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Mobilisation collective pour mieux valoriser le lait de montagne

Les deux tiers du lait de montagne sont insuffisamment valorisés, alors que les atouts de la montagne sont en phase avec les attentes des consommateurs. Une réflexion collective a démarré pour les mettre en avant et mieux les valoriser.

« Le lait de montagne est en train de dévisser. On est arrivé au point de rupture. » Michel Lacoste, producteur dans le Cantal et représentant de la commission montagne du Cniel, n’a pas mâché ses mots lors d’une conférence organisée dans le cadre du Sommet de l’élevage le 1er octobre dernier. « Nous avons longtemps évolué dans un cadre avec des politiques publiques qui protégeaient la montagne. Sauf que ces politiques se sont étiolées. Le lait est rentré dans une situation de marchés beaucoup plus difficile ces cinq dernières années, et la montagne a subi de plein fouet ces évolutions liées à la fin de l’OCM lait avec des coûts de production bien supérieurs à ceux de plaine. » D’après les estimations du Cniel, le coût de production aux 1 000 litres est de 30 à 40 % supérieurs en montagne qu’en plaine. Résultat : la montagne se retrouve sous la menace d’une migration du lait vers les zones plus compétitives. De plus en plus de producteurs abandonnent le lait pour se tourner vers d’autres productions, surtout dans le Massif central, région qui de surcroît est durement touchée par des sécheresses à répétition. D’où l’urgence « de se mobiliser collectivement tant au niveau des acteurs de la filière que des pouvoirs publics », pour compenser le surcoût de production et de collecte, mais aussi créer de la valeur sur le lait de montagne.

Une spirale inquiétante dans le Massif central

Car deux tiers des 3,4 milliards de litres de lait de montagne sont insuffisamment valorisés et subissent de plein fouet la concurrence avec la plaine sur les produits de grande consommation, souligne l’Institut de l’élevage dans un récent dossier sur la montagne. Les appellations d’origine laitière y sont davantage présentes qu’en plaine : elles valorisent un tiers du lait de montagne, et un livreur sur deux est engagé dans une démarche d’appellation.

Mais le poids des AOP est très variable d’un massif à l’autre : plus de 80 % du lait dans les Savoie et le Jura, mais seulement 20 à 25 % dans le Massif central, le poids lourd du lait de montagne avec une production de 2 milliards de litres. Des efforts ont été faits dans ce massif sur la valorisation en AOP, longtemps quasi inexistante. Ils commencent à porter leurs fruits avec des prix pour 2018 supérieurs à 400 euros (plus-value minimum de 60 euros, approchant 100 euros pour le saint nectaire). Le lait bio a vu son volume multiplié par deux depuis 2017, mais il reste limité à 7 % du lait du Massif central. « Et il est surtout destiné au lait de consommation et se retrouve sur le même marché que le lait de plaine bio avec un coût de production supérieur », souligne Éric Richard, de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes. Il existe bien quelques démarches pour valoriser le lait de montagne (Mont Lait, MDD Carrefour…) mais leur impact ne dépasse pas 100 millions de litres.

Une démarche interprofessionnelle portée par tous les acteurs

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Face à ce constat, les acteurs de la filière montagne ont engagé l’hiver dernier une réflexion collective pour attacher le lait au territoire. « La montagne, c’est de l’environnement, des paysages, souvent aucun engrais minéral, beaucoup de surfaces en herbe qui participent au captage du carbone. C’est aussi de la gastronomie et du tourisme, plaide Michel Lacoste. Il s’agit de traduire collectivement ses atouts par du lait rémunérateur pour les producteurs et l’ensemble de la filière. »

Avec 70 % du lait de montagne collecté et 67 % de ce lait valorisé en conventionnel, les coopératives sont en première ligne. « C’est un sujet de préoccupation majeure pour les coopératives. Nous sommes conscients de notre responsabilité, affirme Damien Lacombe, président de Sodiaal et Coop de France métiers du lait. Nous avons la volonté de rassembler tout le monde autour d’une démarche montagne où l’on peut parler d’une seule voix. Il faut que d’ici à 6-8 mois l’on ait avancé. La démarche doit être interprofessionnelle et tous les acteurs doivent la porter, sinon elle n’aboutira pas. »

Il y a urgence à agir si l’on veut éviter que la chute libre vécue dans les Pyrénées (- 22 % de lait en dix ans !) ne se reproduise dans le Massif central. Un massif qui entre dans une spirale inquiétante : la production a chuté de 3 % sur les 12 derniers mois glissants. Et si jusqu’en 2017, chaque vache laitière qui disparaissait était remplacée par une vache allaitante, ce n’est même plus le cas aujourd’hui : depuis deux ans, le cheptel bovin diminue.

Le lait de montagne, c’est 40 000 emplois directs

Les acteurs de la filière attendent un accompagnement de leur démarche par les pouvoirs publics, à commencer par une compensation du surcoût de production et de collecte, par exemple dans le cadre du pacte productif. « L’enjeu dépasse la filière lait de montagne : il concerne la dynamique et la vitalité de nos territoires. Chaque fois que des producteurs quittent le lait, des emplois quittent le territoire, c’est moins d’enfants dans les écoles, moins d’activité dans les villages, toute une dynamique rurale qui se perd », lance Michel Lacoste chiffres à l’appui. Le lait de montagne crée près de 70 000 emplois directs et indirects. C’est aussi plus de deux fois plus d’emplois générés à l’hectare que les autres filières agricoles.

Deux scénarios ont été modélisés par le Cniel à l’échelle du Massif central et des Alpes pour mesurer l’impact d’une baisse de la collecte de lait à l’horizon 2024: un premier scénario poursuivant la tendance observée depuis 2014 (- 2,3 % collecte soit - 230 millions de litres sur 5 ans) et un deuxième reprenant les chiffres observés dans les Pyrénées (- 5,1 % soit - 480 millions de litres). La dissolution de la filière laitière de montagne aurait un impact drastique sur l’emploi avec respectivement 2 250 et 4 700 emplois supprimés. Et le coût économique et social est estimé entre 67,3 et 141,5 millions d’euros par an.

On est à la croisée des chemins « parce qu’il faut renouveler les générations et que la société attend autre chose en termes de bien-être, d’environnement…, ce qui va plutôt dans le bon sens pour la montagne, reconnaît Frédérique Gomez, commissaire de massif. C’est le moment de rendre plus visible une démarche lait de montagne. Cette mention spécifique doit être collective, englober ce qui existe déjà et le conforter. On accompagnera la démarche si elle est collective. »

Verra-t-on bientôt un logo "lait de montagne" ? Les AOP laitières et les produits bio ont bien le leur. Alors, pourquoi pas un logo pour identifier et valoriser tous les produits fabriqués à partir de lait de montagne ?

 

Un décrochage net dans l’ensemble des massifs

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• Le lait de montagne, c’est 22 % des livreurs français, 14 000 exploitations, environ 20 000 éleveurs et 3,4 milliards de litres collectés. Le Massif central concentre à lui seul 61,4 % des livreurs, devant le Jura (19,2 %), les Alpes (14,4 %), les Pyrénées (2,6 %) et les Vosges (2,4 %). En 2018, les élevages livraient en moyenne 260 000 litres en montagne contre 468 000 litres en plaine.

• Selon les massifs, les collectes ont connu des évolutions différentes sur la décennie 2009/10- 2017/18 : une croissance à deux chiffres pour les Vosges (+ 14 %) et le Jura (+ 17 %), de 9 % pour les Alpes, mais une chute de - 22 % pour les Pyrénées ! Le Massif central se situe à -1,5 % sur dix ans avec une accélération sur les deux dernières années.

• Le coût de production aux 1 000 litres est estimé à 610 € dans le Massif central, 775 € dans les massifs de l’Est (Savoie et Franche-Comté) contre 485 € en plaine (1). Il n’est compensé que partiellement par l’ICHN (environ 50 €/1 000 l). « L’objectif n° 1 est de demander la pérennisation et la revalorisation de l’ICHN et qu’elle ne soit surtout pas indexée sur le prix du lait, souligne Yannick Péchuzal d’Idele. Les dispositifs d’aides aux investissements doivent aussi être pérennisés. »

• Le surcoût de collecte est chiffré entre 10 et 15 €/1 000 litres. Chez Sodiaal, le coût de collecte est deux fois plus élevé en montagne qu’en plaine, la consommation de gasoil est deux fois plus importante et le nombre d’ETP salariés 2,3 fois plus élevé. La compensation pourrait prendre la forme d’un dégrèvement des charges sociales des chauffeurs, d’une défiscalisation du carburant, et d’un appui à l’investissement dans les camions de collecte et les outils industriels.

(1) Sur les réseaux de fermes de référence Inosys pour une rémunération de 2 Smic/UMO.

Dix millions de litres sous l’étiquette Mont Lait

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Dans le Massif central, 447 exploitations (soit 800 producteurs) de sept départements sont engagées dans la démarche Mont Lait créée en 2013. « L’Association des producteurs de lait de montagne (APLM) commercialisera en 2019 sous l’étiquette Mont Lait 10 millions de litres avec trois produits, le lait de consommation, la raclette et désormais le beurre (lancé officiellement le 26 septembre), affirme Dominique Barrau, président de l’APLM. Les produits sont conditionnés et fabriqués avec des entreprises partenaires : la Société fromagère du Livradois, la SLVA (lait UHT) et Les Montagnes d’Auzances (beurre) qui sont deux filiales de Terra Lacta. Toute utilisation de la marque Mont Lait ramène 10 centimes/1 000 litres à l’association dont 3 centimes reversés à l’entreprise pour payer les surcoûts de collecte. En 2018, la plus-value est en moyenne de 1 500 euros par exploitation. Un cahier des charges met en avant la consommation de l’herbe et les vaches qui sortent.

Le contrat de filière porte sur 30 millions de litres. Il permet de valoriser à 385 euros le lait de 400 producteurs du Massif central.

Un contrat quadripartite pour le lait de montagne Carrefour

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L’histoire de Carrefour avec le lait de montagne a près de 30 ans. L’enseigne est aujourd’hui un acteur important de ce lait avec 28-29 millions de litres sous sa propre marque. Un pas a été franchi le 2 octobre au Sommet de l’élevage avec la signature d’un contrat quadripartite entre l’enseigne, les 403 producteurs de la coopérative de collecte Coopal, son fournisseur Orlait et la SLVA qui assure la collecte et la mise en bouteilles. Le contrat porte sur 30 millions de litres sur trois ans « avec une concertation sur le prix et une transparence totale sur la rémunération : sur le contrat, il y a une ligne où sont mentionnés la valorisation Carrefour, un nombre de litres et le prix payé aux producteurs », souligne Marc Delage, responsable produits laitiers à marque Carrefour. Le prix de base négocié est de 385 euros/1 000 litres pour 2019.

De la visibilité et de la transparence

« Il y a un an, nous avons décidé de nous prendre en main, explique Jacques Cornelissen, président de Coopal. Nous livrons la totalité de notre lait (110 millions de litres) à la SLVA, qui est une filiale de Terra Lacta. Comme nous ne sommes pas adhérents de la coopérative, notre lait était payé 10 centimes de moins que celui des coopérateurs Terra Lacta. Nous avons décidé d’agir pour que la valorisation du lait de montagne revienne aux producteurs. Avec l’appui de la FNPL, nous avons donc interpellé Carrefour sur le prix. » L’appel a été entendu.

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"Le lait de montagne a cette touche de naturalité, d’authenticité que le consommateur cherche, c’est un vrai plus. Quand on est en rupture de lait bio, c’est vers le lait de montagne qu’il se tourne, affirme Marc Delage. 30 millions de litres de lait de montagne, cela représente 15 % de nos volumes, quasiment le marché du bio. C’est un engagement fort de Carrefour. » L’enseigne va chercher à développer les volumes en travaillant sur les conditionnements, le packaging et la communication. « Une histoire de 30 ans, ce serait dommage de ne pas en parler. »

A. C.

 

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