Les mille vies d’un passionné de la brebis et du pastoralisme
Éleveur transhumant du Béarn et fervent défenseur du monde pastoral, Olivier Maurin participe à l’amélioration de la race basco-béarnaise et à la protection du fromage d’estives.
Éleveur transhumant du Béarn et fervent défenseur du monde pastoral, Olivier Maurin participe à l’amélioration de la race basco-béarnaise et à la protection du fromage d’estives.

Si vous passez par Asasp-Arros, à quelques minutes d’Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques, un mardi soir, vous sentirez la bonne odeur de l’agneau qui cuit au barbecue, avant de distinguer les voix puissantes des chanteurs pastoraux. Bienvenue aux estivales de Payssas, dans la bergerie d’Olivier Maurin.

Originaire d’Arette, il élève 250 brebis basco-béarnaises, 150 porcs gascons et 11 bœufs béarnais sur les 30 hectares regroupés autour de la bergerie. « Initialement en vaches laitières, la ferme a été un coup de cœur. Je n’ai pas pu refuser. » Avant son installation à 25 ans, il obtient un BTS agricole et travaille trois années comme salarié à la ferme du lycée agricole d’Oloron-Sainte-Marie.
Un atelier porc complémentaire
Non issu du milieu agricole, Olivier connaît pourtant tout des brebis. « Depuis mes dix ans, j’ai passé mes étés sur les estives avec des bergers, raconte-t-il. Mais en m’installant, il fallait faire les foins, j’ai donc dû lâcher la garde de mes brebis. » Il fait alors appel à une bergère expérimentée, Clémence Machado, pour gérer la conduite du troupeau en estive.
Mais l’amoureux de la montagne s’ennuie, alors il développe l’atelier porcin. « Les porcs gascons, c’était comme une évidence. Et puis les clients en raffolent, on arrive à peine à répondre à la demande. » L’éleveur reconnaît qu’ils mangent trois fois plus que les autres races, à cause de leur croissance très lente. « Mais ils sont très dociles, on peut facilement les monter en estive. »
Avec son associé de l’époque, il s’intéresse déjà à l’agritourisme. Mais alors que la crise sanitaire vient catapulter certains projets, d’autres sont lancés encore plus fort.
Rebondir pour mieux s’épanouir
En 2020, lorsque la Covid-19 impose la fermeture des marchés, où l’éleveur faisait griller ses agneaux de lait deux à trois fois par semaine, il a fallu trouver une solution. Puisque les brebis quittent la bergerie de juin à septembre pour se rendre en estive, pourquoi ne pas faire griller ses agneaux dedans ? « Les gens avaient besoin de se retrouver durant cette période si particulière, et comme nous proposions de la restauration en extérieur, nous étions dans les clous. »

Vacanciers, locaux, éleveurs… parfois jusqu’à 500 personnes viennent profiter de la viande de qualité et du cadre atypique que propose la Ferme du Payssas. « Nous avons écoulé comme cela 800 kilos d’agneau stockés en congélation depuis le début de la Covid-19, confie-t-il. Les estivales ont tellement bien marché que nous n’avions plus besoin de nous rendre sur les marchés. Et le côté convivial est très sympa. »

À Pau, le magasin de producteurs fonctionne très bien lui aussi. Ouverte en 2020, la boutique « Les fermiers du Béarn » fait découvrir les produits de neuf éleveurs de la région. « Les bonnes ventes ont permis de lever le pied sur le magasin à la ferme. » Et des produits, il y en a ! L’éleveur fait transformer la viande en charcuterie, pâtés, civet de brebis, boudins, rillettes, moussaka, graisserons, … En plus, il vend six tonnes d’Ossau-Iraty par an. Il expédie également ses produits jusque dans la capitale.
Engagé pour l’agropastoralisme
Inscrit dans un schéma de sélection, le troupeau est mis à la reproduction début juin, dont la moitié à l’insémination animale. Six béliers génomiques sont introduits, un pour 30 à 40 brebis, pour les retours. L’éleveur croit en l’importance de la génétique dans le milieu agropastoral. « Un travail énorme a été fait en brebis lait. On a la meilleure génétique du monde. »
Très impliqué dans l’avenir de la race basco-béarnaise, Olivier Maurin est président de l’organisme de sélection (OS) des races ovines laitières des Pyrénées, appartenant au Collectif des Races de Massif (Coram). « On travaille à rendre la brebis basco-béarnaise plus performante, tout en améliorant sa rusticité, qui est mise à l’épreuve avec le changement climatique. »
« Dans le Béarn, le pastoralisme s’est construit autour du fromage d’estive »

Fervent défenseur du mode de vie pastoral, il a participé avec le Coram à faire reconnaître la transhumance au patrimoine mondial de l’Unesco. L’éleveur fait également partie du conseil d’administration de France génétique élevage, de Races de France et de la Fédération nationale ovine (FNO). Mais il s’inquiète de l’avenir du métier. « On veut des brebis précoces car c’est plus confortable de faire du fromage l’hiver. Donc continuera-t-on à faire du fromage d’estive ? Dans le Béarn, le pastoralisme s’est construit autour du fromage d’estive. »
Aujourd’hui, sur l’ensemble des Pyrénées-Atlantiques, 95 % de la production d’Ossau-Iraty est industrielle. Mais la majorité des éleveurs béarnais transforment leur lait à la ferme. « Le fromage d’estive développe des saveurs très fruitées, c’est une vraie plus-value. » Si son fromage d’estive est tant apprécié, c’est aussi grâce à la bergère-fromagère qui le fabrique.
Traite à la main pour l’Ossau-Iraty d’estive

Clémence Machado travaille toute l’année sur la Ferme du Payssas, mais ce qu’elle préfère, c’est l’estive. Dans sa cabane tout équipée, elle vit avec un autre berger salarié et un stagiaire. Le binôme s’organise pour garder les 800 brebis de trois troupeaux réunis. En pleine zone Natura 2000 et à Haute valeur environnementale (HVE), les salaires des bergers sont pris en charge à 80 % par l’État. « Sans ces aides, on ne pourrait tout simplement plus monter en estive », souligne Olivier Maurin.
Les 70 litres récupérés après la traite sont directement transformés dans la fromagerie de la cabane. « Le lait refroidit la nuit, ce qui favorise la qualité. En estive, on brasse le lait à la main », explique la fromagère en plongeant son bras dans la cuve.
En temps normal, Clémence est équipée d’un trayeur. « Mais quand la génératrice est tombée en panne, on a dû traire à la main et on a eu envie de continuer. » Habituées à la machine de traite en hiver, les brebis doivent se réhabituer à la traite manuelle. « Certaines dansent un peu, mais elles prennent vite le pli. Et puis ça nous fait moins de nettoyage. »

Les deux bergers parviennent à boucler la traite en deux heures. « Il y a moins de lait en estive car elles sont taries au 15 août. » Après la fabrication du fromage, le petit-lait est distribué aux neuf cochons qui les accompagnent dans les quartiers d’été. « Le petit-lait de brebis est très riche, il fait décoller la croissance des cochons », explique-t-elle pendant que ceux-ci se ruent sur la mangeoire.
Les fromages sont affinés entre six et dix mois dans la cave d’affinage, en face de la cabane. En moyenne 200 tommes sont vendues sur l’été, parfois directement en estive. Car depuis peu, Olivier Maurin s’est inscrit aux « Cabanes ouvertes », un programme agrotouristique mis en place par l’Association des éleveurs et transhumants des vallées béarnaises (AETVB), pour faire découvrir le pastoralisme au grand public.
Vers l’autonomie protéique
L’éleveur complémente ses brebis avec 600 g de concentrés l’hiver, grâce aux dix hectares de maïs et de soja produits sur la ferme. « En Béarn, le climat est idéal pour les céréales, mais je dois acheter de la luzerne. » Il sous-traite les récoltes et le toastage du soja, mais effectue le travail du sol lui-même. La salariée à temps partiel, les deux apprentis et le stagiaire qu’il parraine pour reprendre son exploitation l’aident grandement pour les travaux à la ferme.
Il arrive également que les brebis pâturent sur les couverts que les voisins mettent en place entre deux cultures de céréales. L’éleveur a même déjà transporté ses brebis jusqu’à Bordeaux pour faire paître ses brebis chez un ami viticulteur.
Mais avec tout ça, l’éleveur de 43 ans a le mal de la montagne. À la fin de l’année, le locataire actuel de la montagne met fin à son contrat, laissant l’opportunité à Olivier Maurin d’en récupérer une partie. « Si le projet aboutit, j’investirai dans une machine à traire pour l’estive. » Il envisage ainsi de décaler l’agnelage pour avoir plus de lait en été et faire plus de fromages d’estive, ceux qu’il préfère.
Sensibiliser en toute convivialité

« Il y a toujours eu de la prédation, la dernière femelle ours est morte ici, dans les années 1980. » Olivier Maurin explique l’histoire et les enjeux de la prédation dans les vallées béarnaises à une dizaine de vacanciers venus découvrir les estives. Son troupeau n’a pas subi d’attaque, notamment car il se déplace toute la journée avant de rentrer dans les parcs le soir. Les bergers se relaient pour déplacer les brebis sur huit à dix kilomètres et 600 mètres de dénivelé tous les jours. « Historiquement, les basco-béarnaises sont toujours sur les routes, elles ont de bonnes capacités de marche. »