La lourdaise : la renaissance d’une race menacée
Dans les Hautes-Pyrénées, la race lourdaise a échappé à sa disparition. Elle est passée, entre les années 90 à aujourd’hui, d’un taureau et une douzaine de vaches à 350 mères, 13 taureaux d’insémination et d'une dizaine de monte naturelle.
Dans les Hautes-Pyrénées, la race lourdaise a échappé à sa disparition. Elle est passée, entre les années 90 à aujourd’hui, d’un taureau et une douzaine de vaches à 350 mères, 13 taureaux d’insémination et d'une dizaine de monte naturelle.





Au pays du porc noir de Bigorre et du haricot tarbais, la race bovine lourdaise est aussi une star locale. Reconnaissable à sa robe claire, allant du blanc porcelaine au froment, elle possède des muqueuses roses et des cornes qui s’évasent en forme de lyre. Alors qu’elle comptait 20 000 femelles en 1934, elle est aujourd’hui une des races bovines les plus menacées de France. Elle a été relancée à partir de 1978 par des fonds du Parc national des Pyrénées, aux côtés d’autres races à petits effectifs comme la casta, la béarnaise, la mirandaise, ainsi que des races ovines locales. Son effectif est passé d’un taureau et 17 vaches, dont 7 croisées, à aujourd’hui 350 mères, 13 taureaux d’insémination et une dizaine de monte naturelle.

L’Association nationale de la race bovine lourdaise rassemble une cinquantaine d’exploitations, majoritairement situées dans les Hautes-Pyrénées. Il s’agit d’une race mixte, aujourd’hui principalement allaitante, dont un tiers des éleveurs sont en bio, et la majorité transhumants. La lourdaise était réputée autrefois comme la meilleure laitière des Pyrénées. « Ce sont des vaches à tout faire d’avant-guerre, elles servaient au travail, produisaient un veau par an et un lait assez gras pour l’autoconsommation. La lourdaise est restée docile et a conservé sa génétique de travail. C’était la race de nos grands-parents. Aujourd’hui, nous sommes des passionnés à contre-courant qui veulent faire vivre notre patrimoine », témoigne Fabrice Dubertrand.

Installé en bio avec sa femme, Caroline Gaubert, sur la Ferme de Lantouny, à Lafitole, ils sont maraîchers et élèvent 70 mères blondes d’Aquitaine et gasconnes des Pyrénées croisées, plus une vingtaine de vaches lourdaises et un taureau lourdais. « La lourdaise est une race tellement rustique que nous avons un coût de production moindre avec elle. La qualité est aussi différente : elle a un persillé de viande vraiment très prononcé. C’est devenu un produit d’exception à saisir lorsqu’il y en a, au même titre que les cèpes, sourit Fabrice. En transhumance, en estive ou en écopâturage elle se débrouille avec tout. Elle mange moins que les autres, mais produit un veau de qualité. Sa rusticité fait la différence. Grâce à son lait gras, les veaux ont un bon développement musculaire. Elle est aussi très maternelle, fertile. C’est une race bien adaptée aux contraintes climatiques et aux faibles apports, car elle est économe », souligne-t-il.
Une vente en broutards, veaux sous la mère ou bœufs
Les éleveurs vendent généralement les mâles pour l’engraissement, principalement vers l’Italie ou l’Espagne, autour de 4 euros le kilo. Certains commercialisent des veaux sous la mère en Label rouge, entre 4 et 5 mois, à des boucheries locales (environ 150 kg par carcasse au prix moyen de 7,50 €/kg).
La Ferme de Lantouny fait partie des rares exploitations à transformer la viande qu’elle valorise entre 16 et 17 euros le kilo en circuit court. Elle utilise les services de l’abattoir de Tarbes pour des veaux de 4 à 6 mois à 130 kg par carcasse, puis d’une conserverie pour la découpe, la mise sous vide et la préparation de plats cuisinés. Les vaches de réforme sont parfois vendues entre 15 et 16 ans à 17 euros le kilo. L’association commercialise aussi des bœufs de 5 ans, classés R = 3, pesant en moyenne 350 kg par carcasse, à un tarif d’environ 6 euros le kilo.
Des paires de bœufs dressés pour la traction
Fabrice forme les bœufs par paire à la traction animale pour le maraîchage, le décavaillonnage et le labour des vignes ou encore le débardage en montagne. « Le Puy du Fou est également friand des bœufs lourdais pour leur robe blanche, qui reflète bien la lumière, et pour leurs cornes majestueuses qui plaisent beaucoup pour le spectacle. Le parc en possède quatre paires », explique Fabrice qui utilise les bœufs en maraîchage pour désherber, biner et buter. « Les bœufs sont plus puissants que les ânes ou les chevaux de traits. C’est une force tranquille, qui ne tasse pas le sol, avec un pas lent. »
Fabrice commence à les former à partir de 2 ans. « Plus on les prend jeunes mieux c’est. Je les attache, je les désensibilise, je les dresse pour marcher au licol, puis je leur apprends à porter le joug et le liage, qui est accroché aux cornes par des jouilles en cuir. Il faut qu’ils s’habituent à porter ce poids ensemble et à avancer en cadence. C’est sportif, il faut être patient. Nous devons leur apprendre des ordres précis pour pouvoir les stopper, leur ordonner une marche, une direction ou demi-tour. »
Une paire est composée d’un bœuf droitier et d’un bœuf gaucher, indissociables. S’ils peuvent commencer à tirer à partir de 6 mois, il faut attendre entre cinq et sept ans pour qu’ils soient entièrement formés. « C’est une race tardive, où la maturité est atteinte à 7 ans », précise Fabrice, qui vend généralement ses bœufs vers 4 ans. Une paire dressée se vend entre 6 000 et 10 000 euros, selon la morphologie et le niveau de dressage. Certaines obéissent à l’aiguillon (bâton), d’autres au guide (rênes), et le summum selon Fabrice reste la paire qui obéit uniquement à la voix.
Des partenariats pour l’avenir
Un partenariat avec le lycée agricole Jean Monnet de Vic-en-Bigorre permet aux étudiants de travailler avec sept femelles lourdaises à la ferme du lycée et de promouvoir la race auprès des jeunes générations. « Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de demandes d’animaux, mais comme nous n’avons pas assez de femelles, nous priorisons les installations de jeunes au niveau local », explique Cyril Bibes, le président de l’Association nationale de la race bovine lourdaise et éleveur en bio à Bénac, avec 15 mères lourdaises et 25 blondes d’Aquitaine en système de transhumance estivale. L’association participe à de nombreuses foires et organise chaque année, à la Toussaint, la fête des races lourdaises, bovine et ovine. L’an dernier, le premier concours de race en génisse et vache a été organisé. Les critères de sélection portaient sur un chignon et un fanon bien prononcés, une ligne de dos plate, un port de queue relativement relevé, des aplombs solides et coudés, une bonne profondeur, un pis bien marqué et des trayons fins.
Un premier concours de race lourdaise en 2024
De nombreuses races bovines sont originaires des Pyrénées
La lourdaise, la casta, la mirandaise, la béarnaise et la gasconne sont des races originaires des Pyrénées. La pyrénaica est une race espagnole introduite au Pays Basque.
La gasconne des Pyrénées est la seule qui n'est pas en petit effectif. A l’inventaire de 2024, la casta comptait 315 femelles de plus de 2 ans et la mirandaise 685. "La béarnaise est à l’origine de la race blonde d’Aquitaine avec les races quercy et garonnaise – cette dernière ayant pris le dessus – pour donner la blonde d’Aquitaine qu’on connaît », explique Delphine Duclos de l’Institut de l’élevage.
Delphine Duclos de l’Institut de l’élevage : « la situation de la lourdaise reste fragile aujourd’hui »

« L’Institut de l’élevage (Idele) assure depuis plus de 40 ans le suivi génétique de la race bovine lourdaise. Comme pour une douzaine d’autres races, Idele anime l’Organisme de sélection des races bovines locales à petits effectifs et travaille avec les associations d’éleveurs au redéveloppement de chacune d’entre elles. Au début des programmes de conservation dans les années 80, il s’agissait de répertorier les derniers éleveurs et animaux des différentes races pour bien les identifier et de collecter pour l’insémination animale les taureaux encore vivants, afin que la reproduction soit facilitée. La situation pour la lourdaise était particulièrement compliquée puisque très peu d’animaux ont pu être sauvés quand les actions de sauvegarde ont commencé. Sa situation reste fragile aujourd’hui du fait de ses effectifs limités avec un peu plus de 300 femelles et de son taux de consanguinité élevé, conséquence de sa base génétique restreinte. La priorité pour son redéveloppement est donc de limiter l’accroissement de ce taux de consanguinité en faisant des accouplements raisonnés et d’apporter un peu de diversité génétique en allant chercher des animaux d’origines peu représentées dans la race. Pour augmenter les effectifs, il faudrait également que plus de femelles reproduisent avec des taureaux lourdais, car près d’un tier des femelles ne sont pas mises à la reproduction ou en croisement. Le projet Carnot DIRAPE conduit par Idele, qui a débuté en 2025, devrait également permettre de mieux connaître la race en utilisant notamment des données de génotypage pour aider à sa caractérisation. »
Côté éco
Les éleveurs perçoivent, en plus de la prime bovine, une aide régionale pour les races menacées : 200 € par femelle de plus de 24 mois. Cette prime s’applique à partir de 3 femelles jusqu’à un maximum de 37, sous réserve que 70 % des saillies soient réalisées en race pure.