Oléagineux et protéagineux
Soja : le seul et même concurrent
Oléagineux et protéagineux
Malgré la concurrence du soja américain, en trente ans, une filière française de production et de transformation des oléoprotéagineux s´est construite, dynamique et innovante.
Situation paradoxale que celle des oléagineux et des protéagineux en France et en Europe. Les besoins, tant en huiles qu´en produits riches en protéines (graines protéagineuses et tourteaux), sont bien réels ; les conditions techniques sont réunies pour des productions de qualité (colza 00, soja non-OGM par exemple) ; les outils industriels existent ; de nouveaux débouchés non-alimentaires sont venus s´ajouter aux usages traditionnels alimentaires... Pourtant les céréales gagnent du terrain au détriment des oléagineux et des protéagineux.
La raison est simple : les agriculteurs savent compter. Et ces dernières années, malgré les cours soutenus des oléagineux, les céréales sont plus compétitives que ceux-ci. En effet, en mars 1999, il a été décidé, dans le cadre de l´Agenda 2000, d´aligner toutes les aides aux grandes cultures. Or précédemment, même lors de la réforme de 1992, les aides aux oléagineux et aux protéagineux étaient justement calculées pour rendre ces productions compétitives avec les céréales.
Des décisions ont souvent été plus politiques que techniques.
Certes, cette aide unique a été revalorisée par rapport à l´aide antérieure aux céréales, ne compensant cependant que 50 % de la nouvelle baisse du prix d´intervention des céréales, il faut le rappeler. Mais pour les oléagineux, la baisse de l´aide à l´hectare a été de 30 %, soit environ 150 euros de l´hectare (1000 francs) en 3 ans.
Le résultat ne s´est pas fait attendre. Les surfaces en oléagineux ont baissé dans l´Union européenne passant de 5,9 millions d´ha en 1999 à 5,4 millions d´ha en 2000 et 2001. En France, la baisse des surfaces s´est poursuivie en 2001 et les prévisions pour la récolte de colza 2002, sont de 1,06 million d´ha contre 1,34 en 1999.
Quant aux protéagineux, si les surfaces en féveroles sont stables (200 000 ha dans l´Union européenne), les pois ont fortement chuté. La surface européenne est passée de 1,2 million d´ha en 1998 à 865 000 ha en 2001.
Mais l´accord de Berlin n´est que le dernier avatar en date d´une longue série. L´histoire des oléagineux en France et en Europe, c´est l´histoire d´une concurrence entre l´Europe et les États-Unis, entre oléagineux européens et soja américain, mais aussi entre céréales européennes et soja américain.
©P. Le Douarin |
Quand le soja américain fait défaut, l´Europe réagit
En 1973, pénurie mondiale de soja. Les États-Unis sont alors le principal pays producteur et aussi le principal utilisateur. Ils craignent de manquer de soja pour leurs poulets et autres volailles, et décident alors d´un embargo sur les exportations vers l´Europe. Ils gardent pour eux leur production. « Drôle de comportement pour les tenants - déjà - du libéralisme dans les échanges mondiaux », remarque Jean-Claude Sabin, ancien responsable de la filière oléoprotéagineuse française.
A l´époque, la production française est quasi inexistante. En 1973, il y avait en France 328 000 hectares de colza et 38 000 hectares de tournesol. Quant au soja, c´est une culture confidentielle : 2 000 hectares seulement en 1975.
Un « plan protéines » est alors mis en place dès 1974 au niveau communautaire. Le soja rentre dans l´organisation de marché oléagineux. La recherche publique est mobilisée pour le développement des cultures. En France, les différentes professions impliquées mettent en place une interprofession protéagineuse, Unip, en 1976 et une interprofession oléagineuse en 1978.
Le développement des cultures oléagineuses et protéagineuses en Europe déplaît aux Américains qui y voient des concurrents à leur soja. Les États-Unis déposent une plainte (appelée « panel ») auprès du Gatt(1) contre la Communauté économique européenne (CEE). Ils estiment que le règlement de la CEE qui soutient la production de colza et de tournesol par les prix est une mesure trop protectionniste.
Légende - Chute des surfaces en oléagineux suite à l´Agenda 2000.
Blair House, un « corset » pour les oléagineux européens.
Les Américains finiront par gagner au Gatt. Et, en 1991, en pleines négociations internationales de l´Uruguay Round qui aboutiront aux accords de Marrakech, l´Union européenne devra revoir son règlement oléagineux, avant même la réforme de la Politique agricole commune. Et elle devra aussi négocier de manière bilatérale avec les États-Unis.
Un accord, très défavorable à l´Union européenne, est signé par la Commission européenne en décembre 1992 à Blair House (USA).
L´accord, connu désormais sous ce nom, est un véritable « corset » pour la production européenne d´oléagineux. Heureusement, la limitation est exprimée en hectares et non en volume de production ce qui aurait été encore plus contraignant. La surface en oléagineux pour usages alimentaires sera donc plafonnée à 4,934 millions d´hectares au maximum pour l´ensemble des douze pays de la Communauté. Sur cette surface, la part de la France est de 1,527 million d´hectares (après gel des terres). Au-delà, l´aide au producteur est réduite.
La production d´oléagineux, à des fins non-alimentaires, est elle aussi limitée à un million de tonnes d´équivalent tourteaux de soja... A noter que les États-Unis obtiennent lors de ce même accord un contingent tarifaire (importations à droits de douanes réduits) de 500 000 tonnes de maïs sur le marché portugais.
Sous l´impulsion des producteurs et grâce aux investissements industriels faits par leurs organisations, une filière bio-carburant voit le jour. Cette production non-alimentaire se développe sur jachère.
Aujourd´hui, Diester, marque déposée par la filière oléoprotéagineuse française pour son ester méthylique d´huile de colza, est souvent utilisé à tort comme nom générique pour tous les esters d´huiles végétales !
Ce nouveau débouché qui occupe environ 300 000 hectares a conforté la filière oléagineuse française et contribue, par la fourniture de tourteaux pour l´alimentation animale, à réduire le déficit en matières riches en protéines. Mais ce débouché est lui aussi limité par l´accord de Blair House.
©Source: Unip |
Légende - Chute brutale de la production de pois en France.
Le non-alimentaireau secours de la filière
Les évolutions récentes de la Pac (Agenda 2000) en alignant toutes les aides hectare aux cultures arables « découplent » totalement ces aides de la production. L´objectif est clair : anticiper les négociations à l´OMC où les États-Unis et le groupe de Cairns dénoncent toutes les aides directes. De fait, l´Agenda 2000 a aussi pour effet de pouvoir passer outre aux limitations de surfaces imposées par Blair House, celles-ci étant liées à l´aide spécifique perçue par les oléagineux.
Outre que l´accord de Blair House n´est que suspendu, l´autre conséquence de l´accord de Berlin est la baisse du niveau des aides à l´hectare pour les oléagineux et les protéagineux.
Pendant ce temps, les Américains continuent à inonder le monde de leur soja à bas prix et, qui plus est, génétiquement modifié pour une large part.
De ce fait, le Brésil est devenu le premier fournisseur de l´Union européenne de soja et de tourteaux devant les États-Unis car les consommateurs européens n´en veulent ni pour eux-mêmes, ni pour l´alimentation animale d´OGM.
Cependant, les États-Unis pèsent toujours très lourd sur le marché mondial. La loi agricole américaine de 1996 encourage de fait les agriculteurs américains à cultiver davantage de soja, le prix de référence (loan rate) est 2,8 fois plus élevé pour le soja que pour le maïs alors que le rapport de prix entre les deux cultures se situe en général aux alentours de 2,4. Les surfaces américaines ont donc fait un bond de 25 % !
Et l´injection de paiements compensateurs pour corriger les chutes de prix ne fait qu´accentuer la chute des cours : le farmer est assuré d´une recette quel que soit le prix de marché... Il produit donc toujours plus, tandis que le prix du soja et des tourteaux sur le marché mondial baisse.
Les effets pervers de la loi américaine de 1996
Et Franz Fischler de déclarer en mars 2001, après l´interdiction des farines animales en alimentation animale, qu´« importer des tourteaux américains coûte moins cher au budget européen qu´une aide spécifique », un encouragement à produire des protéagineux en Europe. Un comble de voir ainsi un commissaire européen à l´agriculture se faire, pour ainsi dire, le défenseur de la politique américaine !
Depuis, l´idée d´un « plan protéines » fait cependant son chemin. Et les producteurs français ne désespèrent pas de voir enfin leur demande aboutir. Ils ont déjà obtenu une aide à la diversification des cultures qui doit permettre un redéploiement de la sole oléoprotéagineuse française.
« Gagner la bataille du soja » était le slogan du congrès 2001 de la Fédération des producteurs d´oléoprotéagineux. Un an après, il est toujours d´actualité.
(1) Gatt : General agreement on tarif and trade, ancêtre de l´Organisation mondiale du Commerce (OMC).
Cet article est extrait du dossier "e;Oléopro"e; de Réussir Céréales Grandes Cultures du mois de mai : 34 pages sur les enjeux , innovations, débouchés et perspectives des oléagineux et protéagineux en France et dans le monde.