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Neuf leviers pour augmenter son autonomie protéique

La flambée du prix des aliments encourage à devenir plus autonome. Il existe de nombreux leviers pour améliorer son autonomie protéique mais leur application n’est pas toujours simple. Sans changer complètement son système, l’optimisation de la ration et des ressources disponibles permettent déjà des gains importants.

« La situation en Europe de l’Est, et notamment en Ukraine, entraîne une flambée des prix des matières premières qui se trouvaient déjà à un niveau très haut en début d’année. Au vu des prix atteints à ce jour, cette nouvelle envolée des intrants pourrait se traduire par une hausse importante et rapide du coût de production des élevages ovins et plus particulièrement des coûts d’alimentation », explique Barbara Fança, chargée de projets en conduite et alimentation des petits ruminants laitiers à Idele. Dans ce contexte économique tendu, il existe différents leviers à activer pour s’adapter et augmenter son autonomie protéique et alimentaire. Ces solutions vont du changement de système à l’optimisation des ressources et laissent une marge de manœuvre importante pour les éleveurs. L’optimisation de la ration et la valorisation des fourrages sont les leviers qui permettent les gains les plus importants. Les axes de travail présentés sont à adapter dans chaque élevage si c’est possible. Il n’existe pas une solution unique.

1 Privilégier le pâturage en toutes saisons

L’herbe pâturée est un aliment de qualité. Un kilogramme de matière sèche d’herbe pâturée représente une UFL. Valoriser au mieux l’herbe est donc le levier numéro un pour améliorer son autonomie. Il ne faut pas hésiter à renouveler les prairies, favoriser les légumineuses et entretenir ses prairies permanentes. Du côté de la gestion du pâturage, Laurence Sagot (Ciirpo, Idele) recommande le pâturage tournant pour bien valoriser l’herbe. Pour les ovins, les techniciens du programme Herbe et fourrages Centre préconisent de viser une hauteur d’entrée entre 8 et 12 centimètres et de ne pas descendre en dessous de 5 centimètres à la sortie des animaux. Ils estiment aussi qu’une tonne de matière sèche d’herbe pâturée coûte en moyenne trois fois moins cher qu’une tonne d’herbe récoltée. De plus, pâturer davantage permet d’économiser entre 20 et 50 kg de concentré par animal en fonction de ses besoins.

Des fourrages d’été comme le moha, le millet, le sorgho ou le teff grass peuvent être pâturés et sécuriser les ressources fourragères pendant les étés secs. À l’heure où les sécheresses estivales sont de plus en plus fréquentes, les dérobées d’été peuvent aider à combler le déficit fourrager en juillet-août. Durant l’automne et l’hiver, les brebis sont capables de valoriser les couverts végétaux des céréaliers, l’herbe des vignes et des vergers ou de passer derrière les bovins sur les pâturages. Il est donc intéressant de se renseigner pour trouver des opportunités près de chez soi. Ces surfaces additionnelles sont des partenariats gagnant/gagnant puisqu’elles sont une source supplémentaire de fourrage et que les céréaliers et les arboriculteurs utilisent moins d’intrants et de mécanisation pour la gestion de l’herbe et des couverts.

2 Mieux valoriser les fourrages

La récolte des fourrages est toujours un moment technique qui dépend du bon vouloir de la météo, mais essayer d’optimiser le stade et la technique de récolte permet d’obtenir un fourrage de meilleure qualité. Et un bon fourrage dans la ration est une des clés pour faire baisser les besoins en concentré. Augmenter la part de fourrages passe aussi par augmenter le nombre de repas et accepter plus de refus. Le but est de stimuler l’ingestion des brebis. À moyen terme, des investissements pour opter pour un nouveau mode de récolte peuvent valoir le coup. L’enrubannage, l’affourragement en vert, le séchage en grange et l’ensilage sont de bonnes méthodes pour valoriser l’herbe quand la météo n’est pas toujours au rendez-vous. Ces méthodes de récolte permettent également de faucher plus tôt dans l’année quand l’herbe est d’une meilleure qualité nutritionnelle. « On peut aussi adapter les prairies pour favoriser des espèces qui donnent en été et augmenter la part de légumineuses en pure ou en mélange », souligne Barbara Fança d’Idele. Une fois la récolte faite, il est intéressant de ranger et d’annoter le stockage pour trier les fourrages en fonction de leur qualité. Cela permet ensuite de gérer, selon la qualité et les besoins la répartition entre les catégories d’animaux. Par exemple, on peut réserver le bon foin aux brebis allaitantes et garder le foin moyen pour les brebis à l’entretien.

3 Alloter pour ajuster au plus près des besoins

« L’une des règles d’or en élevage ovin est de constituer des lots d’animaux homogènes avec des besoins alimentaires équivalents afin d’adapter la ration au mieux et ne pas gaspiller d’aliment », rappelle Laurence Sagot. En système allaitant, il faut retirer les brebis vides du lot de gestantes, séparer les brebis simples et les doubles. En système laitier, un distributeur automatique de concentrés (DAC) permet de séparer virtuellement les brebis en deux à quatre lots selon leur production laitière. Alloter permet d’avoir des groupes homogènes et ainsi de couvrir au mieux les besoins de chaque brebis et d’éviter le gaspillage. Barbara Fança recommande de bien choisir la brebis cible (celle dont on veut couvrir les besoins de production à 100 %). C’est-à-dire d’apporter une ration qui couvre les besoins d’un maximum de brebis sans « surnourrir » trop d’animaux. Une solution est d’apporter 115 % des besoins UFL et 125 % des besoins PDI de la brebis qui a la production laitière moyenne de son lot.

4 Produire des concentrés riches en protéine

« Si des céréales sont produites sur l’exploitation, il est judicieux de les consommer pour remplacer les concentrés énergétiques achetés », préconise Barbara Fança. En ce qui concerne les protéines, il faut prendre en compte le rendement (en protéines à l’hectare), les rotations et la valorisation par les animaux. La luzerne est la légumineuse qui a le meilleur rendement à l’hectare. Le pois, le lupin et la féverole peuvent, quant à eux, s’incorporer dans un mélange fermier. Par exemple, ils peuvent remplacer un tourteau de soja pour la finition des agneaux. Le mélange présente des valeurs azotées inférieures de 10 à 15 g de PDI par kg brut mais la quantité de concentré totale par agneau reste la même. Cependant, la durée de finition est majorée d’une semaine à cause de la moindre appétence des protéagineux mais la qualité des carcasses n’est pas modifiée. Au début, les agneaux trient beaucoup pour délaisser les protéagineux. Il faut les laisser finir avant de donner la ration suivante de concentré. Au bout de quelques jours, ils s’y habituent. Avec des concentrés fermiers, il faut rester vigilant sur la couverture des besoins en minéraux des animaux. « L’achat d’un aliment minéral est quasi systématiquement indispensable. Il peut être inclus dans un autre aliment ou non », précise Laurence Sagot. Les méteils qui mélangent des céréales et des protéagineux sont un bon moyen de produire des concentrés fermiers riches en énergie et en protéine.

5 Vérifier les quantités distribuées et ajuster régulièrement

La première cause de surconsommation de concentrés est un mauvais calibrage. La densité de l’aliment peut changer d’une année à l’autre, d’une livraison à l’autre. Il faut régulièrement penser à peser les seaux et calibrer les distributeurs et les roulimètres pour effectivement donner la bonne quantité. « C’est dommage de calculer une ration qui répond aux besoins des brebis pour ensuite donner des quantités très différentes », relève Barbara Fança. Elle conseille aussi « d’ajuster plus fréquemment la ration pour les brebis laitières. Environ une fois par mois après le pic de production car la quantité de lait diminue assez vite ». Cet ajustement permet d’être toujours au plus près des besoins réels des brebis.

6 Ne pas faire maigrir les brebis en lactation

En système allaitant, il peut être tentant de sevrer les agneaux plus tard pour distribuer moins de concentré quand les lactations sont à l’herbe. « Attention toutefois à ce que les brebis ne maigrissent pas trop », alerte Laurence Sagot. Sur le moment, on a l’impression d’économiser du concentré car on en distribue moins aux agneaux. Cependant, il faut 40 kg de concentré pour faire prendre un point de NEC à une brebis. La remise en état pour la mise à la reproduction pourrait s’avérer coûteuse. Il faut donc s’assurer que les brebis ne maigrissent pas et que la ressource en herbe est suffisante.

7 Rationner les agnelles de renouvellement

Des niveaux de croissance trop élevés (supérieur à 170 grammes par jour) chez les agnelles âgées de 2 à 6 mois créent une diminution du potentiel laitier. Le tissu adipeux se dépose dans la mamelle au détriment du tissu excréteur et l’agnelle ne sera jamais une bonne productrice laitière. Toutefois, il faut viser un objectif de deux tiers du poids adulte pour la mise à la reproduction. « Il faut proscrire la mise à disposition d’un concentré à volonté au pâturage. Pour une conduite en bergerie, le rationnement commence dès 15 jours après le sevrage », explique Laurence Sagot. Pour les agnelles nées au printemps, l’herbe peut parfois constituer le seul aliment de leur ration.

8 Faire des luttes courtes

En monte naturelle, la durée des luttes est un facteur important des quantités de concentré utilisées. Une brebis qui met bas deux mois après les premières du lot d’agnelage consomme trois fois plus de concentré. Laurence Sagot recommande « 35 jours en saison sexuelle, et 54 jours ou 35 jours après 14 jours avec des béliers vasectomisés en contre-saison sexuelle ». Cela permet de grouper les brebis qui recevront leur ration de lutte et de fin de gestation pendant moins longtemps.

9 Gérer les effectifs

« Une brebis laitière mange entre 600 et 850 kg de MS de fourrage par an. À partir de ce repère, on peut évaluer la cohérence du système et essayer d’adapter (quand c’est possible) la surface disponible et l’effectif de brebis », explique Barbara Fança. Réformer régulièrement permet d’économiser du concentré sur des animaux qui produisent peu et qui de toute façon vont partir. « À titre d’exemple, sur un troupeau de 400 brebis laitières à 25 % de renouvellement, repousser la réforme d’un mois consomme trois tonnes de concentrés en plus » illustre Barbara Fança. Elle conseille de choisir ses critères de réforme et de s’y tenir pour réformer régulièrement. La gestion des effectifs passe aussi par l’ajustement du renouvellement. Faire le bilan des années passées permet de gérer plus finement le nombre d’agnelles élevées et d’économiser de l’aliment.

Du pois toasté dans la ration ?

La matière azotée totale du pois cru est bien supérieure à celle du blé pourtant elle est équivalente en PDI (protéines digestibles dans l’intestin). Le toastage est théoriquement très intéressant car il permet d’augmenter les PDI du pois. Cette technique permet donc d’améliorer son autonomie protéique à condition que les PDI montent bien. Le Ciirpo a mené deux essais pour comparer le pois et le pois toasté. Le chauffage à 310 °C pendant 55 minutes n’a pas eu les effets escomptés. Les performances des agneaux sont équivalentes et l’économie de pois mesuré seulement dans un des deux essais est trop faible pour compenser le coût du toastage.

Semer des dérobées d’été

 

 
Des fourrages d’été peuvent être pâturés. Ils sécurisent les ressources fourragères pendant les étés secs.
Des fourrages d’été peuvent être pâturés. Ils sécurisent les ressources fourragères pendant les étés secs. © J. Chabanet
Les fourrages d’été comme le moha, le millet, le teff grass et le sorgho, peuvent représenter une ressource fourragère en été. Ces plantes se sèment en mai juin et supportent mieux les sécheresses estivales que les prairies. « Il faut quand même de l’eau au moment du semis, il n’y a pas de miracle » prévient Claire Douine, chargée d’études au Ciirpo. En 2021, les conditions climatiques exceptionnelles ont donné des rendements élevés (entre 7 et 12 tonnes de matière sèche par hectare). La valeur énergétique évolue peu avec le stade des plantes mais la teneur en protéine décroît rapidement. Le plus intéressant est donc de réserver les stades précoces aux animaux à forts besoins. Attention également au millet qui doit être récolté en fourrage car les brebis n’aiment pas le pâturer.

 

Ne pas aplatir son méteil

L’exploitation de l’EPL de Saint-Affrique a mené un essai pour quantifier l’intérêt de l’aplatissage des grains d’un méteil composé d’orge et de pois. « Dans cet essai, l’aplatissage du pois n‘a démontré aucun effet positif sur la production ou la qualité du lait. Les brebis ont produit en moyenne 30 ml de plus par jour, ce qui ne compense pas le coût de l’aplatissage. Dans un essai en caprin sur l’EPL du Pradel, les chèvres ont reçu un mélange d’orge et de féverole, aplati ou non. Les résultats montrent également un effet très faible de l’aplatissage qui ne se révèle pas intéressant économiquement » explique Barbara Fança.

Christophe Rainon conseiller ovin allaitant dans la Nièvre

Bien gérer son pâturage tournant pour ne pas gaspiller d’herbe

 

 
Christophe Rainon, conseiller ovin allaitant à la Chambre d'agriculture de la Nièvre.
Christophe Rainon, conseiller ovin allaitant à la Chambre d'agriculture de la Nièvre. © B. Morel
« Dans ma zone, les éleveurs qui font du pâturage tournant sont dans des systèmes herbagers et ils calent les mises bas sur la pousse de l’herbe. Les agnelages sont en février. La mise à l’herbe est souvent autour du 25 mars quand la météo le permet et qu’il y a assez d’herbe. Les animaux sont en pâturage tournant jusqu’à fin juin quand la pousse de l’herbe diminue. Au début, on peut faire une transition et sortir les brebis et leurs agneaux la journée et les rentrer la nuit. Je déconseille de les laisser la nuit tant que les agneaux ont moins de trois semaines pour éviter la prédation par les renards. Si le mois d’avril est froid et sec, il peut falloir complémenter les animaux au pâturage. En pâturage tournant, les brebis passent une semaine par parcelle et elles y reviennent au bout de trois semaines ou un mois. En moyenne, on compte 50 ares/UGB mais ça varie de 45 à 65 ares/UGB en fonction du potentiel des terrains. Au printemps, ça permet de bien gérer la pousse de l’herbe et de ne pas gaspiller. Au besoin, on peut faucher une des parcelles et tourner sur celles qui restent si la pousse est très bonne. La bonne gestion du pâturage tournant est primordiale au printemps. En été et en automne, il a peu moins d’intérêt dans nos régions où on risque moins de gaspiller l’herbe. A titre d’exemple, je fais le suivi d’un éleveur qui a 65 ares par UGB et un chargement instantané de 25 couples mère agneaux par hectare. En moyenne, les brebis ont tourné tous les sept jours avec 4,3 cm d’herbe à l’entrée et 3 cm à la sortie. L’herbe est plus courte que ce qui est préconisé dans la littérature scientifique mais l’éleveur a des terres à faible potentiel et un chargement un peu plus léger. Finalement, le pâturage tournant ne dépend pas que de la hauteur d’herbe mais surtout de la météo, de la pousse de l’herbe, du potentiel agronomique des sols et de l’expérience de l’éleveur. Je conseille aussi de suivre les bulletins de pousse de l’herbe de votre région. »

 

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