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PLANETE SEMENCE
Les grandes manoeuvres des entreprises semencières mondiales

Après le chassé-croisé des pétroliers, puis l'arrivée des agrochimistes, la vague de restructurations des firmes semencières semble aujourd'hui se calmer. Selon François Haquin, ancien rédacteur en chef de Semences et Progrès, il reste encore de la place pour les PME performantes.

Longtemps cantonné au monde agricole, avec des PME familiales fondées par des agriculteurs, et des coopératives, le métier de semencier ne s'est ouvert aux investisseurs extérieurs qu'à partir du milieu de la décennie 1970. Ce fut alors le chassé-croisé des firmes pétrolières (Shell, Elf-Aquitaine, Lubrizol…), ainsi que de Lafarge, qui imaginaient le secteur des semences comme une poule aux œufs d'or. Avant de découvrir rapidement que ce métier atomisé à l'extrême (nombre d'espèces cultivées et diversité des exigences variétales) ne correspondait pas à leur culture industrielle quasi mono produits.

La deuxième vague de rachat des entreprises semencières – initiée avant la fin de l'ère des pétrolières – fut celle des agrochimistes. Pour ces firmes, la complémentarité des deux activités était beaucoup plus évidente. D'abord parce que les deux métiers, phytos et semences, visent la même clientèle agricole. Les plus optimistes pouvaient espérer un nouveau potentiel de chiffre d'affaires. Alors que les plus réalistes anticipaient déjà la montée des contraintes environnementales, qui allaient irrémédiablement réduire les ventes de l'agrochimie. Bien entendu, comme les pétrolières, mais de façon moins simplistes, ces firmes avaient aussi à l'esprit l'enjeu stratégique de l'agriculture mondiale, et les perspectives prometteuses – et coûteuses - des biotechnologies. De fait, Monsanto anticipait l'intérêt d'un "package phyto-semences", comme cela est réalisé avec les variétés OGM résistantes au Roundup. Mais ce n'était certainement pas la motivation déterminante des agrochimistes, dans la mesure où les résistances variétales visent, le plus souvent, à réduire les traitements chimiques.

A noter, aussi, l'approche originale du groupe DuPont. En achetant Pioneer, cet agrochimiste, outre des objectifs identiques à ceux de ses concurrents, visait aussi des synergies sur l'aval c'est-à-dire sur l'agroalimentaire. Par exemple, des variétés de maïs apportant un avantage breveté sur l'alimentation des dindes, permettant à la firme de percevoir des royalties sur chaque kilo de dindes commercialisé… Cette option, non encore réalisée, semble cependant confirmée par le récent rachat de la firme danoise Danisco, spécialisée dans les additifs alimentaires. Dow, avec les huiles alimentaires, est aussi sur cette ligne. Laquelle avait été envisagée par Limagrain, espérant une synergie entre sa recherche variétale sur le blé, et la panification de sa filiale Pain Jacquet.

A ce jour, contrairement aux pétroliers, tous les agrochimistes qui se sont diversifiés vers les semences sont encore présents sur ce créneau, et tendent même à accroître leurs parts de marché. Ainsi, le classement mondial des semenciers a beaucoup moins changé entre 2001 et 2009, que pendant les quinze années précédentes. Ce paysage ne paraît pas pour autant définitivement figé.

Monsanto est un pur "agro" (phytos et semences). Son investissement dans les semences et les biotechnologies était destiné à compenser la perte d'exclusivité sur son quasi unique produit phyto, le Roundup. Objectif atteint, puisque les semences représentent aujourd'hui 63 % de son chiffre d'affaires. Ayant anticipé la recherche sur les OGM, avant la multiplication des blocages réglementaires, Monsanto encaisse aujourd'hui près des 90 % des royalties mondiales liées à ces innovations. La stratégie du groupe, très axée sur la bourse, reste cependant difficile à déchiffrer. Par exemple quand le groupe achète une recherche blé performante (le britannique PBI), dans le but de valoriser ses innovations en biotech, avant de revendre cette filiale (à RAGT), sans pour autant abandonner les biotech sur cette espèce… De même, la revente (à Syngenta), d'une activité tournesol, pourtant profitable, dans un objectif de recentrage. Ainsi, Monsanto semble pratiquer un certain écrémage, se limitant aux quelques espèces les plus profitables, et qui laissent espérer une valorisation des biotechnologies : maïs, soja, coton, colza et potagères.

Syngenta, lui aussi pur agro, et, lui aussi, constitué par croissance externe (rachat d'autres semenciers), apparait au contraire comme le plus diversifié des grands semenciers internationaux. Le groupe sélectionne en effet le maïs, les trois oléagineux (soja, colza et tournesol), les céréales à paille, les betteraves, le coton, les potagères et les semences florales. Conformément aux objectifs de départ, la part des semences dans le chiffre d'affaires total progresse régulièrement, atteignant à ce jour environ 23 %, contre 15 % en 2001.

Les semences ne représentent qu'environ 17 % de l'activité totale du groupe DuPont. Toutefois, sous le nom de Pioneer, DuPont détient une place de leader sur le marché américain des semences de maïs. Une nouvelle orientation stratégique du groupe pourrait entraîner la revente de cette activité, sans trop de dommage pour elle, compte tenu de la place qu'elle occupe, même si ses structures sont de plus en plus liées à celles de l'agrochimie du groupe (9 % du CA de DuPont).

Les semences ne représentent que 16 % du chiffre d'affaires total de Bayer, 0,9 % de celui de Dow, et encore moins pour BASF. Bayer et BASF n'ont investit que timidement dans les semences, se limitant à quelques niches, telles le canola au Canada pour le premier, et les pommes de terre pour le second. Quand à Dow, il est semencier "par héritage", ayant récupéré un pool génétique en rachetant l'agrochimiste Elanco. Toutefois Dow étoffe actuellement son portefeuille semencier, notamment en maïs, avec le rachat du sélectionneur autrichien MTI, et de l'activité maïs de l'allemand Saaten Union. Par contre, ni Bayer, ni BASF ne semblent engagés dans de telles opérations de croissance externe. Leurs activités semences apparaissent ainsi relativement "fragiles", pouvant être revendues dans le cadre d'une opération de "recentrage".

Vilmorin, qui regroupe toutes les activités semencières de Limagrain, et KWS sont les deux "purs semenciers" du top ten mondial. Avec cependant des stratégies différentes. Vilmorin s'est surtout constitué par croissance externe, avec une assez forte diversification, par espèce et géographique. Tandis que KWS, semencier ayant le plus progressé par croissance interne (développement du maïs), s'est concentré sur la betterave, dont il est leader mondial, le maïs (Europe et Etats-Unis) et les céréales à paille. Les solides positions atteintes par ces deux groupes confirment que le marché mondial des semences n'est pas réservé aux agrochimistes. Tous deux investissent actuellement sur la sélection du blé aux Etats-Unis.

Plus on descend dans le classement, et plus les firmes sont spécialisées, en termes d'espèces travaillées, et/ou de localisation de leurs marchés : Sakata et Takii, sont très centrées sur les semences potagères et florales, essentiellement au Japon ; DLF Trifolium et Barenbrug sur les semences fourragères, secteur qui n'intéresse pas les majors du métier, Rijk Zwaan sur les potagères, Saaten Union sur les céréales à paille européennes, Euralis et Maïsadour sur le marché européen des semences de maïs et d'oléagineux. Caussade est sur ce même créneau, mais avec, en plus, une forte activité de production de semences de céréales à paille. Les plus diversifiés de cette liste étant RAGT, qui, outre le maïs et les oléagineux, est opérateur majeur dans la sélection des céréales à paille et des fourragères, ainsi que Florimond Desprez, qui, en 2005, a complété sa position de leader européen en céréales à paille par le rachat de SesVanderHave, un des leaders européen des semences de betteraves.

LES CLES DE LA PERENNITE

Ce panorama synthétique des principaux semenciers mondiaux confirme qu'il n'y a pas de schéma type de l'entreprise semencière idéale. Certes, les grandes multinationales contribuent, par leurs moyens financiers, à des innovations biotechnologiques très positives pour l'agriculture. Mais les marchés sont tellement diversifiés que beaucoup de plus petites entreprises peuvent trouver durablement leur place. C'est même vital pour les agriculteurs, dans la mesure où les grandes multinationales ne couvriront jamais toutes les espèces, sur toutes les zones géographiques. Pour autant, de nombreux petits semenciers vont encore disparaître, absorbés par la poignée des multinationales, toujours à l'affut de croissance externe. Quelles sont donc les clefs de la pérennité, pour les PME du secteur ?

- L'accès aux biotechnologies, qui, sans même parler d'OGM, devient une nécessité incontournable, en tant qu'outil de sélection. Ce nouveau champ de recherches, très prometteur, mais aussi très coûteux, est hors de portée des petites PME trop spécialisées. Il leur faut donc, soit élargir leurs marchés géographiques, sur la ou les espèces qu'elles ont choisi de développer. Ou bien constituer des partenariats en recherches fondamentales, tout en restant concurrentielles en terme commercial. C'est ce qu'ont fait Limagrain et Euralis sur le tournesol (Soltis), Maïsadour avec Syngenta, ou Momont avec KWS. Déjà nombreux, ces accords de recherches vont s'intensifier.

- Pour les PME, une des clefs est de trouver le bon équilibre entre la spécialisation, inévitable pour limiter les coûts, et la diversification, indispensable pour amortir les recherches, et pour encaisser les périodes de basses eaux, sur telle ou telle espèce ou marché.

- Le libre accès à l'innovation constitue aussi un enjeu stratégique pour les PME semencières, et donc pour la biodiversité variétale. Aujourd'hui, ce libre accès est garanti par le certificat d'obtention végétale (COV), qui permet à une firme d'utiliser les innovations de son concurrent pour créer les siennes. Aujourd'hui, le COV n'est pas menacé en soi, mais son objectif risque d'être annihilé par un brevetage excessif des innovations, à l'intérieur même d'une variété bénéficiant d'un COV.

Le retour sur investissement est indispensable à la survie de toute entreprise semencière. Avec les semences autogames, il est essentiellement assuré par les ventes de semences certifiées. Pour les espèces secondaires, avoine, orge fourragère, pois, féverole, lupin, lin oléagineux… l'utilisation excessive de semences de ferme condamne, à terme, leur sélection. Ce serait une menace pour la biodiversité agricole, d'autant que la concentration de l'agriculture sur quelques espèces ne fait que favoriser les multinationales semencières.

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