En élevage laitier bio, acheter du correcteur azoté est-il rentable ?
Produire plus de 20 kg de lait bio par vache et par jour en hiver, c’est possible. Souvent, il faudra recourir à un correcteur azoté. Se pose alors la question de sa rentabilité. Le point avec Didier Désarménien, conseiller chez Seenovia.
Produire plus de 20 kg de lait bio par vache et par jour en hiver, c’est possible. Souvent, il faudra recourir à un correcteur azoté. Se pose alors la question de sa rentabilité. Le point avec Didier Désarménien, conseiller chez Seenovia.
« Il est difficile de produire plus de 20 kg de lait bio par vache l’hiver sans achat de correcteur azoté », reconnaît Didier Désarménien, conseiller en agriculture biologique et systèmes herbagers chez Seenovia.
Pour y parvenir sans se ruiner en correcteur, la première chose à faire selon le conseiller est d’analyser la qualité des fourrages. Surtout l’ensilage d’herbe qui compte souvent pour deux tiers (10 à 15 kg) de la ration et dont la valeur est soumise à une importante variabilité. « Pour le maïs ensilage qui ne pèse que 4 à 6 kg dans la ration, il est possible de se baser sur les moyennes départementales. »
Sur 226 échantillons d’herbe bio analysés entre 2019 et 2021 dans les élevages Seenovia, la moyenne s’établit à 13 % de MAT. « Sachant qu’il faut 14-15 % de MAT pour une ration équilibrée et productive, ne considérez donc pas que l’ensilage ou l’enrubannage d’herbe va corriger le maïs ! Même sur des rations uniquement à base d’ensilage d’herbe, le correcteur azoté peut être nécessaire. »
3,3 kg de lait à gagner avec 1 kg de correcteur
Une ration équilibrée entre énergie et protéine affiche un ratio PDIE/UFL compris entre 97 et 103 g, d’après les tables Inrae 2007. Pour des vaches à bon potentiel en pleine lactation, amener le niveau à 90 g de PDIE/UFL en retirant un kilo de correcteur azoté provoque une perte de 0,7 kg d’ingestion, de 1,7 kg de lait et une baisse du TP de 0,6 point, selon l’Inrae.
Sur une ration à 80 g PDIE/UFL, ce qui correspond à deux tiers d’ensilage d’herbe de valeur moyenne et un tiers de maïs ensilage, ajouter un kilo de correcteur pour atteindre 90 g, entraîne un gain théorique de 3,3 kg de lait et 1,2 point de TP. Si la performance technique est au rendez-vous, qu’en est-il de la rentabilité ? À raison de 1300 € la tonne de correcteur à base de soja à 40 % de MAT et un prix du lait à 500 €/1000l, le bénéfice se chiffre pour un troupeau de 70 vaches, à plus de 2500 euros sur les mois d’hiver. « Passer de 80 à 90 g de PDIE est rentable. Même si le correcteur azoté est cher, la ration est corrigée et le premier kilo est profitable. » À condition bien sûr que les vaches aient le potentiel et que l’analyse des fourrages révèle un niveau suffisant en énergie.
Sans correcteur, viser une herbe riche en MAT
Pour les éleveurs qui préfèrent ne pas acheter et gérer au mieux avec les fourrages produits sur la ferme, « le conseil est de récolter précocement les fourrages et de limiter le maïs ensilage à 4-5 kg dans la ration hivernale. » L’idéal, si les conditions climatiques de l’année sont favorables, est de récolter du maïs grain humide ou du maïs épis. « En associant 3-4 kg de ce concentré énergétique à une herbe à 15-16 % de MAT, on obtient une ration équilibrée pour produire potentiellement 21-22 kg lait. » Il faudra au préalable sécuriser les stocks d’herbe et assurer les volumes de fourrage. Quand la météo ne permet pas cette stratégie, la sagesse est alors de récolter en maïs ensilage. « Il faut être opportuniste et s’adapter à la saison. »
Du correcteur maison ou pas
Les mélanges céréales protéagineux produits sur l’exploitation peuvent apporter un peu d’azote. « Au mieux, on se positionne à 16-18 % de MAT, à peine l’équivalent d’une VL2,5. » Si le mélange récolté est riche en protéines, le plus simple est de le broyer et de distribuer tel quel. L’autre idée est de trier la récolte et d’utiliser les féveroles et pois dans la ration hivernale. Le toastage des graines peut faire remonter la valeur PDIE.
En cas d’achat extérieur, Didier Désarménien conseille un correcteur azoté à 38-40 % de MAT à base de soja ou de tourteau de soja, pour compenser une ration comprenant un tiers de maïs ensilage. L’apport d’un kilo par vache est pertinent sur des laitières à potentiel en début de lactation, pendant les mois sans pâturage, c’est-à-dire de mi-décembre à fin février mais aussi de mi-juillet à fin septembre. « C’est justifié car la ration d’été s’apparente en termes de valeur à une ration hivernale et le prix du lait est au maximum en août. L’éleveur a intérêt de distribuer du correcteur quand le prix du lait est à 500 €/1000l.» L’arrêt s’impose dès que les vaches retournent pâturer une herbe riche en azote, au printemps et en octobre. L’idéal est une distribution au DAC pour un ciblage précis et individuel. Sur les deux périodes visées, une vache consommera 150 kg de correcteur, soit 10 tonnes pour un troupeau de 70 vaches. « On peut être fier de produire 6500 à 7000 litres avec seulement 100 à 150 kg de correcteur. »
Mise en garde
Des rations hivernales souvent déficitaires en azote
Les conditions climatiques sont rarement favorables pour concentrer la protéine dans les fourrages. Un printemps froid, sec et ensoleillé favorise la synthèse des sucres mais freine la minéralisation. On obtient un fourrage riche en énergie mais pauvre en azote. Cette réalité est d’autant plus marquée en élevage bio sans apport d’azote minéral. « En résumé, les fourrages de printemps qui dominent dans les rations hivernales contiennent souvent moins de protéines que l’on croit et beaucoup d’énergie. Le maïs, même à raison d’un tiers, apporte lui aussi de l’énergie. Résultat, les rations hivernales sont déficitaires en azote. Il y a donc un intérêt à ajouter du correcteur pour soutenir la production laitière en hiver », développe Didier Désarménien.
Se passer du maïs ?
Sans maïs ensilage, ni maïs épi ou grain, ni séchoir en grange, la production des troupeaux bio Seenovia tourne autour de 16-17 litres par vache par jour en hiver. « D’un point de vue économique, ça peut être pertinent, mais en moyenne les meilleures rentabilités sont observées sur des systèmes avec maïs. C’est l’écart de production par vache qui fait la différence », pointe Didier Désarménien.
Une étude de la chambre d’agriculture des Pays-de-la-Loire sur 220 élevages bio et sur la période 2016-2020 montre que le résultat courant moyen est de 18000 €/UTA pour les élevages tout herbe, de 26000 €/UTA dans les exploitations avec 3 à 15 % de maïs dans la SFP, et de 29000 €/UTA pour les systèmes plus intensifs avec plus de 15 % de maïs dans la SFP. « Le maïs est pertinent pour apporter de l’énergie dans la ration hivernale sans nécessiter beaucoup de correcteur azoté si on a optimisé la protéine dans l’herbe », commente Didier Désarménien.
Comment obtenir des fourrages à bon taux de MAT ?
• Choisir des espèces riches en protéines comme la luzerne et des mélanges multi-espèces comprenant du trèfle blanc et du trèfle violet, voire des trèfles annuels (squarrosum, incarnat…),
• Semer les prairies sous couvert de méteil à dominance protéagineux (vesce, pois…),
• Anticiper de 15 jours la date de fauche en visant plutôt 2,5 t MS/ha que 3,5 t, c’est-à-dire avant épiaison des graminées et au stade bourgeonnement des légumineuses,
• Sécher le foin en grange pour préserver sa valeur,
• Déshydrater la luzerne ou le trèfle violet,
• Apporter une fertilisation organique sur les prairies de fauche, par exemple 30 à 35 m3 de lisier de bovin sur les prairies dès le 1er février.