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« Dans les Hautes-Pyrénées, nos brebis tarasconnaises sont faites pour la montagne »

S’il pâture en totale liberté la moitié de l’année, le troupeau de tarasconnaises de Philippe et Iris Soucaze doit désormais faire face à la pression de la prédation et des politiques du territoire.

<em class="placeholder">Bergers soignant une brebis en estive</em>
Philippe et Iris Soucaze se relaient pour monter deux fois par semaine soigner les brebis en estive.
© G. Béroud

Lorsque Philippe Soucaze monte voir ses brebis en estive, il part le matin à 5h30, équipé d’une lampe frontale, d’un bâton de marche et de son sac à dos, pour se lancer sur la montée de huit kilomètres et 650 mètres de dénivelé, jusqu’à voir le soleil se lever au sommet. Il retrouve alors ses 150 brebis tarasconnaises éparpillées sur le flanc de la montagne, au cœur de la vallée de Lesponne, dans les Hautes-Pyrénées.

Originaire de Beaudéan, Philippe Soucaze a repris la ferme de ses parents à 41 ans. Double actif, il travaille à 35 heures par semaine comme agent territorial à la ville de Bagnères-de-Bigorre sur la station de ski de La Mongie, en plus d’assurer la conduite de son troupeau.

Début mai, il monte ses brebis dans les pâturages communaux de 3 700 hectares, partagés par 87 éleveurs ovins, bovins et équins de la région. « Chaque troupeau a son quartier. Les brebis ne se mélangent pas, ou elles se trient naturellement quand nous arrivons. »

La relève particulièrement assurée

 

 
<em class="placeholder">Bergère guidant les brebis en estive</em>
Classée troisième aux Ovinpiades mondiales, Iris Soucaze souhaite s'installer à la suite de son père, tout en étant monitrice de ski l'hiver. © G. Béroud

L’éleveur de 58 ans est largement aidé par sa fille Iris, 21 ans. Iris Soucaze n’est pas n’importe qui dans le milieu du mouton. En février, elle est sacrée meilleure jeune bergère de France aux Ovinpiades nationales, et neuvième au classement général. Trois mois plus tard, elle remporte la troisième place au classement général des Ovinpiades mondiales.

Diplômée d’un BTS agricole au lycée de Pau-Montardon, Iris a tout appris avec son père. Passionnée par les moutons, et particulièrement par les siens, la jeune femme prévoit de reprendre la ferme familiale. Mais avant cela, elle qui a toujours profité des pistes de ski à proximité doit finir sa formation de monitrice à l’École de ski français (ESF) Saint Lary. « Les hivers seront intenses mais cela me permettra d’être plus tranquille le reste de l’année pour m’occuper des brebis. »

Monter deux fois par semaine

 

 
<em class="placeholder">Parc pour les soins aux brebis en estive</em>
Les brebis sont soignées deux fois par semaine. Pour mener à bien le chantier, les éleveurs mettent en place un parc temporaire. © G. Béroud

Aujourd’hui, ils divisent le travail en deux : Philippe monte donner les soins aux brebis le mardi et Iris le vendredi. En montant, on atteint un plateau où se trouve le parc pour regrouper les brebis. Après avoir récupéré le matériel caché sous un rocher, l’éleveur pose les clôtures en entonnoir pour faciliter l’entrée des brebis dans le parc. « On pourrait utiliser les chiens, mais quand on peut ne pas les bousculer, on fait autrement. »

Car les deux borders collies, Noisette, huit ans, et Sky, trois ans, sont parfaitement formés pour cela. Chiots, l’éleveur les a emmenés sur neuf jours passer les quatre niveaux de formation à la conduite du troupeau, auprès d’un formateur agréé par l’Institut de l’élevage.

 

 
<em class="placeholder">Philippe Soucaze avec ses brebis</em>
Particulièrement sociables, les brebis tarasconnaises de Philippe Soucaze accueillent volontiers les caresses. © G. Béroud

Prises en charge par la chambre d’agriculture, les formations ont coûté environ 2 400 euros. « Je recommande grandement ces formations, qui permettent de se rendre compte du potentiel de nos chiens pour nous aider au quotidien. Un maître qui travaille en osmose avec son chien permet une conduite du troupeau calme et efficace. »

« Solidarité entre éleveurs »

Une fois les brebis regroupées, elles descendent jusqu’au parc pour être examinées. Quelques cas de boiterie et un abcès sont à soigner ce jour-là. « Avec les gros changements de température et d’humidité entre des journées chaudes et des nuits fraîches et humides, les brebis peuvent développer des plaies aux pattes », explique l’éleveur.

 

 
<em class="placeholder">Le sel est disposé sur les pierres pour les brebis</em>
Après les soins, du gros sel est distribué sur les rochers pour compléter les besoins en minéraux des brebis. © G. Béroud

Après les soins, le binôme verse du gros sel sur les rochers, dont les brebis raffolent. Le sel leur apporte l’iode et les rochers les minéraux nécessaires, comme le zinc, le manganèse ou encore le cobalt. « Il faut toujours avoir de l’eau à proximité, car le sel donne soif », rappelle l’éleveur en montrant le ruisseau dans lequel les brebis vont se désaltérer.

 

 
<em class="placeholder">Brebis s&#039;abreuvant au ruisseau.</em>
La présence d'un petit cours d'eau dans le quartier des brebis de Philippe Soucaze facilite la gestion du troupeau au quotidien. © G. Béroud

Ce jour-là, l’éleveur découvre un bélier allongé près de la rivière. Il appartient à un troupeau voisin et est gravement blessé au flanc. « On soigne toujours les animaux que l’on croise, même s’ils ne font pas partie du troupeau. C’est de la solidarité entre éleveurs. » Grâce au désinfectant et au répulsif anti-mouches, le bélier paraît soulagé et parvient à se lever. « Il arrive que des brebis extérieures se mélangent à notre troupeau, confie l’éleveur. On s’en occupe également, car sinon en quinze jours elles sont mortes. »

Sous pression de la prédation

Même si les tarasconnaises sont adaptées aux montagnes pyrénéennes, les conditions se durcissent. « Il y a trois ans, un voisin a subi une attaque d’ours, sur le pic en face. Un loup a également fait des ravages sur la montagne à côté, ils se rapprochent », raconte Philippe. Si son troupeau est pour l’instant épargné par la prédation, il ne s’en réjouit pas. « Quand on perd une bête c’est bien plus que ça. Ce sont des années de génétique de perdues, tout le parcours à changer, et il ne s’apprend pas comme ça. »

 

 
<em class="placeholder">Brebis tarasconnaises dans les Pyrénées.</em>
Les 150 brebis tarasconnaises de Philippe Soucaze pâturent en liberté à près de 2 000 mètres d’altitude dans la vallée de Lesponne, dans les Hautes-Pyrénées. © G. Béroud

Le troupeau est inscrit à l’organisme de sélection (OS) Unité pyrénéenne des races allaitantes ovines (Upra). Un technicien vient une fois par an peser les agneaux pour calculer la valeur laitière des mères. L’OS choisit entre quatre et cinq béliers par an, pour devenir des futurs reproducteurs qui iront en centre d’élevage. « Les béliers restent à la bergerie toute l’année, car autrement ils se font la malle. » L’éleveur achète un bélier par an aux enchères pour apporter du sang neuf dans le troupeau.

La lutte a lieu dans les prés autour de la ferme. Un bélier est introduit par lot de 30 brebis pour suivre les filiations. « Je préfère suivre les performances sur le plan génétique, car un bélier peut être beau et médiocre à la fois. » Les brebis noires sont écartées du schéma de sélection, car hors des standards de la race.

Couper court au circuit court

À la mise bas en septembre, les brebis gestantes redescendent. « On garde trente à quarante agnelles par an. Elles restent avec leur mère, ce sont elles qui décident quand les sevrer, ce qui crée un bon rapport entre elles. » Toutes les autres femelles sont vendues à des éleveurs pour le renouvellement. Les mâles tètent sous les mères jusqu’à ce qu’ils partent. Une centaine d’agneaux sont vendus à un grossiste, les autres sont vendus entre 80 et 120 jours aux boucheries des villages alentour.

 

 
<em class="placeholder">Brebis et éleveurs en estive</em>
Les agneaux de Philippe Soucaze sont vendus en majorité aux bouchers des villages alentour. Cependant, le risque de fermeture de l'abattoir local risque de compliquer les choses à l'avenir. © G. Béroud

Faute de place dans le bâtiment, lorsqu’il y a des jumeaux, un sur deux est vendu à l’engraisseur. « On projette de construire un nouveau bâtiment pour accueillir les agneaux et pouvoir tous les vendre à la boucherie. » L’exploitant dispose également de 13 hectares de prairies autour de la bergerie, qu’il fauche trois fois par an. « Je finis les bords au rotofil pour ne pas être envahi par les ronces, ce qui prend un peu de temps. »

« On nous vend les bienfaits du circuit court, mais les services de proximité ferment »

Mais la communauté de communes menace de fermer l’abattoir à Bagnères-de-Bigorre. « On nous vend les bienfaits du circuit court, mais les services de proximité ferment », dénonce l’éleveur. Si l’abattoir venait à fermer, le prochain est à plus de 50 kilomètres, dans un autre département.

« Les gens pensent qu’on laisse nos brebis à l’abandon car on ne monte que deux fois par semaine. Mais elles sont faites pour la montagne, elles savent où se réfugier quand il pleut, où se mettre à l’ombre quand il fait chaud. » Il faut dire que la montagne où paissent les brebis de Philippe et Iris Soucaze est particulièrement dégagée. « C’est pour cela que les touristes viennent. Sans les brebis, la montagne serait inaccessible. »

Rédaction Réussir

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