25 mai un projet de décret visant à encadrer la filière française du cannabidiol (CBD), la molécule non psychotrope du cannabis. Le texte prévoit une ouverture du marché en excluant la vente de fleurs et de feuilles séchées. L’argument du gouvernement est d’éviter la confusion avec les produits stupéfiants du cannabis (THC). Pour le Syndicat du chanvre, cette interdiction est contreproductive. Dans un communiqué publié le 26 mai, le syndicat conteste le cadre réglementaire prévu par le gouvernement, qui pourrait entrer en vigueur d’ici 6 mois. Explications avec Aurélien Delecroix, président du Syndicat du chanvre et à la tête de l’entreprise Green Leaf Company, qui développe des produits alimentaires à base de chanvre.

Pourquoi le projet de décret présenté le 25 mai par le Gouvernement est-il selon vous un « nouvel acte manqué » ?

Aurélien Delecroix – « Le texte proposé par Matignon prévoit d’autoriser l’utilisation des extraits de chanvre, en particulier du CBD, dans les produits finis. En revanche, l’utilisation commerciale de la fleur et des feuilles demeure interdite. De notre point de vue, c’est une décision des autorités contrainte. Le projet de décret ne propose pas de véritable encadrement pour la filière française du CBD et le gouvernement sait que cette version sera probablement retoquée par la Commission européenne. Les propositions de la mission d’information parlementaire des députés Ludovic Mendes et Jean-Baptiste Moreau n’ont pas été suivies.

Si on interdit leur commercialisation, les fleurs vont malgré tout circuler

C’est un arbitrage politique qui vise à être le moins possible en contradiction avec l’opinion du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui craint que le CBD puisse banaliser le cannabis récréatif. En tant que gendarme réserviste, j’ai vraiment à cœur de ne pas perturber le travail des collègues. Mais si on interdit leur commercialisation, les fleurs vont malgré tout circuler, à destination de l’extraction. Et rien n’a été mis en place pour savoir si ce sont des fleurs légales ou pas. Il n’y a pas de certification, pas de licence, pas de traçabilité. On rate le coche d’une filière encadrée et sécurisée. Cette interdiction est contreproductive. »

Selon vous, la traçabilité est possible ?

A. D. - « Oui, s’il y a volonté politique, c’est tout à fait faisable. On en a discuté avec les opérateurs, la traçabilité est tout à fait possible. Il est possible de travailler sur des bases existantes, comme celle utilisées par la filière houblon par exemple, avec un système de certification, d’octroi de licences, de pose de scellés sur des lots, de gestion des données par blockchain… Tous ces outils commencent à être opérants et nous allons les utiliser pour assurer une chaîne de traçabilité des produits. Un marché tracé français est un bon outil de réduction des risques de fourniture de produits de mauvaise qualité. »

 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a validé que le CBD ne représentait pas de risque pour la santé publique. La France ne serait donc pas en conformité avec l’Union européenne ?

A. D. - « La France n’a pas apporté la preuve d’une problématique de santé publique. L’Europe a donné tort à la France. Donc, la France ne peut pas interdire le CBD. Il y a un cadre réglementaire solide qui permet à des produits d’être exportés vers la France et les plus gros producteurs sont aujourd’hui l’Italie et la Suisse. Dans la réalité, les autorités ne vont pas pouvoir interdire le commerce des fleurs. Il va y avoir des contentieux juridiques, un encombrement des tribunaux. On va se retrouver dans la même situation ubuesque qu’en 2018, après le flou juridique d’une première note publiée sur le sujet. Encore une fois, ce sera au détriment des agriculteurs et entrepreneurs français. »

Il va y avoir des contentieux juridiques, un encombrement des tribunaux

Sur cette question de la commercialisation des fleurs, vous êtes en désaccord avec l’UIVEC, l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre ?

A. D. - « L’UIVEC a une position anti-fleurs. Cette union est une émanation d’Interchanvre qui a une vision extrêmement restrictive, je dirais même prohibitionniste. Ce sont des positions très conservatrices. Depuis 50 ans, la France est concentrée sur les débouchés industriels de défibrage du chanvre à destination de la construction et des papiers spéciaux pour cigarettes. La graine va vers l’alimentation animale, pour l’oisellerie et à la pêche. Mais depuis 20 ans, d’autres filières se développent à l’étranger. Au Canada, la graine est utilisée en alimentation humaine. C’est un super aliment, riche en protéines et en omégas-3. Le CBD, qui favorise la récupération musculaire, est un très bon aliment pour les sportifs. Il y a un spectre plus large de débouchés. Il faut tout exploiter. Mais on passe à côté. La filière France reste sur son business model et ne fait pas les bons choix. »

Au Canada, la graine est utilisée en alimentation humaine. C’est un super aliment, riche en protéines et en omégas-3

Lire aussi : Cannabidiol : l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre répond au syndicat du chanvre

Il y a un donc un gros potentiel pour les producteurs français ?

A. D. - « Au sein du Syndicat du chanvre, nous avons une cinquantaine de producteurs. Mais il pourrait y en avoir beaucoup, beaucoup plus. Il y a possibilité de retour sur investissement rentable, dès lors qu’on extrait un taux élevé de CBD, de 15 %, ce que ne permet pas le cadre réglementaire de l’arrêté de 1990 qui prévaut en France.

Il y a possibilité de retour sur investissement rentable, dès lors qu’on extrait un taux élevé de CBD, de 15 %

Par ailleurs, si la vente des fleurs était autorisée, il y aurait possibilité pour les agriculteurs de commercialisation en circuits courts. La culture du chanvre présente beaucoup d’avantages : c’est une culture respectueuse de l’environnement, qui n’utilise ni intrants ni irrigation. Son bilan carbone est positif. »

Lire aussi « Ouverture prochaine du marché français du cannabidiol et autres extraits de chanvre »

Voir aussi le reportage de France 3 Nouvelle-Aquitaine sur YouTube.

 

Lire aussi : « Ouverture prochaine du marché français du cannabidiol et autres extraits de chanvre »

Voir aussi annonce de la Journée technique : « Culture de cannabis en France et valorisation du chanvre : enjeux et opportunités d’innovation »

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