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Ils maîtrisent le chanvre de A à Z

La volonté de diversifier leur activité a poussé un groupe d'agriculteurs à développer la culture du chanvre et à acquérir une usine de transformation. Une solution pour garder de la valeur ajoutée.

Une fois n'est pas coutume. La chanvrière d'Aulnoy, en Seine-et-Marne, est le fruit d'une délocalisation de l'Allemagne vers la France. C'est en 2007 que quelques agriculteurs seine-et-marnais, dont Laurent Cossut, ont réfléchi à produire du chanvre. Parallèlement, l'intercommunalité de l'éco-vallée de la Marne a affirmé sa volonté de construire une filière éco-construction dans la région. Heureuse coïncidence pour le groupe d'agriculteurs qui se voit soutenu dans sa réflexion de diversification. Après une réunion d'information auprès des agriculteurs de la région, une dizaine d'entre eux poursuivent le projet et créent l'association Planète chanvre. Avec le triple objectif de produire une nouvelle culture comme tête d'assolement, de répondre à une attente sociétale et de monter une petite unité de transformation locale.


Quelques tatonnements sur la technique de récolte


Dès 2008, le groupe démarre une phase d'expérimentation sur la culture à raison de 25 ares par agriculteur. Pour cette première année, ils testent la fauche avec double lame : un passage avec une moissonneuse dont la coupe est relevée au maximum pour récupérer la graine (appelée chènevis), et une seconde fauche au ras du sol pour récolter la plante entière. Cet essai de première récolte  n'est pas concluant. L'année suivante, chaque agriculteur sème 1,5 hectare avec à l'essai, une autre technique de récolte. Il s'agit d'une moissonneuse-batteuse transformée, avec à l'avant, un bec rotatif d'ensileuse de marque Kemper. L'équipement permet de récolter en un seul passage la graine et la fibre en tige de 50 à 60 centimètres. Cela a aussi l'avantage d'éviter l'étape « guillotine » à l'entrée de l'usine pour recouper les tiges.
Les agriculteurs sont allés visiter d'autres bassins de production et quelques usines de transformation en France et en Allemagne pour se faire une idée plus précise de la filière. Ils ont pris conscience que trouver un outil industriel pour transformer la production de 300 à 400 hectares ne serait pas chose simple. « Lors d'une visite de l'usine Bafa en Allemagne, les associés nous ont proposé de nous vendre leur usine car leur bassin de production était trop large et le modèle économique fragile, explique Laurent Cossut. Après réflexion, nous avons accepté à la condition que l'un des associés allemands reste avec nous dans l'aventure. Étant spécialisé en commercialisation, c'était un aspect primordial pour la viabilité de notre projet. Ainsi, en plus des outils de production, nous avons acheté, la clientèle donc les débouchés. »
Après démontage en Allemagne, c'est à Aulnoy, en Seine-et-Marne que l'usine est remontée. Sa capacité de transformation correspond à la production de 1 000 à 1 200 hectares de chanvre. D'où la nécessité pour le groupe d'ouvrir la production à d'autres agriculteurs voisins. La surface va aussi monter progessivement en puissance : de 350 hectares en 2010, 740 hectares en 2011 puis 950 hectares en 2012 avec une centaine de producteurs sur un rayon de 40 kilomètres autour de l'usine environ. Depuis, la surface totale est réajustée d'une cinquantaine d'hectares, à la hausse ou à la baisse, chaque année en fonction des besoins de l'usine.
Les débouchés sont assez variés. Le chanvre donne de la fibre pour 30 %, transformée en panneaux d'isolant pour la construction et en plasturgie thermoformée, destinée à l'industrie automobile. C'est un marché qui se développe encore grâce à la réglementation incitant l'usage de produits biosourcés. Pour 50 %, le chanvre donne de la chènevotte, écorce utilisée en éco-construction, mélangée avec de la chaux pour faire des enduits, en litière ou en paillis pour les massifs paysagers. Quant à la graine, ou chènevis, elle est utilisée en cosmétique, en oisellerie, ou pour produire de l'huile alimentaire. De nouveaux débouchés seraient à l'étude pour des usages médicaux (antidouleurs, traitement de l'épilepsie...)
Enfin, les poussières qui ont un bon pouvoir calorifique, peuvent être comprimées en briquettes pour la combustion ou être utilisées brutes pour alimenter une unité de méthanisation.


La culture est sous contrat pluriannuel


Pour adapter la production aux débouchés, les agriculteurs sont liés à l'usine par un contrat pluriannuel de quatre ans intégrant un prix minimum garanti en paille et en chènevis. Ce schéma a l'avantage d'apporter de la sécurité à l'agriculteur comme à l'usine. C'est une culture qui n'est pas sensible à la volatilité des cours, surtout en graines. En moyenne, le rendement en graines avoisine une tonne par hectare et en paille entre sept et huit tonnes par hectare. Économiquement, le chanvre vaut un blé à 185 euros avec un rendement de 85 à 90 quintaux. Concernant la récolte, l'usine détient deux moissonneuses et doit optimiser le circuit de récolte. Le choix des variétés lui revient donc afin d'attribuer à chaque zone de production la précocité nécessaire au bon déroulement des chantiers de récolte. Pour un  meilleur étalement du chantier de récolte, 60 à 80 hectares sont récoltés « en vert ». Sur cette surface, sont implantées des variétés plus tardives avec une floraison également plus tardive. La durée de pousse se trouve alors allongée et la production de tiges accrue. Ces variétés se récoltent avant la maturité. « Mais c'est la réussite du semis qui est primordiale car aucun rattrapage n'est possible pour obtenir une levée homogène et étouffer les adventices », insiste Laurent Cossut. La culture a des besoins en eau et en chaleur, mais son pivot lui permet d'aller chercher cette eau assez loin. Le pivot descend moins profondément que celui du colza mais a un fort pouvoir absorbant. Enfin, comme pour toutes les récoltes d'automne, en cas de mauvaises conditions, les choses peuvent se compliquer !

Une organisation bien rodée

 

La SAS Planète Chanvre a vu le jour en 2011. Après avoir pensé à créer une coopérative, la forme SAS est apparue plus simple à diriger et plus adaptée à leur groupe d’agriculteurs. Ils sont désormais treize associés — douze agriculteurs (sur huit exploitations) et l’associé historique allemand. Ces associés sont les investisseurs, auxquels le Crédit agricole s’est joint, apporteur de capitaux sans droit de vote.
Chaque associé a des tâches bien déterminées qui correspondent à ses compétences et ses
préférences. Ainsi, deux associés sont référents usine, l’un sur l’aspect mécanique, l’autre
sur la commercialisation.
Les trois associés les plus jeunes sont spécialisés sur la production culturale, contrat de production, semences, agronomie, tours de plaine et récolte. Laurent Cossut est également secrétaire d’Interchanvre, l’interprofession du chanvre. Les deux associées gèrent les ressources humaines, la communication et les relations avec les politiques. La gestion de la trésorerie, le financement, l’analyse et le suivi des taux de productivité de l’usine ainsi que l’ouverture des marchés sont aussi assumés par les associés. L’usine emploie douze salariés, tant sur des postes administratifs et commerciaux que sur des postes de manutention et de production. Pour ces derniers, le travail est organisé en trois-huit, cinq jours sur sept, toute l’année.

Les intérêts agronomiques de la culture du chanvre

Sur le plan agronomique, le chanvre est une très bonne tête d'assolement. « Cela fait plusieurs années que mes blés de chanvre sont les meilleurs de la ferme ! », assure Laurent Cossut.
L'autre intérêt est écologique : aucune intervention phyto n'est nécessaire
pendant le cycle de végétation. Les interventions se limitent aux apports d'azote, de 80 à 100 unités, et aux engrais de fond. Attention, si le chanvre revient trop souvent dans l'assolement, desproblèmes d'orobanche peuvent survenir. Cette adventice est difficile à combattre. Mais si le chanvre ne revient que tous les quatre à cinq ans, il n'y a pas de souci.

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