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Pertes de terres agricoles
La protection des terres agricoles victime de la boulimie du législateur

Après l’indifférence, les espaces agricoles et naturels sont aujourd’hui soumis à de nombreuses réglementations souvent inapplicables et contradictoires entre elles, selon les juristes spécialisés en droit rural.

Les textes réglementaires encadrant la préservation des espaces agricoles et naturels se multiplient sans grande cohérence, ce qui les rend inefficaces. Tel est le bilan accablant établi par les juristes réunis à Paris fin janvier à l’occasion d’un colloque organisé par les notaires de France, en partenariat avec l’université de Poitiers et l’association nationale de développement des espaces ruraux. Ces dernières années, une prise de conscience de la disparition des terres agricoles et naturelles a eu lieu. « Il y a dix ans, la notion même de maintien des territoires agricoles n’existait pas », reconnaît Jean-Louis Subileau, urbaniste aménageur. Cette évolution des mentalités a influé sur la législation au travers de la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005, complétée par les deux lois Grenelle de 2009 et 2010, puis par la Loi de modernisation agricole de 2010.

PLANIFICATIONS ET ZONAGES
Deux types d’outils ont été renforcés : la planification et le zonage. « Désormais, la préservation des espaces est devenue un fil conducteur du plan local d’urbanisme (PLU) au niveau de la commune, ainsi que du schéma de cohérence territorial (Scot) au niveau de l’agglomération. Ces outils se sont grenellisés », souligne Isabelle Savarit- Bourgeois, maître de conférence à la faculté de droit de Poitiers. Le Scot a pour mission d’arrêter des objectifs chiffrés de lutte contre le gaspillage et de réaliser un diagnostic agricole de consommation des espaces. La commune est tenue d’atteindre les objectifs fixés dans le Scot à travers les orientations d’aménagement de son PLU. Par ailleurs, depuis 2010, le Scot peut délimiter des secteurs de densification urbaine que les PLU devront intégrer. Au moment de la validation par l’État, le pouvoir du préfet a été renforcé puisque ce dernier peut s’opposer à un Scot ou un PLU qui ne respecterait pas les prescriptions légales. « À toutes ces nouvelles dispositions de planification locale, viennent s’ajouter des normes étatiques dont l’empilement laisse dubitatif », souligne la juriste.Natura 2000, Sdage, zones agricoles protégées, parcs naturels régionaux, zones humides, réserves naturelles, schéma de cohérence écologique, plan climat-énergie, plan régional de développement rural… « J’ai dénombré soixante zonages différents.Un même territoire peut se retrouver concerné par une vingtaine d’entre eux, ce qui rend illisible le dispositif, d’autant que les divers périmètres ne sont pas mis en cohérence les uns avec les autres. Cela désoriente les élus les plus motivés », s’insurge Jean- Marie Gilardeau,maître de conférence à la faculté de droit de Poitiers. Et il sait de quoi il parle puisqu’il est lui-même élu local. « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite », résume Isabelle Savarit-Bourgeois.

UN MILLEFEUILLE LÉGISLATIF
Pourtant, les intentions sont là, renforcées par des incitations ou sanctions fiscales visant à protéger les espaces agricoles et naturels. Par ailleurs, les départements, le conservatoire du littoral, les conservatoires régionaux des espaces naturels (Cren), les agences de l’eau, les établissements publics fonciers sont autant de structures publiques ayant les moyens d’intervenir sur le marché des terres, l’arme absolue étant le droit de préemption dont elles sont majoritairement dotées, spécialement les Safer. « La préservation du foncier agricole dans les zones périurbaines pose problème. L’intervention des Safer ne suffit pas. Il faut une meilleure lisibilité dans nos relations avec les collectivités territoriales », reconnaît Michel Heimann, directeur de la FNSafer. A aussi été créée une commission chargée de surveiller les changements d’affectation du sol, mais celle-ci n’a qu’un rôle consultatif.
Pourquoi toutes ces lois, votées par la même majorité politique, sont-elles contradictoires entre elles? « Cela s’explique en partie par le processus d’élaboration des textes, analyse Jean-Marie Gilardeau. Les lois sont quasiment toujours issues de projets de loi conçus par les services ministériels avant d’être votées par les parlementaires. Selon que la loi provient du ministère chargé de l’urbanisme, de l’agriculture l’agriculture ou de l’écologie, elle n’aura pas la même teneur. Cela conduit à une stratification des mesures, voire des contradictions, tant chaque administration travaille en circuit fermé, sans aucun partenariat avec ses homologues. » C’est ainsi que les élus se retrouvent face à un monceau d’outils réglementaires peu ou pas appliqués. « Le droit ne produit ses effets qu’à condition que quelqu’un provoque sa mise en oeuvre, poursuit-il. Un exemple est révélateur : celui relatif aux excès de vitesse. En l’absence de contrôle, l’automobiliste continue de rouler trop vite sans être sanctionné. Il en va de même avec la disparition des terres agricoles. Si personne n’actionne l’appareil juridique, il ne se passe rien et la préservation des campagnes demeure lettre morte. »

EN CHIFFRES
Une perte de 26 m2 de terres agricoles par seconde
- Entre 2006 et 2010, la France a perdu 82 000 ha de sols agricoles par an (- 0,3 % par an).
- Les sols artificialisés ont augmenté dans le même temps de 79000 ha pa ran (+ 1,7 %).
- Les sols naturels autres que boisés ont augmenté de 13 000 ha par an (+ 0,3 %), alors que la surface de forêts est restée stable.
- En 2010, le territoire français était composé de 28,2 millions d’ha de terres agricoles ; 21,7 millions d’ha de sols naturels (dont 17 millions boisés) et 4,9 millions d’ha de sols artificialisés.

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