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« Nous valorisons notre luzerne dans un partenariat avec des éleveurs »

Éleveurs du Pays d’Auge et céréaliers du secteur de Falaise dans le Calvados se sont regroupés pour organiser des échanges de fumier et de luzerne de haute qualité.

Vincent Barbot,et Jean-Luc Gaugain, agriculteurs dans le Calvados."La luzerne est produite localement en visant une teneur élevée en protéine pour valoriser les performances d'un troupeau."
Vincent Barbot,et Jean-Luc Gaugain, agriculteurs dans le Calvados."La luzerne est produite localement en visant une teneur élevée en protéine pour valoriser les performances d'un troupeau."
© C. Gloria

Une poignée d’éleveurs et de céréaliers ont bâti un projet d’échanges autour de la luzerne dans le Calvados en Normandie. « Il y a cinq ans, à l’occasion d’un salon agricole à Lisieux, une réflexion a démarré via le réseau des Cuma pour mettre en place un système d’échanges de luzerne contre fumier, raconte Jean-Luc Gaugain, agriculteur à Cricqueville-en-Auge. Nous étions quelques éleveurs du Pays d’Auge à rechercher l’autonomie protéique grâce à la luzerne. J’ai envisagé d’en produire, mais j’ai dû renoncer compte tenu de la nature de mes parcelles, fraîches, profondes avec des sols limono-argileux plus ou moins humides. »

La luzerne n’aime pas les sols hydromorphes et le Pays d’Auge est plus réputé pour ses verts pâturages que pour ses grandes cultures. S’ajoutait à ces contraintes la technicité nécessaire à la culture. « Je n’avais aucune compétence pour les semis et la préparation du sol pour ce type de production, reconnaît Jean-Luc Gaugain. Il était plus simple de trouver de la luzerne via un système d’échanges. »

Quelques dizaines de kilomètres au sud, le secteur de Falaise comporte des sols argilo-calcaires propices à cette légumineuse. Des agriculteurs en maîtrisent la production, à l’exemple de Vincent Barbot, producteur à Sassy. « La luzerne est une plante super nettoyante. Trois ans de cette culture permettent de maîtriser des vivaces comme le rumex et le chardon, ainsi que les infestations de ray-grass qui sont devenus résistants aux herbicides. Elle capte l’azote de l’air et elle libère 150 unités d’azote pour un blé qui lui succède la première année, avec une amélioration significative du rendement à la clé. Elle montre en outre une grosse capacité structurante du sol et améliore la vie de ce milieu. »

Un groupe d’agriculteurs autour d’un séchoir collectif

Un groupe s’est constitué avec six producteurs de grandes cultures du secteur de Falaise prêts à consacrer 120 hectares de leurs terres à la légumineuse, et une quinzaine d’éleveurs du Pays d’Auge et des zones bocagères proches. Objectif : construire un séchoir collectif pour les récoltes de luzerne. « Le séchoir, dimensionné pour ces 120 hectares, devrait être opérationnel en 2023, explique Vincent Barbot, qui préside le groupe SeCoPPa (Séchoirs collectif plaine Pays d’Auge). Actuellement, la luzerne est cultivée sur 40 hectares chez les agriculteurs. Nous avons limité la zone de livraison à 35 kilomètres à vol d’oiseau autour de ce séchoir. Nous voulons ainsi rester dans une logique de production locale et limiter les coûts de transport, qui sont mutualisés dans les échanges. Nous avons défini des coûts sur pied de la luzerne et des coûts de livraison du fumier en tenant compte des teneurs en éléments fertilisants NPK. La rémunération de la luzerne est fixée à 60 euros la tonne (€/t) sur pied (hors frais de récolte, de séchage et conditionnement) en conventionnel et à 70 €/t en bio. »

L’idée première reste l’échange de luzerne contre du fumier. « J’ai pu trouver un agriculteur de la plaine de Caen situé à 15 kilomètres, cultivant de la luzerne et prêt à accepter du fumier de mon exploitation pour remonter les taux de matière organique de ses parcelles, raconte Jean-Luc Gaugain. Sur mes terres affichant des taux de matière organique très élevés (6 à 8 %) et situées en zones de marais pour certaines, les épandages sont limités. En 2020-2021, j’ai fourni 230 tonnes de fumier, que l’agriculteur est venu chercher, pour 20 €/t. Pour ma part, j’ai récupéré une partie des coupes de ses luzernes au champ (50 tonnes) pour un coût équivalent à 90 euros la tonne de matière sèche. Le paiement du solde se fait à l’issue de ces échanges. »

Vincent Barbot récupère du fumier à 10 €/t sorti de stabulation avec le transport à sa charge, et à 20 €/t s’il s’agit de fumier composté. Hors échange, il vend sa luzerne à 120 €/t de matière sèche, andainée et bottelée. « L’utilisation de fumier limite le recours aux engrais de synthèse, ramène de la vie biologique dans le sol et remonte le taux d’humus, explique Vincent Barbot. Chez un des agriculteurs du groupe, le taux de matière organique est descendu à 1,2 sur des limons profonds. » La remontée de ce taux est devenue indispensable pour obtenir une bonne structure du sol.

Une luzerne à haute teneur en protéines

L’abandon de la betterave sucrière après la fermeture de la sucrerie de Cagny a incité des agriculteurs à rechercher des espèces pour diversifier leur assolement et trouver une valorisation. La luzerne apparaît incontournable pour des agriculteurs du groupe dont certains sont en production biologique ou en cours de conversion, comme Vincent Barbot. Sa valorisation par des échanges avec des éleveurs n’en est que plus bénéfique.

« La luzerne est l’une des rares sources de protéines pour le bio. Les tourteaux sont hors de prix et produits loin de nos frontières », souligne Jean-Luc Gaugain. Avec des luzernes récoltées jeunes en préservant les feuilles et en assurant un séchage le plus rapide possible, les taux de protéine obtenus sont élevés, supérieurs à 20 %. « Avec cette luzerne de qualité supérieure, on augmente fortement la production laitière, souligne l’éleveur. Pour ma part, je passe de 17 à 19 litres par vache par jour en améliorant le taux protéique du lait, comparé à une alimentation avec de la luzerne déshydratée à 15-16 % de protéine que j’achetais précédemment 300 €/t. Cela donne plus de lait, vendu plus cher. La luzerne est en outre très fibreuse et favorise la dynamique de digestion du troupeau. C’est un plus pour sa santé. Le potentiel du troupeau s’exprime d’autant mieux. »

Une démarche soutenue par le plan protéines

L’association SeCoPPa (Séchoir collectif plaine Pays d’Auge) s’est constituée autour d’un projet de construction d’un séchoir en grange réunissant éleveurs et producteurs de grandes cultures dans le Calvados. Elle est animée par la fédération des Cuma Normandie Ouest. « Les Cuma organisent les récoltes de luzerne, précise Vincent Barbot, qui préside le SeCoPPa. Mais pour gérer les échanges et les flux financiers, une structure de type Sica sera plus adaptée tout en restant sur un modèle coopératif. » Le projet a bénéficié d’une aide de 710 000 euros dans le cadre du plan France Relance pour le soutien à la production nationale de protéines végétales.

Une production de luzerne tournée vers la qualité

 

 
Pour fournir une luzerne de qualité supérieure aux éleveurs, un séchoir collectif en grange sera opérationnel en 2023.
Pour fournir une luzerne de qualité supérieure aux éleveurs, un séchoir collectif en grange sera opérationnel en 2023. © C. Gloria
La luzerne se montre délicate jusqu’à la récolte. Les protéines se concentrent dans les feuilles et, pour ne pas perdre celles-ci, la qualité de récolte est primordiale. « Je récolte la luzerne moi-même avec le matériel d’une Cuma : fauche, andainage le lendemain et récolte le plus vite possible, explique Jean-Luc Gaugain. Un séchoir à grange doit permettre de préserver la haute qualité de luzerne demandée. »

 

EN CHIFFRES

Un élevage « tout à l’herbe »

Jean-Luc Gaugain, EARL Gaugain, Cricqueville-en-Auge, Calvados

En agriculture biologique depuis 2009

130 ha, tout en herbe

65 vaches normandes pour production laitière AOP Pont-L’Évêque et Livarot

Production de bovins viande, de foin pour haras, de pommes à cidre

EN CHIFFRES

Une ferme en cours de conversion biologique

Vincent Barbot, Sassy, Calvados

168 ha de cultures dont 50 de triticale, 20 à 40 de luzerne, 20 de tournesol, 15 de maïs grain, 15 d’orge de printemps, 10 d’avoine, 10 de blé, 4 de soja, 11 de prairies permanentes (EARL Vincent Barbot). Le triticale remplace le blé pour la conversion : meilleure couverture du sol

15-20 mères de vaches allaitantes limousines

2-2,5 de MO pour sol en majorité argilo-calcaire superficiel 

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