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Gaec Vert Val en Haute-Savoie
Un système herbager complexe et sensible aux aléas climatiques

En zone reblochon, le lait est bien payé mais les contraintes de production sont fortes, liées au cahier des charges de l’AOP reblochon et à une urbanisation galopante qui complique beaucoup le travail.

C’est une des singularités de la filière AOP reblochon : produire du lait d’hiver avec un système herbager où les vaches doivent pâturer pendant 150 jours au minimum. D’affinage assez court, le fromage est davantage consommé en hiver. « Au printemps, quand l’herbe est riche et abondante, on ne peut pas produire au maximum », explique Yves Besson, en Gaec avec sa compagne, Nicole Duret, et Henri Deluermoz, à Nangy en Haute-Savoie. De mars à juin, ils ne doivent pas livrer plus de 21 % de leur référence et le lait est payé 60 euros/1 000 l de moins (prix de base). Le surplus est rémunéré au prix B, soumis à la conjoncture. « Le système de production est complexe dans le sens où il faut donner un coup de frein assez fort en jouant sur la saisonnalité des vêlages, explicite Nathalie Sabatté, chargée de mission systèmes laitiers à la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc. Mais, cela ne suffit pas dans un système où la qualité des fourrages, très dépendante des conditions climatiques, impacte énormément la production. » Le Gaec Vert Val élève 75 Montbéliardes. La majorité des vêlages ont lieu de juillet à novembre. « Techniquement, c’est très dur, dit Henri Deluermoz. Il faut inséminer au bon moment et remettre les bonnes vaches qui se décalent dans les clous. Beaucoup de vêlages arrivent en même temps, à une période où il faut faire les regains, qui ont une importance capitale dans notre système. »

Sensibilité du système aux aléas climatiques

La campagne 2016 est symptomatique de la sensibilité de la production aux conditions climatiques : le Gaec a livré 413 000 litres de lait contre 472 000 litres en 2015. Elle a subi la double peine : la canicule en 2015 donc peu de regain et des vaches qui ont décroché dès le début de lactation ; une météo exécrable en 2016 qui a fortement affecté les récoltes (foin de mauvaise qualité et regain peu abondant) et perturbé également les débuts de lactation. Résultat : 60 000 litres de moins. La campagne qui vient de démarrer s’annonce au contraire très bonne. L’exploitation est située en moyenne montagne (460 m d’altitude), dans l’obligation donc de n’utiliser que des fourrages produits dans la zone d’appellation (75 % pour les exploitations au-dessus de 600 m). Elle subit une très forte pression foncière liée à l’urbanisation mal maîtrisée de cette zone frontalière de la Suisse (voir ci-contre). Le Gaec exploite 105 hectares, dont 90 ha en baux verbaux. Le parcellaire est très dispersé (130 parcelles en 92 îlots). Mais, la presque totalité de la surface est labourable. L’exploitation produit ses céréales (12 à 14 ha d’orge, blé et maïs grain). Les trois générations de génisses (3 lots de 17 pour des vêlages à 35 mois) passent la saison d’herbe dans un alpage collectif utilisé par trois éleveurs. « Nous faisons pâturer les vaches de mars jusqu’à novembre, nous produisons nos céréales et nous sommes autonomes en fourrages », résument les éleveurs. « Le prix du lait peut paraître élevé [512 €/1 000 l], mais il est justifié pour couvrir les surcoûts liés au territoire et à la saisonnalité de la production », ajoute Nathalie Sabatté.

Le séchage en grange, difficile à rentabiliser

Si le séchage en grange a été envisagé, le Gaec Vert Val n’a jamais franchi le pas, principalement pour des questions de coût. « Je reste convaincu que le séchage est intéressant sur le plan technique mais qu’il est antiéconomique », tranche Yves Besson. « Le séchage apporte de la souplesse et de l’efficacité dans le travail tout en sécurisant le système fourrager lors des années compliquées, abonde Nathalie Sabatté. Il permet aussi de récolter et de sécher les dernières coupes en zone de montagne. Mais, en Haute-Savoie, nous cumulons deux effets qui mettent à mal sa rentabilité : des coûts de construction des bâtiments, indexés sur ceux des maisons d’habitation, qui sont de 30 à 50 % plus élevés qu’ailleurs, et des parcellaires éclatés. Dès lors, les économies de coût de concentré ou le gain de production ne peuvent à eux seuls compenser les surcoûts de construction et de fonctionnement. Dans nos études coûts de production, nous observons très peu d’écart de quantité de concentrés, en grammes par litre, entre les éleveurs qui sont équipés de séchage et ceux qui ne le sont pas, sauf lorsque la météo complique les récoltes de printemps, comme cela s’est produit en 2016. »

Plutôt que d’investir dans le séchage, le Gaec a préféré travailler sur le pâturage et a commencé à introduire, l’an dernier, de la luzerne en mélange pour sécuriser le système fourrager. Il comprend 8 kg de luzerne, 10 kg de fétuque élevée, 6 kg de RGA, 4 kg de dactyle, 1 kg de trèfle violet et 2 kg de trèfle blanc. L’objectif est de faucher le plus tôt possible la première coupe et de la distribuer en vert en complément du pâturage pendant trois semaines (fin avril - début mai). La deuxième est récoltée en sec et la troisième de nouveau utilisée en vert, à partir de début août, pour bien démarrer les lactations. « Nous observons les effets du changement climatique : nous faisons moins de regain qu’avant. Nous irons de plus en plus vers de l’affouragement en vert, au printemps pour faire du regain derrière, et à l’automne pour faire du lait », prévoient les éleveurs. Ils ont également fait des essais de chicorée.

« Aller chercher le bon fourrage au bon moment »

Le troupeau dispose d’un îlot de 23 hectares pour la pâture, dont 20 hectares utilisés en pâturage tournant par les vaches (30 ares/VL) en pleine pousse d’herbe. Un suivi des hauteurs d’herbe est réalisé toutes les semaines par un conseiller fourrages de la chambre d’agriculture, Guillaume Glémot. Il calcule le stock d’herbe parcelle par parcelle et établit un calendrier de pâturage. « On suit au millimètre ce qu’il prévoit », affirment les éleveurs. La distribution de foin est réduite au strict minimum, voire supprimée, selon la pousse d’herbe. En 2017, au cours des cent premiers jours de pâture, les deux tiers des besoins fourragers ont été couverts par la pâture. Le concentré se limite à 1-1,5 kg de céréale (mélange blé - maïs) par vache et par jour, voire 500 grammes à certaines périodes. « Il ne sert à rien de pousser la production au printemps et le lait doit coûter le moins cher possible pour dégager de la marge. »

La stratégie de complémentation change complètement à partir des vêlages. Elle démarre par une préparation au vêlage de trois semaines avec 3 kg de céréale et 500-600 grammes de tourteau (35 % MAT) pour monter à 5 kg de céréale et 2 kg de tourteau au démarrage de la lactation. Pendant l’automne, la distribution de foin se limite à 2-2,5 kg. « Dans les systèmes herbagers, il faut être opportuniste : aller chercher le bon fourrage au bon moment et se libérer des idées reçues sur la fibre solide qui serait nécessaire pour assurer la rumination, justifie Nathalie Sabatté. L’herbe a un effet tampon, elle se suffit à elle-même. » Depuis, la mise en place de cette conduite, les éleveurs ne fauchent quasiment plus de refus.

Réduction de la surface et projet de transformation

La ration hivernale est un mélange de foin de première coupe et de regain. Les proportions sont variables selon les disponibilités et la période. « Nous donnons le meilleur au démarrage pour bien réussir le début de lactation et moins produire en mars », expliquent les éleveurs. Le concentré est ajusté selon les valeurs des fourrages, analysés en début d’hiver, et distribué au DAC. Mais, pour simplifier, les quantités sont déterminées par tranches de production (plus de 30 litres, 22 à 30 litres, moins de 22 litres) et non à la vache, avec un maximum de 7 kg (4 kg de céréale, 3 kg de tourteau). La céréale peut être remplacée par de la VL s’il manque de la protéine, afin de ne pas dépasser 3 kg de tourteau.

« C’est un système efficace et bien maîtrisé », note Nathalie Sabatté. Mais, un système fragilisé par les incertitudes foncières. « Nous allons encore perdre du terrain, anticipe Nicole Duret. Une déviation est en projet et, même des zones non constructibles actuellement, un jour ou l’autre, nous échapperons. Pour de futurs repreneurs, la pérennisation de l’exploitation passera inévitablement par une restructuration du foncier et sans doute par une réduction de la surface et du cheptel associée à un projet de transformation. » La clientèle, au niveau de vie élevé, est aux portes de la ferme. L’idée est sérieusement dans l’air.

Chiffres clés

105 ha dont 12 de céréales (blé, orge, maïs), 54 de prairies temporaires et 39 de prairies permanentes. Sur les 93 ha de SFP, 52 sont fauchés en 1re coupe et 36 en 2e.
75 Montbéliardes
434 306 litres de référence
3 UMO
1UGB/ha SFP en 2016 (1,2 en 2015)

« Le plus gros stress : sortir et rentrer les vaches »

Jeter un œil à la vue aérienne de la zone sur Google Maps donne toute l’étendue du problème. Les villages sont tous réunis entre eux par un réseau continu de maisons d’habitation. L’exploitation du Gaec Vert Val est située à moins de 20 kilomètres de Genève, au débouché de la vallée de l’Arve et près d’une sortie d’autoroute. « Quand les frontaliers partent ou reviennent du travail, il est impossible de circuler avec un tracteur », racontent les trois associés. Mais, le pire, c’est d’amener les vaches à la pâture. La parcelle la plus éloignée est à 800 mètres, mais la route étroite sert de raccourci pour éviter les bouchons. On imagine l’impatience de ceux qui l’empruntent. « Sortir et rentrer les vaches, c’est un des plus gros stress de notre métier. Il nous est arrivé d’avoir jusqu’à 30 voitures derrière le troupeau. On évite les heures de départ pour les écoles et le soir après 17 heures », raconte Nicole Duret. Si les règles d’urbanisation sont moins laxistes qu’autrefois, la pression foncière reste très forte. « Aujourd’hui, les collectivités sont obligées de densifier les zones urbanisées. Mais, c’est trop tard. Le territoire est tellement mité qu’il y a des dents creuses partout, se désole Yves Besson. C’est l’enjeu agricole le plus important de la Haute-Savoie. » Les échanges parcellaires sont difficiles et les baux en bonne et due forme difficiles à obtenir. Chaque propriétaire caresse l’espoir d’un futur jackpot.

L’ostéopathie pour les vêlages difficiles

Les éleveurs se sont formés à l’ostéopathie (avec le GIE Zone verte) qu’ils pratiquent sur des veaux qui se lèvent mal ou ont des difficultés pour boire. Une technique qu’ils jugent très efficace. Après un vêlage difficile, ils manipulent aussi des vaches qui n’arrivent pas à se relever, avec l’aide d’un vétérinaire. « Il ne faut surtout pas essayer de la lever avec les pinces, explique Henri Deluermoz. On met la vache sur le dos pour voir si elle n’a pas de patte cassée. Puis, le vétérinaire la manipule tout le long de la colonne vertébrale. Ensuite, on lui amène à boire et à manger et on la laisse tranquille jusqu’à ce qu’elle relève toute seule. »

Avis d’expert

« Un système efficace avec peu d’aides »

« L’exploitation produit 150 000 litres de lait par personne. Cette productivité du travail, peu élevée, s’explique par le parcellaire et les conditions locales d’exercice du métier. Les associés n’ont donc d’autre choix que de rechercher l’efficacité économique. En 2016, elle a légèrement baissé car la production n’était pas au rendez-vous, mais elle reste très bonne. C’est d’autant plus remarquable que l’exploitation ne perçoit que 15 000 € d’aides par UTH, alors que dans les Savoie, on se situe plutôt entre 20 000 et 25 000 €. Parmi les fermes de référence en AOP reblochon, le Gaec Vert Val fait partie des mieux placés en matière de coût de production (675 €/1 000 l en 2016 mais 583 €/1 000 l en 2015), même si, à l’échelle française, il peut paraître élevé. La rémunération du travail représente le premier poste (196 €/1 000 l en 2016) en raison du volume de lait produit par UTH. La mécanisation et les charges de production sont bien comprimées. Le système était tendu en 2016, mais, en situation plus normale, il est capable de dégager 2 Smic/UTH. »

Nathalie Sabatté, chargée de mission systèmes laitiers
COMMENTAIRE TABLEAU EBE

Les ventes de lait ont été fortement affectées (- 39 000 euros) par la baisse de la production (- 60 000 litres) en 2016 et un léger recul du prix du lait (512 € contre 530 €), lié à une baisse du prix de base et à la production d’un peu de lait B très mal valorisé.

La revalorisation des aides PAC, qui s’est poursuivie en 2016, compense une petite partie de cette chute de la production. Mais, l’exploitation, située en zone simple défavorisée risque de perdre la totalité de l’ICHN (18 000 €) car la commune pourrait ne plus être classée.

Le coût du concentré comprend les cessions internes de céréales (8 025 €), qui couvrent 46 % des besoins totaux (117 t). Le tourteau (mélange de trois matières à 35 % de MAT) est assez cher (460 €/t) car il est non OGM et l’exploitation ne dispose pas d’un stockage important.

Les frais vétérinaires (6,4 €/1 000 l) sont très maîtrisés. Les animaux sont vaccinés contre les maladies respiratoires et les traitements antiparasitaires sont réalisés en fonction des coprologies.

La baisse de l’EBE (146 000 € en 2015) est équivalente à celle du produit brut, les charges restant en tout point équivalentes d’une année à l’autre. L’efficacité en souffre un peu (42 % d’EBE/PB contre 46 % en 2015). La situation a nécessité un prêt court terme de 50 000 euros.

Le taux d’endettement est de 43 %. Les annuités devraient baisser à 46 000 euros dès cette année.

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