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« Nous voulons concilier temps pour la famille et revenu »

Au Gaec Aron et Chère, en Loire-Atlantique, les trois associés ont mis le cap sur une stratégie d’investissement prudente mais efficace, et la mise en place d’un système simple.

Il est 16 h 30, Gaëlle et son frère Philippe vont chercher les vaches dans un paddock situé de l’autre côté de la route. Ce soir, ils assurent la traite et les soins aux veaux. Avec une 2x8 double équipement et sortie rapide, il faut compter deux heures hors lavage pour traire une centaine de vaches. De son côté, Olivier Plantard, le mari de Gaëlle, est parti andainer 6 hectares de dactyle. « Ici, tout le monde trait. Nous aimons tous ça », souligne Gaëlle Plantard. Philippe Marchand confirme, tout en ajoutant « surtout quand tout se passe bien ». C’est d’ailleurs généralement le cas. La rigueur dans la préparation des mamelles y est pour quelque chose. « Nous faisons systématiquement un prémoussage. Puis nous essuyons les trayons avec du papier. Nous faisons un post-trempage avec un produit iodé à effet barrière. » Les comptages cellulaires tournent autour de 100 000 cellules par millilitre. Le Gaec n'a pas été pénalisé sur le qualité du lait depuis dix ans.

Regroupement de deux exploitations distantes de 7,5 km

Avant de poursuivre, un petit tour en arrière s’impose pour comprendre l’organisation mise en place au Gaec. Suite aux départs en retraite de leurs parents respectifs, Gaëlle, Olivier et Philippe ont décidé de créer le Gaec Aron et Chère en regroupant les exploitations d’origine. Le Gaec a emprunté son nom aux deux cours d’eau situés à proximité de l’exploitation. Côté bémol, les deux sites sont distants de 7,5 km. Pour répondre à leurs attentes en termes de temps libre et d’efficacité économique, les associés ont mis en place un système qu’ils qualifient de « simple » et basé sur le partage des responsabilités. Concrètement, Philippe et Gaëlle gèrent le troupeau laitier. De son côté, Olivier est responsable du troupeau allaitant et des cultures. Emerick Robin, le salarié embauché à plein temps, est polyvalent. Il assure le travail d’astreinte un week-end sur deux avec Philippe.

L’atelier lait a été regroupé sur le site de la Brosse, à Sion-les-Mines, en juin 2009. Le Gaec a investi pour cela 371 000 euros, dont 248 800 euros pour le bâtiment (100 logettes), 54 000 euros pour la salle de traite, 50 000 euros pour la fosse et 18 200 euros pour les deux racleurs hydrauliques.

Un nouveau bâtiment à 3 865 euros par place

 
La salle de traite 2x8 extensible en 2x11 pourrait être remplacée par un robot de traite d’ici deux ans. © F. Mechekour

« Nous avons choisi une salle de traite 2x8 extensible en 2x11 pour ne pas trop investir. Nous avions pensé à un roto seize places pour réduire le temps de traite, mais cela coûtait trop cher. » La valorisation des anciens bâtiments a offert une solution économe pour loger les génisses, taurillons et vaches allaitantes.

Grâce à l’aide de leurs parents, Philippe et Olivier ont pu participer activement à la construction du bâtiment pendant les dix-huit mois qu’ont duré les travaux. Une stratégie d’investissement prudente (3 865 euros par place) couplée à de l’autoconstruction ont permis aux associés de franchir la première grande phase de leur projet sans mettre en danger leur trésorerie. Heureusement pour le Gaec qui, à peine créé, a dû faire face à la crise laitière.

Le plan de développement de l’exploitation (PDE) réalisé dans le cadre du projet d’installation de Gaëlle Plantard avait anticipé une partie de la baisse du prix du lait. « Le PDE nous a servi de bonne base. Le prix du lait était fixé à 285 euros pour 1 000 litres pour 2008, et à 260 euros pour 2013. » Malgré cette anticipation, les 237 euros pour 1 000 litres affichés sur la feuille de paye de lait d’avril 2009 ont marqué les esprits. D’autant que, faute de rallonge accordée par Laïta, il n’était pas possible de compenser une partie de la chute du prix du lait par une augmentation de la production au-delà des rallonges accordées par la PAC.

Le maintien des ateliers viande et cultures de vente a contribué à limiter autant que possible la baisse du chiffre d’affaires. Depuis, la structure a conservé une surface quasi équivalente (181 ha). En revanche, la part des trois ateliers a évolué. La référence laitière du Gaec est en effet passée de 700 000 litres à plus d’un million de litres de lait, dont 800 000 litres en volume A. En 2018, les cultures de ventes et la production de viande ne contribuaient plus qu’à hauteur de 7 et 15 % respectivement au produit brut total, contre 25 % en 2009.

Abandon de la production des taurillons holstein

Les vêlages des allaitantes sont groupés au printemps pour optimiser le temps de travail. Les génisses sont inséminées après synchronisation des chaleurs. © L. Plantard

La contribution de l’atelier viande bovine va continuer de baisser suite à l’arrêt de la production de taurillons laitiers (entre 40 et 50 par an). Cette décision a été prise en 2018 pour diminuer la charge de travail, désengorger la nurserie qui n’a pas été agrandie et limiter la concurrence sur l’utilisation des fourrages de qualité avec le troupeau laitier. Ce choix va permettre d’économiser une centaine de tonnes de matière sèche d’ensilage de maïs par an.

L'élevage de Blonde d’Aquitaine reste en revanche d’actualité. Les vaches sont valorisés en filière label rouge ou via la filière de qualité d’Anvial. « Avec les vaches allaitantes labellisées, nous réalisons une plus-value d’environ 0,5 euro par kilo de carcasse. " Une quinzaine de JB sont produits chaque année.

La finition des vaches laitières réformées contribue également à soutenir le produit viande. « Nous essayons de les engraisser pour qu’elles soient classées en « O » plutôt qu’en « P ». En tant qu’éleveur, c’est plus satisfaisant », souligne Pilippe Marchand. L’année dernière, la vente de 28 vaches de réformes (334 kg de carcasse à 2,72 €) a rapporté 25 460 euros au Gaec.

La recherche de plus d’efficacité et de confort de travail a aussi conduit les associés à réinvestir dans le bâtiment des vaches laitières en 2018. Le tout sans perdre de vue l’objectif de maintenir le niveau des annuités autour de 60 euros pour 1 000 litres. Les travaux en cours vont permettre d’augmenter la capacité de logement de 36 places d’ici septembre 2019. Le montant total de l’investissement s’élève à 120 000 euros. Le Gaec va bénéficier d’une aide à l’investissement de 30 000 euros accordée dans le cadre d’un PCAE. « Notre objectif est de pouvoir loger les vaches taries et les préparations au vêlage dans le même bâtiment afin de pouvoir mieux les alimenter, les surveiller et les manipuler seul.  »

Sécuriser la ration en énergie avec du maïs épi

Un filet brise-vent à ouverture modulable a été installé sur le pan sud de l’extension et une partie de l’ancienne stabulation. Coïncidence des calendriers, l’entreprise a terminé les travaux une semaine avant la canicule de juin. Le bardage bois récupéré sur une partie de l’ancien long pan a été réinstallé sur la façade nord de l’extension. « L’installation du filet brise-vent sur une surface de 130 m2 nous coûte 16 700 euros. Mais nous avons choisi un filet constitué d’une partie en bâche ajourée particulièrement solide. » L’investissement dans des ventilateurs ou des brumisateurs est en cours de réflexion.

Les éleveurs se penchent actuellement sur les moyens de sécuriser la ration des vaches laitières. En 2018, la mauvaise qualité des ensilages de maïs a fait baisser les livraisons de lait de 100 000 litres par rapport à 2017. « Cela pose la question de l’intérêt de sécuriser leur ration en énergie avec du maïs épi ou du maïs grain humide », souligne Jean-Claude Huchon. La production de méteil est une autre voie suggérée par le responsable du réseau de fermes Inosys de Loire-Atlantique pour produire plus de fourrage de qualité. Un essai est prévu cet automne.

En hiver, la ration se compose d’un tiers d’ensilage de RGI et de deux tiers d’ensilage de maïs. L'ensilage de RGI est issu d’une première coupe. " Nous essayons de la faire le plus tôt possible pour obtenir un fourrage de qualité. » L’hiver dernier, le correcteur azoté (maximum 4,5 kg/VL/j) était à base d’un mélange de tourteau de colza (2/3) et de soja (1/3). Le Gaec s’était couvert en tourteau de soja sur un an : 150 tonnes au prix moyen de 310 euros la tonne, avec un écart de prix allant de 302 à 316 euros la tonne. Le tourteau de soja va cependant disparaître de la ration des vaches laitières en raison de l’adhésion du Gaec à la filière lait sans OGM et issu de pâturage. « Pendant la période de conversion de trois mois (de mi-juillet à mi-octobre), nous allons toucher une plus-value de 10 euros pour 1 000 litres. Elle passera ensuite à 15 euros pour 1 000 litres. » Hormis l’abandon du tourteau de soja, ce bonus n’a pas bouleversé la conduite de l’alimentation du troupeau laitier.

Adhésion à la filière lait sans OGM et issu de pâturage

Au printemps, quand la pousse de l’herbe est maximale, les éleveurs distribuent 5 kg MS d’ensilage de maïs et en moyenne 1,5 kg de correcteur azoté par vache par jour le soir. © F. Mechekour

 

Selon la valeur de l’ensilage de maïs, les éleveurs complètent la ration avec 1 à 2 kilos de triticale broyé par jour aux fortes productrices (plus de 30 kg de lait), primipares et fraîches vêlées. « Nous cultivons du triticale (16 ha) parce que nous avons des sols compliqués. Ils sont froids et argileux. La conduite du triticale est économe. On peut faire l’impasse sur un traitement fongicide. »

Le silo de maïs reste ouvert toute l'année

Le silo de maïs reste ouvert toute l’année. Mais le pâturage occupe une place importante dans le système (25 à 30 ares par vache au printemps). Le parcellaire s’y prête plutôt bien, avec 100 hectares accessibles autour des bâtiments et seulement une route peu fréquentée à traverser. Au printemps, quand la pousse de l’herbe est maximale, les éleveurs distribuent 5 kg MS d’ensilage de maïs et en moyenne 1,5 kg de correcteur azoté par vache par jour le soir.  « C’est un bon moyen pour les attirer avant la traite. "  La marge brute est doublée pendant cette période, précise Jean-Claude Huchon.

Les conditions climatiques de 2018 ont retardé la sortie des vaches jusqu’au mois d’avril. Il n’y a pas eu de pâturage en automne. « Nous n’avons pas pu déprimer les prairies et nous avons été obligés d’ensiler certaines prairies de RGA-TB. Tout cela a contribué à augmenter le coût alimentaire et à faire baisser notre EBE », souligne Philippe Marchand. Cette année, les vaches sont sorties dès le 23 février. Mais depuis début juin, un coup de chaud et l’absence d’eau ont plombé la pousse de l’herbe. Ce contexte remet au goût du jour l’intérêt d’introduire de la fétuque dans les mélanges prairiaux. « Si nous le faisons, pour éviter les problèmes de pertes d’appétence, nous serons certainement obligés de diminuer la taille des paddocks pour que les vaches y séjournent moins longtemps. » Leur taille moyenne est actuellement de 2,5 hectares. Les vaches y séjournent trois jours mais changent de parcelle la nuit pour éviter d'avoir à traverser la route.

 

Chiffres clés

SAU 181 ha dont 95 ha de prairies, 53 ha de maïs ensilage, 17 ha de blé et 16 ha de triticale
Cheptel 113 Prim’Holstein 9 400 kg et 29 vaches allaitantes
Référence 782 390 l (quota A) et 250 000 l en quota B
Lait livré 979 600 litres
Chargement 1,30 UGB/ha de SFP
Main-d’œuvre 3,6 UMO dont 1 UMO salariée

Une organisation établie lors de l'embauche du salarié

S’organiser de façon à prendre des congés et des week-ends est un objectif partagé par les trois associés.

 

 
Un planning annuel des week-ends et des vacances est disponible dans la salle de traite. © F. Mechekour

 

L’embauche d’un salarié à temps plein permet aux associés de prendre deux semaines et demie de vacances en été. « On arrête le mercredi soir pour essayer de se reposer avant de partir en vacances », souligne Olivier Plantard. Les éleveurs prennent aussi une semaine de congés en fin d’hiver. Chaque binôme prend un week-end sur deux, du samedi midi au lundi matin. En hiver, quand la charge de travail diminue, les associés prennent également une demi-journée par semaine. Gaëlle travaille à 60 % sur l’exploitation. Cette organisation a été discutée et établie au moment de l’embauche du salarié. Tout est planifié d’avance et inscrit sur un planning disponible dans la salle de traite. Les enfants des deux couples sont embauchés pendant une quinzaine de jours en été pour avoir au minimum deux, voire trois travailleurs sur l’exploitation au quotidien.

La charge de travail reste importante le week-end

Pour faciliter le travail du week-end, le paillage et la préparation des rations sont réalisés le samedi matin. Il n’y a pas de distribution de concentrés individuels pour les vaches, les génisses et les taurillons le dimanche matin. Malgré cette organisation, la charge de travail reste très importante le week-end. Le projet d’investir dans un robot de traite est à l'étude. « Nous y pensons, mais nous préférons attendre au moins deux ans, mais pas dix ans non plus car il ne nous restera alors que cinq ans à faire avant d’être à la retraite », commente Philippe Marchand.

Avis d'expert : Jean-Claude Huchon, de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire

« Le système est très efficace »

 

 
Jean-Claude Huchon, de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. « Le système est très efficace. » © F. Mechekour

 

« Le Gaec illustre le fait qu’il est possible d’être efficace d’un point de vue économique et technique avec un système simple basé sur du maïs toute l’année pour les vaches laitières et des rotations simples : prairies-maïs-céréales, sans luzerne ou autres fourrages. Le tout sans rogner sur les attentes des associés en termes de temps libre. Cela ouvre des perspectives pour d’autres éleveurs. Les associés ont par ailleurs mis en place une stratégie d’investissement qui s’inscrit dans la durée. Elle permet de lisser les annuités autour de 60 euros pour 1 000 litres tout en gardant un outil au goût du jour en prévision d’une transmission.

Beaucoup de choses ont déjà été faites pour optimiser l’efficacité globale du système. Côté travail, en 2017-2018, le temps d’astreinte a été évalué à 5 100 heures par an. Cela représente 5 heures pour 1 000 litres de lait, contre 6 à 7 heures pour 1 000 litres de lait dans les fermes laitières du réseau Inosys des Pays de la Loire. Néanmoins, il représente 15 heures par jour, d’où la surcharge de travail ressentie le week-end. L’investissement dans un robot de traite est donc en cours de réflexion. "

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