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Le règlement zootechnique européen redistribue les cartes de la génétique

Dans la nouvelle organisation de la génétique française, les organismes de sélection voient leurs responsabilités et leurs pouvoirs de décision élargis. Quelle place sera laissée à la dimension collective et va-t-on assister à une poursuite de la mutualisation ?

À compter du 1er novembre 2018, le règlement zootechnique européen constituera le nouveau cadre réglementaire pour la génétique française. Il redistribue largement les cartes du dispositif avec lequel la sélection fonctionne en France depuis plus de cinquante ans. Autant dire que depuis deux ans que son application se prépare et les échanges entre les différents métiers de la génétique ont été nourris. L’organisme de sélection voit en effet ses missions réglementées s’élargir, et se retrouve en position de pierre angulaire du dispositif. La certification de la parenté des ruminants, le contrôle de performances, la tenue du livre généalogique, l’évaluation génétique des reproducteurs et la publication des résultats seront réalisés sous la responsabilité de l’organisme de sélection — les schémas de sélection restant mis en œuvre par les entreprises de sélection en dehors du champ réglementaire. Pour s’acquitter de ces tâches, l’organisme de sélection pourra déléguer à des organismes tiers, qui deviendront de ce fait prestataires. On passe d’un système administré qui était délégué à la profession, à un système fondé sur la contractualisation.

Races de France, dans le cadre d’un groupe de travail piloté par la Confédération nationale de l’élevage (CNE), réfléchit à un système qui permettra la couverture du territoire et ceci pour toutes les races. Il sera probablement inspiré du système universel de l’IA, avec d’autres mécanismes à définir. « Notre volonté, partagée avec la profession et l’administration, est que le dispositif permette à tout éleveur de participer à la création de l’offre génétique et d’y accéder », a énoncé Jean-Luc Chauvel, président de Races de France lors de l’assemblée générale fin juin.

À l’approche de l’échéance du 1er novembre, les contractualisations sont bien avancées. Une bonne partie des organismes de sélection historiques - ceux qui ont été agréés avant le 1er novembre 2018 – vont déléguer le contrôle de performances au réseau France conseil élevage. « Soit ils contractualisent avec chaque organisme local, soit ils contractualisent avec la fédération qui elle-même assure le respect du contrat sur l’ensemble du territoire », explique Christophe Lecomte, de France conseil élevage. Des modèles de clauses ont été élaborés collectivement pour permettre à chacun de construire sa convention, dans l’objectif que le service soit homogène d’un organisme de contrôle de performances à l’autre. Pour assurer le calcul des index, l’évaluation génétique ne relevant plus de l’Inra, l’association GenEval a été créée par Races de France et Allice. Le calcul des index laitiers s’est bien passé en juin, et le travail de routine pour l’ensemble de l’indexation sera opérationnel à l’automne. Pour la diffusion des index, des discussions sont en cours avec l’Institut de l’élevage (qui n’en a plus la responsabilité réglementaire) pour la mettre en œuvre dans les meilleures conditions.

Un modèle économique à construire autour du big data

L’indexation représentera un coût qui ne sera plus pris en charge par l’État via l’Inra, et donc se traduira par une nouvelle ligne de charge dans le dispositif. Difficile d’avancer des chiffres pour l’instant, car le modèle économique n’est pas encore défini. Le règlement communautaire parle peu des systèmes d’information, mais le nôtre datant des années 80 et 90, sa refonte a été décidée. Le nouveau système ne sera pas prêt pour cet automne. Le système actuel avec les ARSOE continuera à fonctionner, et une bascule progressive vers le nouveau système sera organisée. « Une base de données professionnelle, qui pourrait être adossée au Spie (Système professionnel d’information en élevage), pourrait être le noyau d’un big data de l’élevage, a expliqué Jean-Luc Chauvel. Les données génétiques seraient apportées par un système d’échanges approprié, avec une gestion rigoureuse des droits et consentements. » En effet, jusqu’à présent, les données d’un éleveur en VA4 étaient systématiquement transmises à l’Inra pour le calcul d’index. Il faudra maintenant obtenir le « consentement éclairé » de l’éleveur.

Un ou plusieurs organismes de sélection par race ?

Qu’une race ait plusieurs organismes de sélection était déjà possible dans la loi française. Mais jusque-là, le pas n’avait pas été franchi. Le nouveau règlement européen, en changeant le cadre des réflexions, met cette potentialité davantage en lumière. « Nous avons toujours pensé qu’un Livre généalogique par race était la seule manière sérieuse de gérer durablement nos ressources génétiques - ces races dont tout le monde se fait une fierté, a affirmé Jean-Luc Chauvel lors de l’assemblée générale de Races de France fin juin. Au cas où il y aurait plusieurs livres pour une même race, soit les organismes de sélection se mettent d’accord pour mutualiser leurs données, et la race peut être gérée de manière homogène comme s’il n’y avait qu’un livre, soit il n’y a pas d’accord entre les organismes de sélection. Il faudra alors aller jusqu’au bout de la logique et considérer que l’on a des populations disjointes. »

Les scénarios seront variés. Un organisme peut être à la fois organisme de sélection agréé et entreprise de sélection.
C’est le cas de la Rouge des Prés, race à effectif moyen avec des noyaux d’élevage dans différentes régions hors de son berceau. "Le nouveau règlement ne fait tout simplement pas débat. Notre organisation y est déjà conforme », explique Albéric Valais, directeur de la Sica Domaine Rouge des Prés.
En race Limousine, l’étroite collaboration entre France Limousin Sélection (organisme de sélection) et Créalim (entreprise de sélection) devrait permettre de conserver une organisation raciale unique et mutualisée.
En race Montbéliarde, il y aura trois organismes de sélection, constitués à partir des trois entreprises de sélection historiques. "L’organisme de sélection d’aujourd’hui disparaît au bénéfice d’une association qui rassemble ce que les trois nouveaux organismes de sélection accepteront de mettre en commun », a expliqué Alain Vuaillat, président de Montbéliarde association lors de l’assemblée générale de Races de France. « Tout n’est pas rose, il faut chaque jour s’attacher à trouver de nouveaux compromis. Mais nous n’avons tout simplement pas les moyens de perdre 5 ou 10 % d’animaux dans le livre. »
En race Charolaise, Gènes Diffusion et une vingtaine d’associations et de coopératives avaient créé ensemble en 2016 Charolais +. Cette association a vocation à devenir un nouvel organisme de sélection. Au début de cet été 2018, il semble que le dialogue avec l’organisme de sélection historique Charolais France soit rompu et que la scission du livre généalogique soit inévitable. D’ailleurs le Journal officiel du 8 août dernier annonçait la reconnaissance de Charolais + comme étant le second Organisme de sélection de la race Charolaise.

« Notre ambition pour les éleveurs est une construction collective », a rappelé Bruno Colin, représentant de la Confédération nationale de l’élevage, lors de l’assemblée générale de Races de France fin juin. Pour Michel Cêtre, président d’Allice, « le privé n’est pas antagoniste avec le collectif. Clairement, l’ensemble des partenaires souhaitent conserver un fonctionnement collectif », a-t-il assuré ce même jour. La mutualisation et le collectif n’empêchent pas les évolutions individuelles et la diversification. Sans mutualisation, il serait difficile de conserver une indexation aussi qualitative que celle d’aujourd’hui. Et l’objectif partagé par tous est que le nouveau dispositif génétique français soit moins coûteux. L’avenir nous dira quel équilibre va s’opérer en France entre les schémas collectifs et les schémas privés.

Une ouverture sur l’Europe

L’un des objectifs du règlement zootechnique européen est la libre circulation des reproducteurs et de leur matériel génétique, ainsi que des services au sein de l’UE. Un organisme de sélection aura la possibilité d’être européen. La logique par zone géographique et par métier qui prévalait dans le dispositif français disparaît. Races de France cherche à faire régler le curseur de l’application du texte européen de façon à ce que la France ne devienne ni trop ouverte, ni trop fermée par rapport à la concurrence étrangère.

L’organisme de sélection gagne en pouvoir de décision

Le contrôle de performances, selon le règlement zootechnique européen, est de la responsabilité de l’organisme de sélection. On pressent sur le moyen terme la volonté pour eux de disposer d’informations qui correspondent plus spécifiquement à leurs objectifs de sélection, avec des protocoles adaptés à leurs différents phénotypes. Par exemple si aujourd’hui le pointage au sevrage est homogène pour toutes les races allaitantes — il est fait au même âge et sur les mêmes postes — cela pourrait évoluer à l’avenir. Un effort pourrait aussi être décidé sur certaines informations, par exemple la vérification des données de naissance. Et dans l’objectif de parvenir à élargir la base de sélection, certains pourraient réfléchir à alléger globalement le protocole par rapport au VA4 standard d’aujourd’hui. « Notre position nous amène à nous reposer la question : de quelles informations a-t-on besoin pour travailler ? », explique par exemple Pierre Arsac, directeur-adjoint de l’OS Aubrac. « Ceci avec la limite que les campagnes n’ont pas changé, ni les comptes en banque de chacun. » Chaque organisme de contrôle de performances se devra d’être agile et réactif.

À noter

Comme aujourd’hui, un éleveur ne sera pas obligé d’inscrire ses animaux au livre généalogique pour pourvoir disposer demain des valeurs génétiques des animaux de son élevage.

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