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Pourquoi anticiper ses achats de matières premières destinées à fabriquer les aliments à la ferme

Les achats anticipateurs sont toujours gagnants pour les éleveurs fabricants à la ferme, selon Xavier Goutte, de la Chambre d’agriculture de Normandie. Pour cela, il est nécessaire de déconnecter la fixation du prix des matières premières achetées du transfert réel de propriété.

« Étaler ses achats permet de limiter le risque prix pour un éleveur qui achète ses céréales sur les marchés », affirmait Xavier Goutte, expert en marchés des matières premières à la Chambre d’agriculture de Normandie, lors de la journée Airfaf Bretagne organisée à Loudéac le 7 mars dernier. « Pour cela, il est nécessaire de déconnecter la fixation du prix du transfert réel de propriété. » Chiffres à l’appui, il démontre que plus le prix est fixé longtemps à l’avance, plus il a de chance d’être inférieur à celui du jour de la récolte. « Dans un contexte de volatilité élevé comme c’est le cas actuellement pour la plupart des matières premières, cette stratégie permet d’éviter de perdre de l’argent si les prix venaient à connaître une hausse inattendue. » L’expert souligne que la variabilité des prix des matières premières est un élément du fonctionnement normal des marchés. « Les équilibres offre-demande s’ajustent et les prix varient. » Jusqu’en 1992, la politique agricole européenne protégeait les producteurs des aléas de marché. « Depuis, les prix sont soumis à la mondialisation croissante des échanges, aux évolutions des politiques agricoles nationales, à la demande alimentaire croissante de pays émergents, et au climat qui se dérègle. Le système alimentaire mondial devient plus vulnérable et les épisodes de volatilité extrêmes sont plus fréquents », constate Xavier Goutte, tout en précisant que ces événements doivent être analysés au niveau mondial. « Les volumes de récolte en France ou les conditions météo du moment dans une région n’ont aucune incidence sur le prix du blé fixé, lui, au niveau mondial. »

Surveiller les conditions météo dans le monde

La météo est le premier facteur de volatilité du prix des matières premières. « Les récoltes de l’hémisphère nord qui s’échelonnent d’avril à juillet concentrent une bonne partie des risques climatiques, et donc de volatilité des prix. Il faut donc éviter de faire des affaires au cours de cette période. » Le second élément important qui agit sur la volatilité des prix est le ratio stocks/consommation mondiale. « Un ratio de six mois est rassurant, car les stocks coûtent cher aux vendeurs. S’ils sont importants, leurs propriétaires baissent les prix pour s’en débarrasser. Dans ce contexte, les prix de marchés sont bas et peu volatils pendant deux à trois ans. » C’est ce qui s’est produit durant ce printemps 2023, avec du blé russe à 20 euros la tonne moins cher que les cotations mondiales alors que ce pays est le premier exportateur. Sur cette période, le ratio stocks/consommation mondial était de 34 %, soit environ 4 mois. « À ce niveau, tout va bien, les prix baissent. Mais il suffirait d’un problème climatique ou géopolitique pour que le marché glisse vers une situation de volatilité importante. » Plus ce ratio diminue, et plus la situation des marchés se tend. « On arrive à un sentiment de pénurie quand il descend à deux mois. Un ratio de six semaines constitue le seuil qui provoque réellement une pénurie. Les pays acheteurs craignent de manquer de marchandise. Ils anticipent alors leurs achats et contribuent ainsi à augmenter les prix. »

Le rôle important de la Chine et de la Russie

Dans cette analyse des marchés, la Chine joue un rôle particulier. « Les Chinois ont constitué en 2020 et 2021 des stocks de blé à bon prix. Ces stocks leur permettent aujourd’hui de couvrir un an de leur consommation intérieure. L’objectif du gouvernement est d’assurer à tout prix la sécurité alimentaire de sa population. » La Chine a ainsi contribué à augmenter les cours, bien avant la guerre en Ukraine. Désormais, leurs réserves représentent 10 % des stocks mondiaux. Ce blé ne se retrouvera probablement jamais sur les marchés. Il ne faut pas en tenir compte pour évaluer le risque de volatilité des cours. « Le critère qui compte réellement aujourd’hui est donc le ratio stocks/consommation mondial hors Chine, qui n’est que de 20 %. Soit seulement un stock de deux mois et demi de consommation, met en garde Xavier Goutte. Il suffirait que la Chine se remette aux achats pour provoquer à nouveau une flambée des prix. » Les cours mondiaux du blé ont aussi largement bénéficié de la mise en place du corridor maritime autorisé par la Russie, permettant d’exporter leur production et celle de l’Ukraine, un autre grand pays exportateur. « En résumé, le marché mondial du blé est actuellement suspendu aux décisions de la Russie à la vente, et de la Chine aux achats. Ce n’est pas rassurant, car il n’y a rien de plus imprévisible que les décisions prises par les dirigeants de pays autoritaires », conclut Xavier Goutte.

Le maïs dépendant de la météo aux États-Unis

Selon Xavier Goutte, les cours mondiaux du maïs dépendront beaucoup cette année de la météo et des rendements aux États-Unis, premier producteur et exportateur mondial. Cependant, le Brésil est devenu un facteur baissier puissant, notamment depuis que les pratiques culturales et le progrès génétique permettent deux récoltes par an. Le soja est cultivé en culture principale, appelée Safra. Il est suivi par du maïs en arrière-saison, appelé Safrinha. Ce maïs est semé en février et récolté en juillet-août. « Si la météo est bonne, ce sera probablement un facteur de détente. Mais attention au phénomène climatique El Nino qui pourrait impacter les rendements ! » La Chine est également un grand producteur de maïs. Mais toute la récolte du pays est consommée par ses productions animales. Comme pour le blé, les Chinois se servent sur les marchés internationaux pour constituer des stocks importants. « Le jour où la Chine revient aux achats, on peut être certain que le prix du maïs va fortement augmenter », prévient Xavier Goutte.

Une course effrénée à la graine de soja

Le tourteau de soja acheté par la France provient à 70 % d’Argentine. « Dans ce pays, une récolte catastrophique associée à des problèmes sociaux, des grèves et la dévaluation de la monnaie nationale (le Peso) ont provoqué une forte augmentation des prix. » Cependant, son voisin le plus proche, le Brésil, joue un rôle baissier important, comme pour le maïs. En face, les achats des Chinois ne cessent d’augmenter depuis le début des années 2 000.  « Pour schématiser, la déforestation de l’Amazonie de ces vingt dernières années a servi à nourrir les cochons et les volailles chinois », souligne Xavier Goutte. Ce qui lui fait dire que le Brésil a les clés du marché du soja pour les prochaines années. « Si sa production augmente encore, ça ira. Mais si, pour une question climatique ou de changement de politique agricole, la production de soja stagne, la situation risque de devenir tendue. »

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