Aller au contenu principal

INTERVIEW DE BERNARD SEGUIN, SPÉCIALISTE DU CLIMAT À L’INRA
"Un réchauffement inférieur à 3°C reste gérable"

L’agriculture devra s’adapter au réchauffement climatique. Selon Bernard Seguin, tout n’est pas négatif et des solutions existent, à condition de ne pas dépasser + 3°C.

L’agriculture a déjà connu de profonds changements climatiques par le passé, pourquoi ne saurait-elle pas s’adapter au réchauffement climatique annoncé ?

Quand on analyse le climat depuis le Moyen Âge, les relevés relatent une période chaude au XIe siècle, puis ce que l’on a appelé le petit âge glaciaire de 1650 à 1850. Mais une analyse des valeurs moyennes sur dix ans ou plus montre que les températures moyennes n’ont guère augmenté de plus d’1°C depuis un millénaire. Ainsi, notre agriculture telle qu’on la connaît actuellement n’a jamais connu de profonde variation climatique. On part aujourd’hui dans l’inconnu.

Le réchauffement climatique sera-t-il négatif pour l’agriculture française ?

Plusieurs phénomènes physiologiques s’opposent. La hausse de la teneur en CO2 a tendance à favoriser la photosynthèse surtout pour les cultures d’origine tempérée (blé, orge, colza…). Mais cet effet peut être contrebalancé par une réduction de la durée du cycle de vie de la plante et par des chutes de productivité en raison de températures élevées et d’une moindre disponibilité en eau. Si le réchauffement climatique se limite à 2-3 °C, il y aura des gagnants et des perdants. En revanche, dans les scénarios de + 4 à 5°C, on va droit à la catastrophe. Dans le sud de la France, dès le premier degré de hausse, l’agriculture sera pénalisée.

Mesure-t-on déjà des changements dans le comportement des plantes ?

Oui. On observe aujourd’hui des modifications de la phénologie des plantes que l’on prévoyait pour 2050 il y a dix ans. Le phénomène le plus évident est la progression spectaculaire du rendement de la betterave : + 50 % en trente ans.On considère que 60 % de la hausse s’explique par le climat. Les dates de moisson du blé ont été avancées de deux à trois semaines, tout comme celles des vendanges. On soupçonne que la stagnation des rendements en blé depuis dix ans s’explique par une augmentation du nombre de jours où la température est supérieure à 25 °C au cours du remplissage des grains, et où la plante est soumise à un stress hydrique pendant la montaison et le remplissage.

Quelles mesures l’agriculture doitmettre en oeuvre pour s’adapter ?

La première réaction est un déplacement des productions, ce que l’on observe déjà. Par exemple, la migration du maïs grain vers le nord s’explique en partie, pour 200 kilomètres, par le réchauffement climatique. Il faut avoir en tête que si le climat se réchauffait de 5°C, on pourrait cultiver du maïs grain en Laponie et de la vigne en Suède ! Autre adaptation : le décalage des dates de semis dans le but d’éviter les périodes de stress hydrique ou de températures élevées en fin de cycle. Il faudra aussi améliorer l’efficience des systèmes d’irrigation. Enfin, un vaste chantier s’ouvre pour les sélectionneurs : on devra trouver des variétés plus précoces à l’épiaison, de forte fertilité et bien adaptées au stress hydrique, avec une efficience maximale d’utilisation de l’eau !

Pensez-vous que l’on pourra maintenir les rendements actuels ?

Sans écarter les possibilités que peut offrir la génétique, traditionnelle ou transgénique, la marge de progrès paraît étroite. Il serait illusoire de penser obtenir des plantes maintenant leur productivité sans un niveau élevé de transpiration. Et atteindre des rendements de niveau équivalent à ceux des agricultures tempérées dans un climat à 300 ou 400 mm de pluie paraît une gageure.

IDENTITÉ

Bernard Seguin est ingénieur agronome à l’Inra, au sein duquel il est responsable de la mission sur le changement climatique et l’effet de serre. Il contribue aux travaux du Giec, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il vient de publier un ouvrage faisant un état des lieux des relations entre changements climatiques et agriculture. Un livre scientifique très pédagogique.


Les plus lus

<em class="placeholder">Laurent Bourgeois, céréalier à Chapelle-Vallon dans l’Aube</em>
Aube : « Grâce à mon budget de trésorerie, je peux me projeter et connaître ma capacité à investir 6 à 8 mois à l’avance »

Laurent Bourgeois est céréalier à Chapelle-Vallon dans l’Aube. Il a mis en place un budget de trésorerie dans un tableau pour…

<em class="placeholder">Maxime Duchène, agriculteur dans l&#039;Oise à Choisy-la-Victoire</em>
Rotation des cultures : « Sur mon exploitation dans l’Oise, je privilégie le rendement de la betterave tout en obtenant de bonnes performances pour la céréale suivante »

Maxime Duchène cultive 100 ha de betterave dans l’Oise. Il n’hésite pas à repousser au maximum l’arrachage de ses…

<em class="placeholder">Alexis Brisset, agriculteur à Beauvois, dans le Pas de Calais, devant la haie qu&#039;il a implanté en 2022 sur son exploitation de grandes cultures</em>
Entretien des haies : « Je compte obtenir une haie basse et dense pour lutter contre l’érosion dans le Pas-de-Calais »
Alexis Brisset, exploitant à Beauvois dans le Pas-de-Calais, a implanté huit kilomètres de haies en 2022 et en 2024 : son…
<em class="placeholder">Jean-Luc Marraud, agriculteur à Chantillac en Charente.</em>
« L’assolement en commun nous a permis de maintenir des grandes cultures sur nos exploitations des deux Charentes »

Jean-Luc Marraud est agriculteur et membre de la SEP Alliance du Sud, qui regroupe des soles de grandes cultures en…

<em class="placeholder">Stockage en big bag des engrais azotés, permettant une longue conservation.  Sac d&#039;ammonitrate. Fertilisation des cultures. Marché des fertilisants.</em>
Prix des engrais et compensation carbone : la menace d’une forte hausse en 2026

L’Association générale des producteurs de blé (AGPB) sonne l’alerte sur le prix des engrais. La mise en place au 1er …

<em class="placeholder">Julien Hérault, gérant de l’entreprise Conseils agroéquipements.</em>
Assolement en commun : « Il faut saturer les outils pour réduire les charges de mécanisation »

Julien Hérault, gérant de l’entreprise Conseils agroéquipements, met en garde contre le risque de suréquipement dans un…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 96€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Grandes Cultures
Consultez les revues Réussir Grandes Cultures au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Grandes Cultures