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Se passer du glyphosate en interculture, des solutions... et des questions

Le glyphosate sert principalement à gérer les vivaces et les graminées, et à détruire les couverts. Sa fin programmée amène à réfléchir à la gestion des pouvoirs nettoyants des cultures intermédiaires, avec de grosses difficultés en cas de système cultural sans travail du sol.

La gestion de l'interculture va devenir encore plus cruciale en cas d'interdiction du glyphosate. © J.-C. Gutner
La gestion de l'interculture va devenir encore plus cruciale en cas d'interdiction du glyphosate.
© J.-C. Gutner

Comment gérer l’arrêt du glyphosate ? Près de 80 % des agriculteurs ne le savent pas encore, selon une enquête réalisée en 2019 par les instituts techniques auprès d’un panel de 10 000 agriculteurs. Le sondage visait à mieux cerner l’utilisation du glyphosate en grandes cultures. Le recours au travail du sol est l’une des pistes pour pallier l’absence de l’herbicide. Dans certaines situations, les investissements trop onéreux que cela implique peuvent toutefois remettre en cause la rentabilité de l’exploitation. Une solution alternative moins coûteuse consiste à conduire différemment les intercultures en agissant sur la durée de la culture intermédiaire. Quelles que soient les solutions retenues, la gestion des vivaces et des graminées ne sera pas à prendre à la légère.

Difficile de renoncer au glyphosate sans travail du sol

« Pour réussir à cultiver sans glyphosate, il est possible d’agir sur différents leviers, comme la couverture du sol ou la construction de la rotation, rappelle Sylvain Duthoit, conseiller en agronomie à la chambre d’agriculture de la Marne. En semis direct, le système est actuellement très dépendant du glyphosate. Il faut repenser le travail du sol en labourant de manière occasionnelle ou en scalpant les graminées avec au minimum deux passages pour plus d’efficacité. »

Le travail du sol reste dépendant du climat. « Sans labour, les graminées adventices sont seulement déracinées et pas enfouies, explique Jérôme Labreuche, ingénieur chez Arvalis. Les résultats des essais strip till ou semis direct sans glyphosate restent très aléatoires. Ces pratiques sans cet herbicide sont presque infaisables en routine, sauf derrière certains précédents très propres. Le travail du sol superficiel représente une solution alternative mais son efficacité peut être très bonne comme très mauvaise selon l’espèce et le stade de l’adventice, et selon les conditions climatiques. »

« En période de sec, on peut se passer du glyphosate »

Ingénieur de développement chez Terres Inovia, Gilles Sauzet mène des essais sur le semis direct du blé derrière tournesol et sans utilisation de glyphosate depuis cinq ans. Jusqu’à l’automne 2019, les parcelles expérimentales sont restées propres avec très peu d’intrants herbicides (1,5 IFT) pour un rendement du blé très correct.

« Cette année, avec les précipitations abondantes depuis la fin septembre, le semis du blé en direct était impossible. Sans utilisation de glyphosate, les parcelles étaient peuplées de vulpins et de dicotylédones diverses. Nous avons eu recours au travail du sol pour les détruire. Le blé a finalement été semé en décembre, limitant son potentiel de rendement. En période de sec, on peut se passer du glyphosate. Les adventices lèvent peu voire pas du tout dans la mesure où l’on ne travaille pas le sol. Mais en conditions humides, sa non-utilisation remet en cause la stratégie de travail du sol et les conditions de semis de la culture. »

Le travail du sol et les faux-semis sont des pistes possibles pour réduire les populations d’adventices. Cependant, ils ont l’inconvénient de lever la dormance de certaines graines, les faisant germer en conditions météorologiques favorables. Le recours à plusieurs interventions mécaniques est donc nécessaire pour les détruire.

Optimiser le rôle de la culture intermédiaire

Pour optimiser le rôle de la culture intermédiaire, le choix des espèces est important. La gestion des graminées est souvent une problématique majeure. Pourtant, la recette paraît aisée : semer tôt le couvert, choisir des cultures à croissance rapide, avoir une densité de semis suffisamment élevée pour étouffer et nettoyer.

« Mais sur le terrain ce n’est pas si simple, déplore Gilles Sauzet. Si le peuplement est irrégulier, des adventices lèvent systématiquement tout au long du cycle de la culture intermédiaire. On se retrouve alors avec des populations de vulpins et de ray-grass à gérer. » Pour Jérôme Labreuche, le choix des espèces doit être adapté au niveau local. « Les couverts n’ont pas le même développement selon la situation géographique de la parcelle. Semer des plantes à croissance rapide le plus vite possible après la moisson favorise la réussite du couvert sauf en région sud très sèche. »

Si le couvert s’est mal développé avec une faible production de biomasse, sa destruction doit avoir lieu dès que possible sinon l’enherbement deviendra ingérable. « En terres séchantes, une destruction précoce après les deux mois réglementaires est indispensable tant que le climat est encore assez clément pour détruire les adventices avant l’hiver », souligne Jérôme Labreuche. Après un couvert peu développé, des questions se posent concernant la gestion de la culture de printemps. Faut-il labourer, travailler le sol sans labour, retarder la date de semis, changer éventuellement de culture ? L’objectif est de retrouver une parcelle propre avant le semis pour ne pas pénaliser le potentiel de la culture.

Des situations problématiques dans le cas de l'ACS, des sols caillouteux, très argileux ou très pentus

L’arrêt du glyphosate peut être un frein important pour le désherbage des parcelles. « Plus de la moitié de la surface agricole française est labourée, ce qui limite globalement les besoins en glyphosate. Mais il reste des situations très problématiques. C’est le cas de l’agriculture de conservation des sols, des sols caillouteux, très argileux ou très pentus sans possibilités de travail profond. En l’absence de dérogations vis-à-vis de l’utilisation du glyphosate, il y a de grands risques à prévoir dans la gestion du salissement et au niveau de la rentabilité économique des exploitations », affirme Jérôme Labreuche.

Les incertitudes sur la viabilité des systèmes sont plus importantes en agriculture de conservation qu’en agriculture biologique. N’utilisant pas de glyphosate, cette dernière n’a pas d’autres choix que de travailler le sol, d’investir dans du matériel spécifique et de diversifier ses productions. Cette multiplication des cultures est possible parce qu’elle possède des débouchés qui n’existent pas en agriculture conventionnelle.

Pour gérer les graminées et les vivaces en sols argilo-calcaires et en sols légers, la couverture du sol est primordiale. « Chez Terres Inovia, on travaille sur un système de couvert permanent avec un minimum de travail sur la ligne de semis. Les expérimentations sont encore à peaufiner », indique Gilles Sauzet. Le reverdissement des parcelles au printemps amène à intervenir pour détruire les adventices.

Des reprises de destruction mécanique plus délicates dans les sols hydromorphes

« Les reprises de destruction mécanique sont plus délicates dans les sols hydromorphes à cause de leur mauvais ressuyage, observe Sylvain Duthoit. Dans les sols calcaires, il est possible techniquement de se passer du glyphosate à condition de les travailler davantage. Sans travail du sol et sans utilisation du glyphosate, on se retrouvera dans certains cas avec des pressions en chardons et en chiendents très importantes. »

Jérôme Labreuche s’inquiète du contrôle de l’ambroisie. « Cette plante invasive au pollen allergène doit impérativement être gérée pendant l’interculture. Si elle lève dans une céréale en fin de printemps, elle doit être détruite rapidement après la moisson. De manière globale, la rotation peut être une solution agronomique pour limiter les besoins en glyphosate. Derrière chaque type d’interculture, selon le précédent cultural et les conditions climatiques de chaque saison, il y a des contraintes différentes en termes de salissement. C’est une marge de progrès pour résoudre des points de blocage. »

Témoignage : Laurent Brochot, 160 ha à Villeneuve-la-Lionne (Marne)

« Nourrir le sol et implanter les couverts très tôt »

« Avec le discours sur le glyphosate, j’ai anticipé la réorientation de mon système de production en convertissant progressivement mes 160 ha menés en agriculture de conservation des sols vers l’agriculture biologique. Sur la partie conventionnelle, ce sont les ray-grass résistants qui me posent un problème. En bio, ce sont plutôt les vivaces. J’observe souvent la flore de mes parcelles car elles sont bioindicatrices. En présence de graminées, j’essaie de semer une légumineuse. Je considère que ces deux types d’espèces ne se concurrencent pas et la légumineuse nourrit mon sol. Si j’observe des chardons, j’implante si possible une prairie temporaire pour structurer et assainir mon sol. En interculture, les mélanges sont composés au minimum de quatre espèces. Ils sont implantés en semis direct le lendemain de la moisson, deux jours après c’est déjà trop tard ! Ils apportent de la matière à mon sol, étouffent les adventices et facilitent leur gestion dans une rotation sans chimie. »

Témoignage : Jean-François Robinet, 173 ha en bio à Le Fresne (Marne)

« J’ai proscrit les outils à disques au profit des outils à dents contre les vivaces »

« Jusqu’en 2012, je travaillais superficiellement mes sols, puis je suis passé en agriculture biologique. J’ai tenté de continuer mes pratiques simplifiées mais j’ai rapidement observé une augmentation des vivaces dans mes champs. Sans chimie, j’ai revu ma stratégie de travail du sol et réintégré le labour. J’ai proscrit les outils à disques au profit des outils à dents. Le décompactage des sols juste après la moisson m’apparaît être une solution efficace pour gérer les plantes à rhizomes en interculture. Mes couverts sont constitués de multiples espèces avec une base de légumineuses. Je cultive de la luzerne, c’est un bon moyen pour épuiser les vivaces grâce aux trois à quatre fauches effectuées par campagne. »

Témoignage : Michel Roesch, 32 ha en agriculture biologique de conservation des sols à Mussig (Bas Rhin)

« Un scalpeur pour créer un mulch, couper les rhizomes et semer le couvert en un passage »

« Je pratique l’agriculture de conservation des sols. Je ne travaille pas le sol en profondeur afin de maintenir suffisamment de matière organique en surface pour dynamiser la levée des cultures. Aujourd’hui, j’ai trouvé une pratique qui convient bien à mon système d’exploitation. Après la récolte et le broyage des pailles, j’apporte de la matière organique que je mélange au sol par un léger déchaumage à disques. Je crée ensuite un mulch en passant avec un scalpeur à pattes d’oie plates. Cet outil, que j’ai adapté, me permet en un seul passage de couper les rhizomes et les résidus et de semer le couvert grâce à l’injection des graines derrière les socs. Le mulch protège de la déshydratation du sol, favorisant ainsi la levée et la vigueur du couvert. J’augmente la densité de semis de 20 % par rapport aux préconisations. Je considère que c’est un investissement car un couvert réussi est la clé de tout. Il nourrit, nettoie et structure le sol. »

Témoignage : Jean-Paul Simonnot, 235 ha à Montépreux (Marne)

« Travailler les sols et associer les espèces »

« Pour se passer du glyphosate, il faut travailler les sols. Dans mes champs, je dois gérer des problématiques de vivaces et de graminées. Je laboure occasionnellement. Avant les semis de couverts, je passe avec un déchaumeur à disques puis un déchaumeur à dents socs patte d’oie pour scalper les vivaces afin de nettoyer la parcelle. Par temps sec, ce travail donne satisfaction. Pour limiter les interventions dans la rotation, j’associe des espèces (lentillon avec seigle, pois avec orge ou blé avec trèfle blanc nain). Je cultive aussi la luzerne (20 à 25 % de ma sole) et le chanvre pour leur pouvoir étouffant. »

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