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« J'utilise beaucoup de semences sexées »

Le Gaec Chayriguès, en Aveyron, est un des piliers de la race Brune. Au-delà de la passion pour la génétique, c’est l’intérêt économique d’un lait riche et bien payé qui motive les associés.

Les deux chiffres 45/37 indiquent à eux seuls pourquoi le Gaec Chayriguès, à Séverac d’Aveyron, est un fervent défenseur de la race Brune. Ce sont respectivement les TB et TP moyens contrôle laitier des 85 vaches en production dont la moyenne économique tourne autour de 7 700 litres par vache. « Cela représente l’équivalent de mille litres de lait supplémentaire par vache », souligne Daniel Bouldoires, qui a suivi pendant quarante ans l’élevage. En 2018, le lait était rémunéré 384 €/1 000 l. Depuis février dernier et la mise en place du nouveau cahier des charges de l’AOP bleu des causses, le lait bénéficie d’une plus-value de 22 €/1 000 l. L’élevage Chayriguès fait partie du noyau historique qui s’est implanté au cours des années 1950 dans le Sud du Massif central. « Mon grand-père en avait déjà, raconte Clément Chayriguès, associé avec deux frères : Rémi et Denis. Quand je me suis installé en 1996, il y avait encore un quart de Prim’Holstein. J’ai développé la Brune pour la qualité du lait, ses aptitudes à la marche et la longévité de la race. » L’éleveur nourrit une véritable passion pour la génétique brune. Dans le Gaec, c’est son domaine.

L’indécence des prix des veaux mâles laitiers

« Le Gaec Chayriguès a été un des premiers élevages de la race où toutes les lignées étaient génotypées jusqu’aux arrière-grands-mères alors que le coût était beaucoup plus élevé (105 €) qu’aujourd’hui (43€) et à la charge des éleveurs, indique Jérôme Lagarde, technicien Brune génétique services chez Auriva. Le fait d’avoir démarré les génotypages très tôt a donné un élan à la génétique en permettant de faire des accouplements plus ciblés qu’avec la simple connaissance des ascendances. C’est un élevage à la fois performant et réactif et qui a su travailler des lignées en dehors du schéma. »

Outre le génotypage quasi systématique des femelles, l’élevage Chayriguès se distingue par une utilisation massive de semence sexée et son corollaire : la vente de génisses prêtes à vêler. Il vend aussi quelques femelles naissantes ou sevrées et des vaches en lactation. Il élève tous les ans trente-sept génisses. « Le Gaec Chayriguès génotype les femelles pour trier les meilleures, insémine avec les meilleurs taureaux sexés et, derrière, il vend des génisses », résume Jérôme Lagarde. Les trois associés exploitent 200 hectares de SAU, dont 45 hectares de parcours boisés qui ne peuvent être valorisés que par des génisses. « Je n’ai pas évalué s’il était économiquement intéressant de faire une utilisation aussi extrême de la semence sexée, concède Clément Chayriguès. On pourrait mettre davantage de croisement mais on ne valoriserait pas les parcours. Et vu l’indécence des prix des veaux mâles laitiers... » Les génisses prêtes à vêler sont vendues entre 1 500 et 1 800 €, les petites entre 400 et 700 € et les vaches en 2e ou 3e lactation entre 1 300 et 1 500 €. Les ventes d’animaux (42 000 €) représentent 14 % du chiffre d’affaires de l’atelier laitier, davantage que les ventes du deuxième cheptel (220 brebis viande). Les animaux sont vendus via l’UGP (Union génisse des Pyrénées) qui apporte les garanties sanitaires.

La semence sexée marche très bien

Le Gaec achète au minimum soixante-dix doses de semence sexée tous les ans. Une dizaine de vaches et génisses sont inséminées avec des doses conventionnelles pour le schéma de la race. Les treize à dix-huit génisses qui seront vendues prêtes à vêler sont triées avant la reproduction et ont droit à une dose de semence sexée avant de passer en conventionnel si besoin. Les vingt-quatre génisses conservées pour le renouvellement sont inséminées deux fois en sexé puis en conventionnel si nécessaire. Les quelques vaches de bon niveau génétique qui ont des soucis récurrents de reproduction mais qui n’ont pas de descendance sont fécondées avec des paillettes conventionnelles. Sur le reste du cheptel, les vingt-cinq vaches les moins bonnes sont mises en croisement avec des doses Inra 95 et toutes les autres inséminées deux fois avec de la semence sexée. En cas de nouveau retour, elles passent en croisement sauf si elles sont exceptionnelles. « La semence sexée marche très bien, assure Clément Chayriguès. Le taux de réussite en IAP est de 58 % pour les génisses et de 50 % pour les vaches. Sans doute parce qu’entre le vêlage et la 1re IA, je respecte toujours un intervalle d’au moins 80 jours. L’IV-IA1 en sexé est en moyenne de 90 jours. L’IVV (420 jours) n’est pas pour moi un critère de sélection. La Brune a la particularité d’avoir une bonne persistance laitière. » Pour l’anecdote, une vache a même fait trois fois des jumelles en sexé, et une autre des triplés.

« La production laitière par vache n’est plus ma priorité »

Si le troupeau est marqué par une vache toujours présente malgré ses 16 ans, Urgelle, le maintien d’une très grande variabilité génétique reste la priorité. Le Gaec achète des doses d’une quinzaine de taureaux différents tous les ans (au minimum 4 pour chacun), dont 80 % de génomiques. Coopelso, la coopérative d’IA, attribue des doses de trois taureaux à très haut potentiel génétique aux éleveurs selon le nombre de doses sexées et de taureaux génomiques achetés l’année précédente (No Decibel, Olympic Pp et O Malley pour la campagne en cours). Parmi les autres taureaux utilisés cette année par le Gaec : Barca, Canyon Cad, Duplago, Huge, Janco, Silk, LBB Onyx, Nesquick, Origan, Osbourne, Bays, Blower. « Dans nos objectifs de sélection, nous travaillons dans l’ordre prioritaire l’ISU, les mamelles puis les pattes et tous les caractères fonctionnels, précise l’éleveur. La production laitière par vache n’est plus aujourd’hui la priorité. » L’ISU moyen de l’élevage est de 123. L’éleveur achète aussi de temps en temps des embryons, toujours dans l’idée d’amener de la diversité génétique, et pour travailler les meilleures lignées, il fait une fois par an un transfert d’embryons en collectant deux à quatre donneuses. Tous les ans, il vend une génisse de haute valeur génétique lors de la vente aux enchères du Sommet de l’élevage.

« Je ne vends pas que les moins bonnes »

Ce même souci « d’hétérogénéité » guide tout autant le tri des génisses. « Tous les ans, je me creuse la tête pour le choix des filles à garder. J’évite de vendre celles qui sont issues des lignées de tête. Et, pour les lignées intermédiaires, je regarde si l’année précédente j’ai déjà eu une femelle ou pas. J’évite de garder deux filles d’une lignée intermédiaire. Du coup, je ne vends pas que les moins bonnes. »

Cette diversité génétique est payante. En quinze ans, l’élevage Chayriguès a placé sept taureaux à l’IA. Les six premiers (Malcolm, Mathieu, Jerry, Goldman, Dany, Hameau) provenaient de deux lignées de la famille d’Urgelle. Un septième a récemment été retenu dans une nouvelle lignée que les éleveurs travaillaient depuis quelques années. La génétique est un sport d’endurance.

Chiffres clés

SAU : 200 ha dont 15 ha de maïs ensilage, 25 ha de céréales, 60 ha de prairies temporaires, 55 ha de prairies permanentes et 45 ha de parcours
Cheptel : 85 Brunes à 7 700 l
Production : 660 000 l
Main-d’œuvre : 3 UMO
Coût alimentaire des VL : 85 €/1 000 l dont 48 € de concentrés

Deux âges de vêlage selon le type de pâture

Les génisses élevées sur les parcours vêlent à 30-32 mois mais valorisent des surfaces qui ne peuvent l’être autrement.

Le Gaec Chayriguès élève trente-sept génisses, nombre qui correspond aux places disponibles en bâtiment. Elles sont conduites en deux lots. Celles qui naissent de janvier à septembre sont destinées à un vêlage à 24-27 mois et restent sur des pâtures classiques. Elles sortent au mois de juin de l’année suivante. Lorsque l’herbe fait défaut, en été, elles sont alimentées avec du foin enrubanné de bonne qualité, sans concentré. Les génisses qui naissent d’octobre à décembre seront élevées sur les parcours pour un vêlage à 30-32 mois. À l’automne suivant (année N+1), elles vont à l’herbe sur de bonnes prairies. Au printemps suivant (N+2), elles pâturent les parcours jusqu’à la mise à la reproduction, qui a lieu à partir d’août. Elles reviennent sur les parcours au printemps suivant (N+3) jusqu’à un mois avant le vêlage. Le deuxième hiver, elles sont toutes nourries avec de la paille et du concentré (3,5 kg/j de concentré fermier : 40 % céréale, 60 % tourteau de colza).

C’est à la pâture que se font les écarts de croissance entre les deux lots. L’herbe des parcours est relativement bonne d’avril à juin. « Il faut trouver un juste milieu entre coût de revient des génisses et nécessité de valoriser les parcours éloignés, explique Clément Chayriguès. C’est pour cela que nous les faisons vêler à 30-32 mois et non à 36 mois, et seulement une partie d’entre elles. » Pour le renouvellement, il conserve majoritairement des génisses vêlant à 2 ans (15 sur 24) et inversement pour la vente. L’âge moyen au vêlage est de 28 mois. « Je ne vois de différence quant au niveau de lait entre les deux lots de génisses, assure l’éleveur. Concernant la qualité de la mamelle, la différence n’est pas flagrante. En les élevant sur des parcours avec de l’herbe sèche en été, je réduis le risque de suralimentation, qui est en général à l’origine de la dégradation des mamelles des génisses à vêlage tardif. »

Avis d'expert : Daniel Bouldoires, conseiller troupeau, chambre d’agriculture de l’Aveyron

« Les génisses, une production à part entière »

« Le Gaec élève et vend beaucoup de génisses. C’est une production à part entière. Il est important qu’elles expriment tout leur potentiel. Pour toutes les génisses, nous visons un GMQ de 900 g/j de 0 à 6 mois. Ensuite, pour les vêlages à 24-27 mois, nous tablons sur 700 g/j et, pour les 30-32 mois, nous nous satisfaisons de 600 à 700 g/j selon la période. Pour s’assurer que ces croissances sont bien au rendez-vous, nous contrôlons le gain de poids au mètre-ruban tous les deux mois pour la période 0 à 6 mois, puis tous les trois à quatre mois jusqu’à la mise à la reproduction. »

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