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Guerre en Ukraine - Mathias Ginet conseille de ne pas « céder aux illusions du productivisme agricole »

Face aux menaces liées à la guerre en Ukraine, Mathias Ginet, haut fonctionnaire à l’ambassade de France en Allemagne, s’interroge sur la façon de « sauver la sécurité alimentaire sans sacrifier la transition agroécologique ». Dans une note de 10 pages écrite pour le laboratoire d’idées Terra Nova, il prône une voie qui permet à l’Europe de faire preuve de solidarité tout en conciliant transition écologique et souveraineté alimentaire. Un scénario qui ne passe pas par une réponse positive aux appels à produire plus.

Produire plus de soja et moins de betteraves sucrières et pommes de terre industrielles, c’est une des pistes suggérées par Mathias Ginet au niveau européen pour faire face aux menaces de la guerre en Ukraine.
© Bernard Aumailley

Mathias Ginet est haut fonctionnaire à l’ambassade de France en Allemagne. A ce titre, il apporte ses idées et son éclairage au groupe de réflexion Terra Nova. Ce 22 mars, il publie une note pour répondre à la question « Guerre en Ukraine : comment sauver la sécurité alimentaire sans sacrifier la transition agroécologique ? »

Le diplomate estime que la guerre en Ukraine pourrait provoquer une pénurie alimentaire mondiale. Pour l’éviter, faut-il augmenter rapidement la production agricole et les rendements et pour cela « sacrifier la transition écologique au nom de la stabilité ». Non, répond Mathias Ginet, « nous pouvons faire preuve de solidarité et de responsabilité sans céder aux illusions du productivisme agricole », assure-t-il.

Pour l’auteur d’une autre note publiée récemment par le think-tank intitulée « Souveraineté alimentaire et transition écologique : un projet pour l’agriculture française », la guerre en Ukraine renforce la « nécessité de décarboner l’agriculture européenne et notre alimentation en valorisant notamment les solutions fondées sur l’agroécologie ». Cependant, « à l’inverse de ce qui se passe pour la transition énergétique, les intérêts écologique, économique et géopolitique sont loin d’être alignées dans le domaine de la production agricole et de l’alimentation », remarque-t-il. Le raisonnement est « piégé », observe le spécialiste.

 

Mesures rapides et mesures plus structurelles

La contribution de l’Ukraine et la Russie à la production mondiale est d’une importance majeure pour l’orge, le blé et le maïs, principalement à destination de l’alimentation animale. La Russie est le premier exportateur mondial de blé et l’Ukraine était le cinquième exportateur en 2021. Les deux pays fournissent aussi la moitié de la production mondiale d’huile de tournesol.

« A très court terme, la guerre a surtout un impact sur le commerce et les prix », analyse Mathias Ginet. Selon lui, si la guerre dure, des risques de pénurie alimentaire « ne peuvent être écartés dans certains pays ».  Le risque de crise alimentaire concerne surtout les pays pauvres et le continent africain tandis qu’en Europe, ces risques sont « relativement limités ». Les pays européens importent relativement peu de céréales destinées à l’alimentation humaine à partir de l’Ukraine et de la Russie et ils « disposent des moyens financiers nécessaires pour faire face à une hausse des cours », estime le haut-fonctionnaire. La dépendance de l’Europe aux céréales russes et ukrainiennes et la hausse des cours des matières premières risque de peser lourdement sur la filière viande « déjà en crise et où l’alimentation des bêtes représente le principal coût de production ». Mathias Ginet évoque aussi la dépendance vis-à-vis des engrais russes. « En 2021, la Russie était le premier exportateur mondial d’engrais azotés », rappelle-t-il.

Pour autant, faut-il « libérer le potentiel productif de l’agriculture en Europe ? » Cette idée présuppose de la part des systèmes agricoles européens une « capacité de réaction qui n’a rien d’évident » commente le spécialiste. Selon lui, les surfaces disponibles sont « relativement peu nombreuses pour permettre de semer plus » et « augmenter des rendements qui sont déjà parmi les plus importants au monde est loin d’être acquis ».

Dans les 12 à 18 mois, la guerre en Ukraine appelle des mesures rapides, de court terme. Ensuite, des « mesures plus structurelles de long terme » doivent être envisagées pour « renforcer la souveraineté alimentaire européenne et mondiale », explique-t-il.

Décarboner massivement

Selon lui, certaines pistes peuvent être explorées par l’Union européenne à court terme.

  • Réorienter une partie de nos productions. Il suggère qu’une partie des betteraves sucrières et pomme de terre d’industrie soient plutôt semées en soja, autres légumineuses et céréales de printemps adaptées au climat. Dans l’hypothèse d’un enlisement de la situation, à l’automne, les agriculteurs pourraient selon lui semer un peu moins de colza et un peu plus de céréales. Les inconvénients pour l’appareil industriel en aval et l’alimentation animale sont « relativement gérables par les pouvoirs publics à travers les mesures de crise », estime-t-il.
  • Réduire temporairement une partie du cheptel porcin et aviaire. Cette réduction permettrait de diminuer la demande globale de céréales et « d’engager également une réflexion politique à moyen terme et long terme sur l’élevage et une transition négociée de ce secteur ». Des mesures de marché prévues par la réglementation européenne « permettraient de gérer cette décroissance ».

En revanche, la recherche à court terme d’un « choc de production » n’est pas selon lui la piste à suivre. « L’intensification de la production pourrait transférer la dépendance aux grains ukrainiens à une dépendance encore plus marquée au gaz et au pétrole », avance-t-il. « L’enjeu à moyen et long terme reste donc bien de décarboner massivement notre agriculture par le progrès technique ». Il faut selon lui passer à des « modes de production qui ne requièrent pas ou très peu d’intrants de synthèse ». Il préconise également une « évolution de nos modes de consommation – moins carnés et moins transformés – et de production ». Il n’est pas question de « produire moins » mais de « produire différemment ».

La guerre ukrainienne le démontre, conclut-il, « l’agriculture européenne doit se renforcer autour des notions de réduction des dépendances, de renforcement de sa résilience et de valorisation d’une production de qualité ». Un scénario qui « concilie transition écologique et renforcement de la souveraineté alimentaire ».

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