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« Nous avons créé une holding pour assurer la pérennité de la ferme »

Pour Anthony et Aurélie Quillet, engagés dans l’agriculture de conservation, la durabilité doit être écologique mais aussi économique. En créant une holding, ils se dotent d’un outil pour mieux investir et préparer la transmission de l’exploitation.

Aurélie et Anthony Quillet. « Dans la perspective d'une éventuelle transmission à nos enfants, qui sont encore jeunes, la holding permet de ne fermer aucune porte tout en confortant nos capacités de capitalisation et d’investissement. »
Aurélie et Anthony Quillet. « Dans la perspective d'une éventuelle transmission à nos enfants, qui sont encore jeunes, la holding permet de ne fermer aucune porte tout en confortant nos capacités de capitalisation et d’investissement. »
© C. Baudart

Comment pérenniser son exploitation lorsqu’on est installé sur des terres à potentiel moyen, même avec une belle surface ? Pour Anthony et Aurélie Quillet, exploitants à Montlouis-sur-Loire en Indre-et-Loire, sur 600 hectares, la réponse est à la fois agronomique, économique et juridique. Côté agronomie, Anthony pratique l’agroécologie depuis son installation en 1998, et s’est lancé dans l’agriculture de conservation (ACS).

Outre ses bienfaits environnementaux, elle a aussi une vertu économique : celle de compresser les charges opérationnelles et de structures. Pour le couple, la durabilité implique également d’anticiper la transmission. Dans cette optique, ils ont créé une holding agricole. Une réserve disponible pour financer des projets « Nous avons deux enfants de 13 et 16 ans qui aiment le métier d’agriculteur et nous leur faisons partager nos décisions et nos valeurs, explique Aurélie. Ils sont encore jeunes, mais nous faisons en sorte que s’ils souhaitent reprendre, cela soit possible. Pour cela, nous voulons qu’ils aient un outil clé en main, et que si l’un d’eux ne reprend pas, il ne soit pas lésé. La holding permet de ne fermer aucune porte tout en confortant nos capacités de capitalisation et d’investissement. »

Laisser du résultat en réserve

« Avec cette nouvelle structuration, une partie des résultats de la SCEA remonte dans cette holding qui est alors imposée au taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Lors de l’assemblée générale annuelle, le résultat peut être mis en réserve, il n’y a alors pas d’autre impôt à payer. Si le résultat est distribué aux associés, de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales seront appelés sur ces sommes distribuées», explique Céline Sibout, qui conseille les Quillet au sein du cabinet Fiteco.

« Si l’on distribue 100 % du résultat de la holding chaque année, les coûts en impôts et cotisations sociales seront pratiquement équivalents à ceux de la SCEA soumise à l’impôt sur le revenu, poursuit l'experte. L’intérêt de l’IS est de laisser du résultat en réserve. Avec la seule SCEA assujettie à l’impôt sur le revenu, l’impôt et les cotisations sociales sont appelés sur l’ensemble du résultat, qu’il soit prélevé ou non. Si on constitue 10000 euros de réserve tous les ans dans la holding, au bout de dix ans la capitalisation atteint 100 000 euros. Cette somme est disponible pour financer un projet. »


L’existence de la holding facilite aussi la gestion de la trésorerie. « Des conventions de trésorerie peuvent être formalisées entre la SCEA et la SC pour permettre de faire transiter des liquidités d’une société à l’autre », explique Aurélie Quillet.

La holding implique toutefois une gestion rigoureuse. « Le plus dur, c’est de comprendre son schéma de fonctionnement et de bien avoir en tête ce que l’on peut faire et ne pas faire, souligne l’agricultrice. Pour cela, il est important de s’entourer de compétences reconnues, comme le cabinet Fiteco. La création de la société civile a nécessité des frais et de l’énergie mais les bénéfices l’emportent. »

Des charges compressées au maximum

Cette stratégie renforce la solidité de l’outil de production, déjà étayée par de beaux atouts économiques. « Mon parc matériel est très limité. Ça fait longtemps que je n’ai plus de charrue et je n’ai plus d’outil de travail du sol », explique Anthony Quillet. Ses charges de mécanisation sont inférieures de 20 % à la moyenne régionale et sa consommation de carburant est divisée par deux. En parallèle, il applique un programme phyto très léger. Sur blé, il utilise peu d’insecticide, un à deux fongicides (à dose réduite) et limite les herbicides.

Avec des rendements moyens de 65 q/ha en blé, sa marge brute est dans la moyenne régionale. « Les équilibres biologiques permettent de limiter la pression des maladies et des ravageurs », justifie Anthony Quillet. Ces performances séduisent aussi ses clients, à qui il propose des prestations de travaux agricoles de A à Z en appliquant son savoir-faire en matière d’agriculture de conservation. Pour mener à bien toutes les tâches, l’exploitation compte deux salariés.

La place d’Aurélie, qui a rejoint la ferme depuis le départ à la retraite du père d’Anthony, est centrale. C’est elle qui assure toute la gestion administrative de l’exploitation, le règlement et l’envoi des factures, le niveau de trésorerie, la saisie comptable… Bref, elle assume l’ensemble des tâches de bureau, un rôle clé pour la bonne santé de l’exploitation. « Je ne travaillais pas dans l’agriculture mais désormais j’y consacre tout mon temps, sourit la jeune femme. L’idée est de gérer à deux, parce que c’est une entreprise familiale et que notre souci est de faire en sorte qu’elle continue de tourner quoi qu’il arrive. »

Rémunérer les vertus de l’ACS

L’agriculture de conservation des sols (ACS) s’inspire des écosystèmes forestiers. Elle se passe du travail du sol en maintenant un couvert végétal permanent et en diversifiant la rotation. Ses vertus sont multiples, mais elles ne sont pas rémunérées en tant que tel. Pour y remédier, l’Apad a lancé le label Au cœur des sols. Objectif : générer de la valeur ajoutée pour les agriculteurs en ACS ainsi que reconnaître et valoriser les pratiques. Le développement du marché des crédits carbone pourrait être la clé de cette valorisation : les exploitations en ACS sont économes en gaz à effet de serre. Cette rémunération récompenserait les risques pris par les agriculteurs engagés dans cette démarche, sans qu’elle soit captée par d’autres maillons de la filière. L’association a déjà atteint son objectif de 250 fermes labellisées en 2021.

Céline Sibout, ingénieure conseil au cabinet Fiteco.

« Veiller à formaliser une convention de trésorerie »

 

Céline Sibout, cabinet Fiteco. « Avec une convention de trésorerie, la holding joue le rôle de banque entre les sociétés, avec plus de simplicité, de rapidité et à moindre coût. »

« En agriculture, il est possible qu’une société civile (SC) devienne une holding en détenant des parts de sociétés agricoles. Pour Anthony et Aurélie Quillet, cette structuration juridique a été constituée par une augmentation de capital dans la SCEA. La SC réunit plusieurs atouts. Elle a notamment permis d’absorber le départ en retraite de leur principal associé. Les époux sont associés au sein de cette structure qui détient maintenant 35 % des parts de la SCEA. La SC détiendra bientôt des parts dans la seconde SCEA de l’exploitation, dans une proportion qui n’excédera pas 49 % : c’est le seuil à ne pas dépasser pour se conformer au statut du fermage. La mise à disposition d’un bail à une société ne peut s’effectuer que si celle-ci est détenue majoritairement par des personnes physiques.

L’intérêt économique de la holding existe également. Le taux global des prélèvements obligatoires avec une société à l’impôt sur les sociétés est plus faible qu’avec une société à l’impôt sur le revenu : le taux de l’IS est de 15 % (jusqu’à 38 120 €) puis de 25 % (à partir de 2022). Avec cette structuration, les cotisations MSA diminuent également : elles sont calculées sur les bénéfices agricoles dans la SCEA, qui diminuent si une quote-part de résultat remonte dans la holding.

Pour que la holding soit un vrai outil au service de la gestion de l’exploitation, il ne faut pas négliger la signature d’une convention de trésorerie. Ce contrat permet de faire transiter de l’argent d’une société à une autre sans passer par les comptes courants associés. La SC joue alors le rôle de banque entre les sociétés, avec plus de simplicité, de rapidité et à moindre coût. La convention précise la durée du prêt, le montant prêté et le taux d’intérêt appliqué. Celui-ci ne peut être nul. Attention, étant donné que ce n’est pas l’objet de nos sociétés civiles, pour éviter d’être assimilé à un abus de gestion, une société ne peut prêter à une autre société que si une convention de trésorerie est signée. »

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