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Interview
Consommation de produits bio - "La baisse des ventes en produits céréaliers biologiques doit être relativisée"

Spécialiste du marché des grains biologiques, Thomas Lienhardt, courtier en matières premières biologiques chez Dugué Courtage SAS, à Saint-Malo, nous donne sa vision du marché biologique en France alors que les ventes ont reculé en 2022 sur certains segments comme celui des produits céréaliers ou de la nutrition animale. Propos recueillis le 11 septembre 2023.

Thomas Lienhardt rejoint la société Euro Cargo Rail en 2014 au sein de laquelle il occupera le poste de gestionnaire de trafic, puis d'administrateur des ventes jusqu’en octobre 2016. Il intègre ensuite l’entreprise Mambo Commodities comme gestionnaire Middle Office et la quitte deux ans plus tard pour devenir courtier en productions biologique chez Dugué courtage SAS à partir de février 2019.
© Dugué Courtage SAS

La Dépêche Le petit meunier - Comment se présente la récolte de grains biologiques française 2023 ?

Thomas Lienhardt - C’est une récolte qui sur les blés donne satisfaction dans la majorité des régions. Nous constatons un taux de protéine satisfaisant, autour de 11,5 % en moyenne, avec un petit bémol dans certaines zones comme la Vienne, la Champagne, l’Orne et l’Yonne où la pluie estivale a fait des dégâts. Les rendements sont bons à très bons par rapport à la moyenne quinquennale, c’est-à-dire entre 45 et 50 quintaux par hectare. C’est très correct en production biologique. Les poids spécifiques sont dans la norme commerciale. Donc globalement, la récolte de blé tendre 2023 est très meunière.

Lire aussi : Blé tendre biologique - Bonne qualité meunière française en 2023 selon FranceAgriMer et Arvalis

En orge brassicole, c’est encore un petit peu trop tôt en l’absence des résultats de calibrage, mais l’on sait que la récolte va être dans la fourchette basse en protéine. C’est un des seuls marchés qui peut se targuer d’avoir une demande soutenue. En Allemagne, la récolte a été décevante, donc les opérateurs d’outre-Rhin devront regarder notre marché.

En protéagineux, l'année 2023 va être, une fois n’est pas coutume, un bon cru. Les chiffres publiés par FranceAgriMer confirment une belle récolte de féveroles françaises à 16 000 tonnes collectées au 1er août 2023 (+34 %/2022). C’est un peu moins bon en pois, mais il faut, sur ce produit, attendre le résultat des démélanges pour en savoir plus. Ces productions, surtout en bio, sont travaillées en association avec des céréales. Ils sont rentrés en silo en mélange et séparés après la récolte d’automne. Niveau marché, le sentiment de disponibilité est renforcé par des volumes en report chez plusieurs industriels. À l’export, cette année, les vendeurs baltiques n’ont pas pris de retard et ont bien couvert tout le nord de l’Europe, surtout en pois.

Enfin, en colza, les rendements sont plutôt bons au regard des années passées. Par exemple, alors que rien ou presque ne finissait le cycle végétatif convenablement dans le Sud-Ouest, certains producteurs ont observé cette année des rendements compris entre 15 et 25 quintaux par hectare. Le marché sera bien approvisionné pour 2023-2024, avec une lourdeur persistante au niveau du débouché huile. Le prix a perdu 500 € la tonne en moins de dix mois, passant en dessous de son coût de revient. Il y a un risque de rétention bien réel sur ce produit, qui, s’il est bien séché et ventilé, peut aisément se stocker.

LD LDP - Selon le rapport diffusé par l’Agence bio « Les chiffres du bio Panorama 2022 », les ventes de produits frais de boulangerie-pâtisserie bio ont reculé de 5 % en 2022. Comment interpréter ces chiffres qui confirment une baisse de la consommation de grains bio, et que peut-on attendre pour 2023-2024 ?

T. L. - Cette baisse de la consommation humaine en produits céréaliers, inférieure à 10 %, doit être relativisée et, à mon sens, elle est à présent actée. En effet, les meuniers ont maintenant la possibilité d’acheter du blé tendre français à un prix historiquement bas. On est passé de 500 €-550 €/t départ à 350-420 €/t selon les qualités. C’est une baisse significative, et cela montre que ce n’est pas le prix qui pénalise l’attractivité de la farine française. Je n’oublie pas qu’en parallèle l’électricité, les salaires, les emballages et le transport ont tous renchéri, mais il me semble que c'est surtout le recul de la demande en grande distribution qui a eu de lourdes conséquences. Les grandes et moyennes surfaces ont procédé à de nombreux déréférencements de produits bio, et pour certains, dès le lendemain de l’invasion russe en Ukraine. Pour moi, c’est le principal facteur de baisse.

Une baisse de la consommation humaine en produits céréaliers, inférieure à 10 %, à relativiser.

Il est intéressant de noter que depuis la campagne 2022-2023, la France est passée de petit importateur de blé en fin de campagne à nette exportatrice, vers tous nos voisins européens. Cette augmentation brutale des volumes et la chute des prix qui se sont ensuivies changent les modes de commercialisation en diminuant la part des contrats pluriannuels. La nécessité pour un moulin de contractualiser pour sécuriser son approvisionnement est beaucoup moins pesante. Les coopératives tentent de s’adapter en mettant en avant la qualité de leurs exécutions et en proposant de nouvelles qualités, je pense notamment aux lignes sans gluten. Je dirais qu’on est passé d’une situation de 90 % de contrats pluriannuels à peut-être maintenant 60-70 % avec également une diminution des contrats avec « prix tunnels » à la faveur des contrats avec « prix à fixer ». Les moulins sont en situation de force.

Moins de contrats pluriannuels et de prix tunnel en blé.

LD LDP - Au regard de ce début de campagne, pensez-vous que la baisse de la consommation puisse se poursuivre cette année ?

T. L. - Non mais je ne vois pas non plus le marché fondamentalement progresser. À moins que des signaux forts apparaissent comme l’application de la loi Egalim, relais de croissance qui permettrait de soutenir la filière biologique. Nous aurons la réponse dans les prochains mois. La progression de la demande dépend aussi beaucoup de la diversification des débouchés. Aujourd’hui, l’alimentation biologique se vend très majoritairement en restauration à domicile. Cette loi Egalim prévoit au moins 20 % de ce qui est dans l’assiette de la restauration collective provienne de l’agriculture biologique. La filière a besoin d’un engagement fort et concret des pouvoirs publics pour faire appliquer cette loi.

La progression de la demande dépend aussi beaucoup de la diversification des débouchés.

Il faut aussi mettre en perspective cette baisse en rappelant que la meunerie française sort d’une période de croissance à deux chiffres de plus de dix ans. Enfin, la baisse est générale et ne concerne pas que le bio. Il y a 5 % en moins en consommation alimentaire générale tout court.

« La GMS a procédé à des déréférencements en bio. C’est le principal facteur de baisse des ventes. »

LD LDP - …Et concernant la nutrition animale qui observe la même tendance baissière avec un recul de 14 % en 2022 selon le Snia ?

T. L. - En alimentation animale, c’est le même phénomène. Nous avons triplé les volumes d’aliments composés biologiques en 10 ans, dépassant les 700 000 tonnes d’aliments composés en 2021. Après une période de fort dynamisme, 10 à 20 % de croissance par an en moyenne selon le Syndicat des industriels de la nutrition animale, l’année 2022 a vu la production biologique reculer de près de 14 %. Là aussi, la tendance générale est baissière, avec une baisse de plus de 6 % des volumes globaux d’aliments composés conventionnels en France.

Pour 2023, on peut s’attendre à une nouvelle baisse des volumes, qui devraient tomber à 500 000 - 550 000 t. Si la baisse semble importante, il faut aussi la mettre en perspective du marché global de la nutrition animale. Il faut savoir que l’aliment volaille représente près de 75 % du marché Feed en bio, or les éleveurs français ont connu deux grippes aviaires consécutives. Donc ce recul, contrairement à celui observé sur le marché du blé bio, est bien conjoncturel.

On peut donc imaginer que les volumes d’aliments composés bio repartent vers le haut mais encore faut-il que les élevages tiennent le coup. Certes aujourd’hui le prix de l’aliment biologique est un peu plus acceptable mais la situation de certains éleveurs est dramatique, tant économiquement que moralement. Ils sont sur un produit vivant avec des coûts d’installations importants. C’est, pour certains, beaucoup de travail qui part à la poubelle.

Le prix de l’aliment biologique est un peu plus acceptable.

LD LDP - Certaines courbes de prix se sont croisées entre production conventionnelle et biologique, alors que le prix a longtemps été un élément porteur pour convertir ou lancer une exploitation en bio. Y a-t-il un risque de voir s’effondrer la production bio dans ce contexte ?

T. L. - Les prix des matières premières bio sont à présent presque indexés sur le conventionnel avec une prime, nécessaire pour valoriser les frais de fonctionnement des organismes stockeurs, qui évolue entre 30 et 80 €/t selon les produits. Je ne dis pas que cette prime est acceptable ou suffisante, mais c’est le marché qui dicte sa loi sous le poids de l’offre disponible. D’un côté, nous avons des producteurs qui doivent être mieux rémunérés qu’en conventionnel – masse salariale plus importante, rendements moins élevés… – et de l’autre un marché du blé tendre biologique français devenu largement excédentaire. S’il fallait résumer, je dirais que nous sommes en train de vivre une année de purge. Si les prix devaient se maintenir comme ça, et c’est ce qu’on peut penser à moyen terme, des déconversions pourraient être encouragées, à commencer par les producteurs engagés depuis longtemps – qui ont déjà touché les aides au maintien de l’Union européenne qui durent cinq ans). On peut imaginer que certains agriculteurs du Sud-Ouest – en fonction des cultures et de la rentabilité de celles-ci –, région historique de la production biologique, s’en détournent à partir de l’année prochaine ou mettent plus de surfaces en pâturages. C’est malheureusement ce dont le marché a besoin tant que la demande ne sera pas au rendez-vous. Pour les opérateurs engagés depuis peu, souvent le cas dans le nord-est de la France, la déconversion est moins probable, car elle serait synonyme de remboursement des aides perçues.

Les prix des matières premières bio s'alignent sur le conventionnel avec une prime.

Je vois au moins deux éléments à surveiller : d’une part, si le marché conventionnel fait un nouveau rebond, cela risque de déclasser nombre de céréales biologiques en conventionnel. D’autre part, il n’est pas impossible que certains opérateurs en viennent à indexer leur collecte biologique sur le Matif afin de décorréler débouché physique et la rentabilité financière. Clairement, pour beaucoup de d’acteurs historiques de la bio, ce serait vu comme un péché capital…

LD LDP - Quelles cultures biologiques présentent un bon potentiel de développement selon vous ?

T. L. - S’il y a deux produits qui peuvent tirer leur épingle du jeu, c’est le maïs et le soja principalement. Deux productions qui manquent structurellement en France et en Europe pour partie. Le maïs garde un prix supérieur au blé tendre et n’est quasiment pas corrélé à sa valeur nutritionnelle. En plus de sa valeur en énergie, il apporte le jaune aux œufs biologiques, l’énorme part du marché des productions animales bio. Le soja, lui, est un produit sur lequel nous sommes structurellement déficitaires en France et il peut encore progresser même si la filière Togo elle est maintenant très présente sur le continent européen. Ce dernier point peut changer. Quasiment toutes les filières d’importation du soja ont connu un problème à un moment où un autre. Enfin, il reste des produits comme le sarrasin pour lesquelles l’offre française est largement insuffisante. En plus, c’est une plante très intéressante au niveau agronomique, son cycle végétatif est très court et elle ne nécessite quasiment pas d’intrants.

LD LDP - Y a-t-il des opportunités pour les producteurs français à l’export ?

T. L. - Il y a une carte à jouer du côté de l’export, et nous, en tant que courtiers, avons un rôle intéressant à jouer à ce niveau. Comme en conventionnel, les opérateurs français peuvent aller chercher de la valeur en mettant en avant la fiabilité de l’origine hexagonale. Le contrat fait force de loi en France, c’est un principe qui est assez fort dans nos relations commerciales. Par ailleurs, la logistique est un élément qui pourrait être amélioré. Les Allemands et les Néerlandais ont l’habitude de recevoir des petits caboteurs roumains ou ukrainiens, ce que n’offrent pas pour le moment les vendeurs hexagonaux. La filière conventionnelle le fait pourtant très bien donc rien n’empêche d’aller chercher de la valeur de ce côté-là.

 

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