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Produits phytosanitaires : « L’Anses a deux ans pour réexaminer toutes les autorisations de mise sur le marché déjà délivrées »

La Cour administrative d’appel de Paris ordonne à l’Anses de réexaminer toutes ses autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires, pointant le manque de prise en compte des dernières connaissances scientifiques. Benoît Grimonprez, professeur de Droit à l'Université de Poitiers et spécialiste des questions agricoles et rurales, décrypte les enjeux de cette décision.

<em class="placeholder">Benoît Grimonprez, professeur de Droit.</em>
Il est difficile d'estimer aujourd'hui le nombre de produits qui seront concernés par une révision de leur AMM, estime Benoît Grimonprez.
© B. Grimonprez

Par un arrêt du 3 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris, a condamné l’État à revoir ses protocoles d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires, estimant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a commis une faute en n’évaluant pas systématiquement les produits phytosanitaires au vu des dernières études scientifiques. La Cour ordonne aussi à l’État de procéder à un réexamen des AMM déjà délivrées dans un délai de 24 mois.

​​​​​​Quelles sont les origines de cet arrêt du 3 septembre ?

B. G : Le 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris, saisi par plusieurs associations, avait déjà reconnu un préjudice écologique lié à l’usage des produits phytosanitaires : atteinte à la qualité des eaux et des sols, érosion de la biodiversité, en plus des risques connus pour la santé humaine. La Cour avait jugé l’État français responsable de ces dommages. L’arrêt du 3 septembre va plus loin. Il estime que l’Anses, qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) au nom de l’État, ne tient pas toujours compte des dernières connaissances scientifiques et techniques disponibles. L’agence s’appuie jusqu’alors sur les protocoles harmonisés de la Commission européenne, mais ne respecte pas une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (1er octobre 2019) qui impose aux autorités de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale. Conséquence : l’Anses doit revoir ses protocoles d’évaluation pour chaque AMM déjà délivrée.

Quelles conséquences pour les produits phytosanitaires déjà sur le marché ?

B. G : Concrètement, l’Anses a deux ans pour réexaminer toutes les autorisations de mise sur le marché déjà délivrées, en particulier au regard des impacts sur les espèces non ciblées (non visées par le produit). Impossible à ce stade de dire combien d’AMM seront affectées : certaines intègrent déjà toutes les données disponibles, d’autres non. Pour certains produits, cela ne changera rien ; pour d’autres, cela pourrait aller jusqu’au retrait. Les produits ayant déjà suscité des alertes (comme le prosulfocarbe ou les SDHI) pourraient être particulièrement concernés. Si l’Anses ne tient pas le délai, l’État sera en faute, mais il n’y aura pas de retrait automatique des produits dont l’AMM n’a pas été réexaminée. En revanche, leurs AMM pourraient être attaquées en justice par des associations au nom du principe de précaution, les rendant plus fragiles. Reste une incertitude : le législateur n’a pas précisé si les AMM devront être actualisées en continu au gré des nouvelles études scientifiques. Si tel est le cas, le travail de l’Anses sera encore plus complexe.

Comment seront traitées les AMM délivrées ailleurs en Europe ?

B. G : La France est aujourd’hui le seul pays à appliquer aussi strictement la jurisprudence européenne. Or, une partie des produits utilisés en France provient d’autres pays de l’UE, via le système de reconnaissance mutuelle des AMM qui fait que l’autorisation d’un autre État membre est reconnue par les autorités françaises (entre 2018 et 2024, 51 % des demandes de reconnaissance ont été acceptées).

Mais la loi Duplomb a apporté des modifications à la procédure des AMM, obligeant notamment l’Anses à tenir compte des circonstances agronomiques, phytosanitaires, environnementales et climatiques du territoire national qui, n’auraient pas été intégrées dans l’évaluation effectuée par l’État membre ayant autorisé le produit. Cette prise en compte se fait de manière très concrète en autorisant le produit en France, mais sous conditions ou restrictions, ou en excluant certains territoires. Avec l’arrêt du 3 septembre, elle devra en plus vérifier que les protocoles des autres États reposent bien sur les connaissances les plus récentes. À moyen terme, cela pourrait limiter l’arrivée de produits étrangers sur le marché français, et aboutir à des AMM plus strictes en France qu’ailleurs en Europe. Les agriculteurs risquent donc de disposer d’une offre plus réduite, ou de produits assortis de conditions d’usage plus contraignantes, avec à la clé de nouvelles distorsions de concurrence.

Au final, l’impact de l’arrêt reste difficile à mesurer. Peu de produits pourraient être concernés ou au contraire beaucoup, avec des conséquences lourdes pour la production agricole. D’où la nécessité, plus que jamais, d’investir dans la recherche de solutions alternatives fiables.

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