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Quels sont les freins à l’introduction de la protéine d’insecte en alimentation animale ?

La protéine d’insecte, dont la production est en plein essor en France grâce à Ÿnsect, Innovafeed, Agronutris et d’autres entreprises innovantes, a du mal à se positionner dans l’alimentation des animaux d’élevage. Prix, disponibilités et cahier des charges sont au cœur de la problématique.

Larves vivantes de Hermetia illucens ou mouche soldat noire.
© Mutatec

Selon l’enquête d’Agreste intitulée « Les matières premières de l’alimentation animale en 2020 », parue en août 2022, la quantité de « farines d’insectes » utilisée pour la fabrication française d’aliments composés en 2020 n’est pas significative, puisqu’elle s’élève à « 0,0 » exprimé en « millier de tonnes » alors que 6 établissements en consomment. Autrement-dit, en tenant compte de l’arrondi, moins de 50 tonnes ont été consommées par les fabricants hexagonaux d’aliments pour animaux en 2020.

A noter qu’en 2015, date de la précédente enquête, le volume de « protéines et solubles de poisson » n’a pas été publié pour des raisons de « secret statistique », alors que 7 établissements déclaraient en utiliser.

En 2025, date de la prochaine enquête d’Agreste à paraître courant 2027, on peut espérer que la quantité de « farines d’insectes » utilisées en alimentation animale sera chiffrable, au vu du dynamisme du secteur français de la production de protéines d’insectes.

Un prix d’intérêt élevé, qui va baisser

« La farine d’insecte, nouvelle source de protéine, est récemment devenue une matière première valorisable dans les aliments pour animaux en France et dans l’Union européenne », rappelle Stéphane Radet, directeur du Snia. Après leur autorisation en 2017 pour l'alimentation aquacole, les protéines dérivées d'insectes sont autorisées depuis avril 2021 dans les aliments pour porcs ou volailles, ainsi que dans les aliments pour animaux de compagnie et animaux à fourrure.

Cependant, « le prix d’intérêt de l’incorporation des protéines d’insecte sera un élément impactant pour son développement », souligne Stéphane Radet. Actuellement, le cours de la farine d’insecte s’apparente davantage à celui de la farine de poisson (entre 1 780 €/t et 2 200 €/t selon l’origine) qu’à celui du tourteau de soja (entre 577 €/t et 587 €/t selon le port français d’importation). D’où son essor en aquaculture et dans le secteur du petfood, pour lequel le prix de vente des croquettes et autres pâtées pour chat et chien permet son utilisation.

« Dans l’alimentation des porcs et des volailles, au-delà d’essais ponctuels pour qualifier au mieux les produits, les protéines animales transformées (PAP) d’insecte ne sont pas utilisées à date car elles ne sont pas compétitives avec les autres matières premières riches en protéines à disposition pour ces espèces », confirme Valérie Bris, directrice adjointe du pôle animal de La Coopération agricole, en charge de la nutrition animale.

Néanmoins, selon la Plateforme internationale des insectes pour l'alimentation humaine et animale (Ipiff), le prix de la protéine d’insecte devrait baisser à l’avenir, à la faveur de nouvelles évolutions réglementaires : « l’autorisation de nouveaux substrats », par exemple, « [devrait] jouer un rôle clé dans l’augmentation de la production d’insectes et de leurs ingrédients dérivés, ce qui entraînera implicitement une baisse des prix ». Sans oublier les économies d’échelle que permet le passage de l’unité pilote à la production industrielle. En décembre 2016, à l’inauguration de son site de Dole (Jura), Ÿnsect avait déclaré des coûts de production de sa farine d’insecte entre 1 500 et 1 800 €/t, pour une capacité de production de 400 t par an, selon la revue Sésame d’Inrae. Nous pouvons imaginer que sur son nouveau site d’Amiens, qui devrait être opérationnel début 2023, la capacité de production annoncée de 220 000 t/an devraient permettre de diminuer les coûts de production de manière significative.

De faibles disponibilités, qui vont s’étoffer

« La France est à l’avant-garde sur le marché des insectes avec les trois pépites Ÿnsect, Agronutris et Innovafeed », indique Les Echos Etudes dans un document intitulé « Protéines alternatives : inventer et garantir l’alimentation du futur ». Ces trois leaders hexagonaux sont challengés par de multiples entreprises hexagonales comme Mutatec, NextProtein, Invers et EntoInnov (cf. encadré).

A l’échelle de l’Europe, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne sont également présents sur ce marché émergent des protéines d’insecte au potentiel énorme. « Avec plusieurs milliers de tonnes de PAP d’insecte produits dans l’UE en 2020, la production d’insectes destinés à l’alimentation devrait augmenter rapidement dans les années à venir », estime l’Ipiff. En s’appuyant sur l’investissement total qui « a dépassé le milliard d’euros (Md€) en décembre 2021 » et « est attendu à 3 Md€ d’ici 2025 », « le secteur pourrait atteindre un chiffre d’affaires total d’environ 2 Md€ par an d’ici la fin de la décennie ».  En tant qu’objectif ambitieux, les membres de l’Ipiff estiment que « la capacité de production totale du secteur européen des insectes pourrait atteindre 1 Mt de farine d'insectes annuelles d'ici à 2030, si les conditions appropriées sont réunies (comme les développements réglementaires adéquates) ».

Au niveau mondial, « le marché des protéines d’insecte dans tous les segments (nutrition des plantes, alimentation des animaux et des humains) devrait dépasser les 100 Md€ au cours des prochaines années », estime Innovafeed, dans un communiqué daté du 2 février.

Des cahiers des charges, à modifier

« L’utilisation de la protéine d’insecte pourrait se heurter aux exigences de certaines filières imposant une alimentation animale 100 % d’origine végétale (que l’on retrouve dans certains cahiers des charges porcs et volailles par exemple) », souligne Stéphane Radet. Ces cahiers des charges se sont développés après la crise de la vache folle dans les années 90. Et leur modification, dans l’objectif d’autoriser les PAP d’insecte, pourrait être mal perçu par les consommateurs. Mais l’Ipiff est confiante quant à l’acceptabilité par les citoyens de l’introduction de protéines d’insecte dans l’alimentation animale : « En général, les consommateurs ne sont pas gênés par l’idée de manger des œufs, de la viande ou du poisson provenant d’animaux qui ont mangé des insectes, car cela suit leurs comportements naturels ».

Cependant, dans d’autres filières animales, « la protéine d’insecte peut être valorisée et pourra se développer en alimentation animale en fonction de sa disponibilité et ses apports nutritionnelles », assure Stéphane Radet. Et Valérie Bris d’ajouter : « C’est un sujet qui reste regardé attentivement par les fabricants d’aliments pour animaux à la recherche de solutions performantes et compétitives pour accompagner l’élevage ».

 

La France, leader mondial de la production d’insectes

« Depuis une dizaine d’années, le secteur de la transformation d’insectes s’est fortement professionnalisé et depuis peu, industrialisé. Une dizaine d’entreprises sont implantées en Europe, ce qui en fait encore un secteur de niche mais avec d’énormes potentialités », explique Christophe Derien, secrétaire général de la Plateforme internationale des insectes pour l'alimentation humaine et animale (Ipiff).

La France est leader en la matière, avec des entreprises en plein essor. Ÿnsect, Innovafeed et Agronutris en constitue le top 3 :

  • Fondé en 2011, Ÿnsect, qui a levé 450 M$, se définit comme « le leader mondial de production de protéines et d’engrais naturels d’insectes ». Avec le démarrage fin 2022-début 2023 de son usine d’Amiens, qualifiée de « plus grande ferme verticale au monde », sa capacité de production s’élèvera à « 220 000 tonnes d’ingrédients par an » sur ses quatre sites industriels : deux en France (à Dole et Amiens), un aux Pays-Bas (Protiform à Ermelo) et un aux Etats-Unis (Jord Producers au Nébraska). L’entreprise prévoit d’« atteindre un chiffre d’affaires d’au moins 500 M€ d’ici 2026 » et  de « construire à travers le monde une quinzaine de fermes verticales d’ici à 2030 ».  

  • Les financements d’Innovafeed, qui a levé 250 M€ en septembre, s’élèvent à 450 M€ depuis sa création en 2016. La société a établi des partenariats industriels en septembre 2018 sur le site Tereos de Nesle dans la Somme (d’une capacité initiale de 15 000 t par an, l’usine va être agrandi), en juin 2019 sur un site de Cargill aux Etats-Unis et en février 2022 sur le site ADM de Decatur dans l’Illinois (la construction de l’usine de 60 000 t de capacité de production doit démarrer fin 2022).

  • Après avoir réalisé une levée de fonds de 100 M€ (dont la moitié en fonds propres) en septembre 2021, Agronutris a engrangé, en février 2022, 16 M€ en capital et en dette. Cet apport financier lui a permis d’industrialiser son procédé de fabrication en déployant une première unité industrielle à Rethel (Ardennes). L’usine, d’une capacité de conversion de 70 000 t de biorésidus par an, devrait être opérationnelle en mai 2023. Un deuxième site de plus grande envergure devrait voir le jour d’ici 2024 dans le Grand Est. Au total, les deux sites auront une capacité de conversion de 280 000 t par an de biorésidus. L’objectif d’Agronutris est de déployer neuf sites de productions à l'horizon 2029 pour atteindre une capacité annuelle cumulée de conversion de 1,5 Mt de biorésidus.

De multiples challengers hexagonaux se développent également. Parmi eux, on peut citer Invers, Nextprotein, Mutatec et EntoInnov :

  • Après une première levée de fonds de 3,3 M€ en juin 2019, la start-up française Invers, créé en 2016, a engrangé 15 M€ le 5 octobre 2022 pour accroître ses capacités de production. Pour ce faire, elle va créer une filiale en Auvergne-Rhône-Alpes avec trois actionnaires coopératifs - Limagrain, Oxyane et Eurea - avant de se développer à l’échelle nationale. La construction d’un nouveau couvoir permettra dès septembre 2023 d’alimenter de nombreux élevages agricoles, et de multiplier les capacités de production d’Invers par dix. De fait, sa spécificité réside dans la production de jeunes larves (démarrages d’élevage) confiées à des agriculteurs, qui les font croître dans des bâtiments d’élevage spécialisés, avant de les récolter à maturité et les transformer. Ses aliments pour animaux sont aujourd’hui distribués dans 500 points de vente en France.

  • Nextprotein a finalisé en mai 2021 une levée de fonds de 10,2 M€, entamée en 2019 et signée en 2020, pour agrandir la capacité de production de son premier site en Tunisie (qui est passé de 3 000 m2, avec une capacité de production d’une centaine de tonnes de farine d’insecte par an, à 5 000 m2) et la construction, une vingtaine de kilomètres plus loin, d’un deuxième site de 13 000 m2. Aujourd’hui, la capacité totale de production s’élève à 3 000 t de farine d’insecte par an. Très axé sur le marché européen avec la PetFood, la société française prévoit de répliquer son modèle en Asie du Sud-Est, en Amérique latine ou au Maghreb. En mai 2021, si Nextprotein n’était « pas encore rentable », la société française « visait 2024 pour y arriver ».

  • Créé en 2015 à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), Mutatec dispose d’un site pilote à Caumont-sur-Durance (Vaucluse) et, depuis 2021, d’une ferme d’élevage à « échelle réelle » près de Cavaillon, indique la société française. « L'objectif de l'entreprise est de dupliquer ce projet de ferme d'élevage ailleurs en Europe et dans le monde. »

  • Fondée en 2021 avec un capital de 60 000 €, EntoInnov propose de développer des ingrédients fonctionnels et naturels (vitamines, lipides ou minéraux) à base d’insectes en quantité industrielle afin de l’incorporer dans l’alimentation animale (comme les chiens en croissance) et humaine (pour sportifs et personnes âgées). Produisant une centaine de kilos de vers de farine par mois en juin 2021, la start-up hexagonale a travaillé en 2022 avec le CNRS et l’Université de Lorraine pour préparer son étape de transposition industrielle.

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