Noix en Isère et Dordogne : face au carpocapse et à la mouche du brou, des essais de lutte alternative
Les groupes Dephy Noix de Grenoble et Noix du Sud-Ouest ont synthétisé leurs essais de lutte alternative contre le carpocapse et la mouche du brou lors d’un webinaire. Voici les principaux enseignements.

Confusion sexuelle, granulose, spinosad ou encore barrières physiques blanchissantes : quelles alternatives en noix pour affronter le carpocapse et la mouche du brou ? C’était l’objet d’un webinaire animé en juin par les experts Ghislain Bouvet, ingénieur du groupe Dephy Noix de Grenoble, et Vraël Bernard, ingénieur du groupe Dephy Noix du Sud-Ouest, conseillers respectivement à la chambre d’agriculture Isère-Drôme et à celle de Dordogne.
Deux systèmes testés en confusion sexuelle
Parmi les moyens de lutte contre le carpocapse, on retrouve la confusion sexuelle. « Très connue en pomme, elle était beaucoup moins répandue en noix, jusqu’à il y a peu », contextualise Ghislain Bouvet, ingénieur du groupe Dephy Noix de Grenoble. Dans son groupe, cinq exploitations sur les douze y recourent, avec 10 à 83 % des surfaces des vergers en confusion selon les cas. Deux systèmes intéressants, placés en haut de la canopée, permettent ainsi de gérer toute la saison. D’abord, le Ginko Ring, semblable à des anneaux souples imbibés de phéromones, est un système de diffusion passive, avec 100 points de diffusion à l’hectare, a expliqué l’expert. L’autre, Checkmate Puffer, fonctionne par diffusion active, gérée électroniquement, avec 2,5 diffuseurs par hectare.
« Des coûts non négligeables »
Du côté des coûts, pour le Ginko Ring, il faut compter 369 euros à l’hectare, car, désormais, seul le largage par drone (40 minutes), en prestation, est possible. D’après Ghislain Bouvet, ce n’est pas la conséquence d’une interdiction légale, mais une modalité imposée par l’entreprise. Il y a deux ans, le placement pouvait se faire en nacelle ou à la perche, pour des coûts totaux inférieurs, respectivement 337 et 211 euros. Pour le Checkmate Puffer (temps de pause de 25 minutes), le coût s’élève à 355 euros par hectare. « Ces coûts ne sont pas négligeables, prévient l’ingénieur réseau, compte tenu des petits chiffres d’affaires. Les volumes sont de l’ordre de 2 ou 2,5 tonnes à l’hectare, pour un prix au kilo entre 2 et 2,50 euros. » Pour rappel, la filière noix a été secouée par la grave crise de 2022, marquée par une surproduction mondiale et une chute des cours.
Le bilan ? « La confusion sexuelle, en termes d’efficacité, se suffit à elle-même, affirme le spécialiste. Alors que l’on pointe souvent l’efficacité moindre des techniques alternatives, ici, pour le noyer, nous n’avons pas besoin de compléter par une intervention sur le premier pic de vols, ou à des très rares exceptions près. » En matière de temps de travail, la confusion permet une pose au printemps sans passage estival, sauf en cas de présence de mouche du brou. On compte 40 minutes par hectare pour le Ginko Ring et 25 minutes pour le Checkmate Puffer. Une des limites, outre le prix : le devenir des diffuseurs dans les vergers. « Au bout de x années de confusion, on a ces diffuseurs qui restent, qui tombent au sol pour certains. »

Deuxième méthode : le virus de la granulose. « Nous promouvons l’alternance des souches, pour éviter les problèmes de résistance que nos collègues pomiculteurs ont malheureusement pu constater », explique Ghislain Bouvet. Concrètement : une souche par génération de carpocapse. Par exemple, Madex Twin et Carpovirusine 2000 (même souche) sur l’une, Carpovirusine Evo 2 et Madex Pro (souches communes) sur l’autre génération. Ici, le coût total est évalué à 231 euros par hectare pour deux pulvérisations, 339 euros pour trois passages. « Même si la persistance de protection n’est pas la même qu’en confusion sexuelle qui couvre toute la saison, nous sommes sur un coût moindre, sachant que le coût de mécanisation est pris en compte », précise l’expert. Par comparaison, il chiffre la protection en interventions conventionnelles autour de 202 euros hectare (coût produit et mécanisation).
Sur l’efficacité du virus de la granulose, il n’y a pour l’instant pas de résistance avérée. Le temps de travail est évalué à 1 h 30 par hectare pour deux passages et à 2 h 15 pour trois passages. « Cela permet quand même de continuer à suivre les pièges », appuie l’expert.
Faire face à la mouche du brou
La noix fait face à une autre menace : la mouche du brou, venue en 2007 du Mexique et du sud des États-Unis. Vraël Bernard, ingénieur du groupe Dephy Noix du Sud-Ouest, a partagé son expertise sur le sujet. Au-delà de l’identification de l’insecte et du monitoring, bien sûr cruciaux, le premier levier évoqué est un insecticide à base de spinosad appétant en hyperlocalisation. Pas besoin d’un pulvérisateur classique : quad, cuve et perche peuvent suffire. « Il ne faut surtout pas faire de brouillard, mais vraiment de grosses gouttes pour que l’appât soit bien repérable par la mouche », prévient le spécialiste. Parmi les avantages, un très faible volume de bouillie et la rapidité (sur quad, 4 hectares par heure). « L’inconvénient, c’est qu’en cas de forte pression, cette hyperlocalisation montre ses limites. »

Deuxième levier, qui peut être combiné au premier : les barrières physiques blanchissantes, qui vont gêner la mouche pour reconnaître la noix ou pondre. Plusieurs produits existent, testés par le groupe Dephy. « Cela ajoute un coût, jusqu’à 170 euros selon le produit, mais nous allons améliorer le nombre de noix, voire leur qualité », assure Vraël Bernard. L’efficacité se situe entre 70 et 99 %, chiffre l’expert, et la protection est multiple (soleil, des effets contre le carpocapse à investiguer…). Attention : cette barrière est seulement insectifuge. « Si nous avons vingt hectares blanchis, la mouche va finir par vouloir pondre quelque part, prévient Vraël Bernard. Et ce ne sera pas suffisant dans un contexte de très forte pression, sans autres leviers. »
L’expert en profite pour lever un a priori : « Il y a une idée reçue selon laquelle les barrières physiques abîment le matériel, regrette-t-il. Or l’abrasivité est très variable selon le produit. Ensuite, la première cause du matériel abîmé, ce sont des réglages pulvé pas forcément corrects, et notamment la pression. Puisque nous sommes sur des arbres de très grande taille, nous avons tendance à augmenter la pression pour couvrir plus haut, alors que le facteur à modifier est plutôt la ventilation. »
En cumulant ces solutions, on peut blanchir en alternance certains rangs et utiliser le spinosad sur d’autres. « Les mouches fuient les arbres blancs et se réfugient sur les autres arbres, qui en plus les attirent. » Pour simplifier le travail, il est possible de blanchir la parcelle entière en limitant l’insecticide aux bordures. Quoi qu’il en soit, vu le potentiel dévastateur de la mouche du brou, Vraël Bernard invite à tester les solutions « petit à petit », et plus largement à mener une lutte territoriale.
Adapter le piégeage du carpocapse
« Nous avions, au passé car nous sommes en train de changer notre fusil d’épaule, un mode de gestion par piégeage, avec des capsules de référence GR1 », expose Ghislain Bouvet. Un delta classique, placé en hauteur. « Notre seul outil de mesure à la parcelle n’était plus fonctionnel, puisque les capsules ne prenaient plus de carpocapses, avec des dégâts à la récolte. » Parmi les causes possibles, il cite les évolutions climatiques, l’adaptation de l’insecte ou sa présence trop importante sur certaines parcelles, voire un impact des réseaux de confusion voisins. La stratégie a été adaptée, en passant à des capsules mâles-femelles, jugées plus efficaces. « L’inconvénient, partage-t-il, c’est que nous n’avons plus de seuils déterminés, puisque nous commençons juste à les utiliser. » Objectif pour la suite : acquérir des connaissances.
Retrouvez l’intégralité du webinaire sur YouTube, « Méthodes alternatives contre le carpocapse de la noix et la mouche du brou » (52 minutes).