Aller au contenu principal

Guerre en Ukraine : quelles conséquences pour le marché des grains ?

Folle envolée des prix des grains, des engrais et du carburant, échanges internationaux bouleversés… La guerre en Ukraine sème la panique et menace la sécurité alimentaire mondiale.

Outre la flambée des prix, la guerre en Ukraine fait peser des risques sur la disponibilité en engrais, la Russie, acteur majeur, ayant cessé ses exportations.
Outre la flambée des prix, la guerre en Ukraine fait peser des risques sur la disponibilité en engrais, la Russie, acteur majeur, ayant cessé ses exportations.
© S. Leitenberger

Humaines, géopolitiques, économiques… les conséquences immédiates de l’agression de l’Ukraine par la Russie sont colossales. Le marché des grains a lui aussi encaissé de plein fouet la déflagration de l’entrée en guerre de deux géants agricoles. L’emballement des prix des matières premières en a été la conséquence la plus spectaculaire. Alors que les cours étaient déjà chauffés par un contexte haussier, l’assaut russe lancé le 24 février les a propulsés en territoire inconnu. Signe de la panique, le blé à Chicago s’affichait aussitôt en limit up, c’est-à-dire la hausse maximale autorisée sur une journée. Sur Euronext, où de telles limitations n’existent pas, la céréale bondissait de plus de 40 euros la tonne dans la journée, pour dépasser 340 €/t, du jamais vu. Et ce n’était qu’un début, les autres grains suivant dans la foulée…

Rien de surprenant lorsque l’on connaît le poids des exportations de l’Ukraine et de la Russie sur le marché mondial : les deux pays combinés s’arrogent chaque année environ le tiers des exportations mondiales de blé, mais aussi d’orge. En maïs, l’Ukraine alimente 15 % de la demande d’importation mondiale, à commencer par l’Europe. En tournesol, la situation est encore plus préoccupante, puisque les trois quarts des exportations mondiales de l’huile de cet oléagineux sont issues de ces deux pays de la mer Noire. Sans parler des tourteaux, très sollicités en alimentation animale, notamment dans les filières non OGM européennes.

Le déclenchement de la guerre a brutalement interrompu les exportations au départ de la mer d’Azov et a quasiment mis à l’arrêt les ports de la mer Noire. La panique s’est alors emparée des marchés, les armateurs refusant d’envoyer leurs bateaux dans cette zone devenue très risquée. « La guerre en Ukraine prive le marché mondial d’environ 11 millions de tonnes (Mt) de blé : 6 Mt à exporter par l’Ukraine en 2021-2022, 5 Mt côté Russie », chiffrait Andrée Defois, experte de l’analyse du marché des grains du cabinet Tallage, dans un entretien donné à Agra Presse le 17 mars. Pour le maïs, c’est environ 12 Mt qui devraient ne pas sortir comme prévu d’Ukraine d’ici l’été. Le 16 mars, les observateurs constataient un redémarrage des mouvements de vraquiers en mer Noire, au départ de la Roumanie et de la Russie. On est toutefois loin d’un retour à la normale, et le coût du fret va continuer à intégrer un risque élevé.

Le poids gigantesque des exportations de céréales de la Russie et de l'Ukraine, notamment à destination de l'Afrique du Nord, explique l'affolement des marchés.

L’inconnu subsiste sur la réorganisation des flux à court terme. Face au trou d’air généré par le retrait de l’origine mer Noire, d’autres nations céréalières pourront partiellement prendre le relais, comme l’Australie, qui a engrangé une belle récolte de blé et d’orge. L’Inde, qui a accumulé des stocks, pourrait profiter de l’occasion pour faire son retour parmi les grands pays exportateurs de blé, avec potentiellement 7 Mt. En revanche, l’Amérique du Nord ne sera pas d’une grande aide, en raison d’une récolte catastrophique en 2021.

L’Europe va également être très sollicitée. Après s’être détournée de l’origine française depuis l’automne, notamment au profit de la Russie, l’Algérie a de nouveau acheté du blé tricolore lors de son appel d’offres en mars. Un regain d’intérêt loin d’être isolé : début février, FranceAgriMer prévoyait un stock de blé de 3,6 Mt à fin juin, au plus haut depuis 2005 ; en mars, il était abaissé à moins de 3 Mt, avec des exportations revues en hausse de 850 000 tonnes.

« Ouragan de famines » à craindre dans le monde

Flambée des prix, disponibilité incertaine… La situation est critique pour les pays tributaires des importations, en premier lieu pour l’Afrique du Nord, largement approvisionnée par la mer Noire. L’Égypte, premier importateur mondial de blé avec 12 Mt par an, dépend à 80 % de la Russie et de l’Ukraine. Le Maroc est quant à lui confronté à une sécheresse qui va faire chuter la production locale. Et ce pays, contrairement à l’Algérie, ne peut pas compter sur la manne gazière ou pétrolière. Conséquence directe de la guerre en Ukraine, l’ONU alertait le 14 mars sur un possible « ouragan de famines » dans de nombreux pays, alors que les prix des céréales sont plus élevés que lors des émeutes de la faim de 2008.

En France, les pénuries alimentaires ne sont pas à craindre, mais le secteur animal va être durement touché par la hausse du prix des aliments et de l’énergie. Les producteurs de grandes cultures profitent de l’envolée des cours des grains, mais la situation est alarmante du côté des engrais et des carburants. « Le gasoil non-routier (GNR) a pris 7 centimes de plus par litre chaque jour depuis début mars », soulignait le 9 mars la Fédération nationale des entrepreneurs du territoire (FNEDT), date à laquelle le prix a passé la barre des 1 850 € les 1 000 litres, enregistrant une hausse de plus de 150 % en un an.

Envolée des coûts de production en France

« Les ETA doivent désormais répercuter ces hausses d’urgence », alerte la FNEDT. La situation impose de revenir sur les devis et les contrats signés, y compris sur les contrats pluriannuels. À défaut, elles pourraient ne pas passer l’année. Pour les clients agriculteurs, cela signifie une hausse des tarifs de 15 à 30 % selon les situations. « Le surcoût pour les entreprises sera de 500 à 800 € par jour d’ensilage ou de battage », résumait Gérard Napias, président de l’organisation, qui appelle à des prix indexés sur le coût du GNR. Autre option possible : que les clients fournissent le carburant. Mais encore faut-il en trouver car la plupart des distributeurs livrent au compte-goutte.

La situation devrait perdurer : depuis l’annonce du gouvernement d’une aide de 15 centimes par litre à compter du 1er avril, les commandes se sont brutalement réduites. « Ce report va créer un entonnoir et un allongement considérable des délais de livraison », s’est inquiété Frédéric Plan, délégué général de la FF3C, représentant les distributeurs de carburant. Ces derniers ont annoncé qu’ils « peuvent être contraints d’exiger des paiements comptant de leurs clients professionnels » et ne garantissaient plus les prix à la commande. Désormais, « les entreprises de distribution ne valident définitivement une commande et son prix de vente qu’à réception de leur approvisionnement ».

La situation est tout aussi inquiétante pour les engrais. Les prix de l’urée et du DAP 18-46 ont été multipliés par trois depuis le début de l’année, après avoir doublé en 2021. Au 20 mars, l’urée était proposée à plus de 1 070 €/t (camion complet, livraison avril) et le DAP à 1 160 €/t. « La Russie réalise 13 % du commerce de produits intermédiaires d’engrais (ammoniac, roche de phosphate, soufre) et 16 % des échanges d’engrais finis », rappelle Marc Zribi, chef de l’unité Grains de FranceAgriMer. Elle est aussi un grand exportateur d’engrais P et K : elle fournit 17 % du marché des engrais phosphatés. Pour la potasse, Russie et Biélorussie assurent 42 % des exportations mondiales. L’approvisionnement en provenance de Russie apparaît de plus en plus compliqué. Alors que les difficultés logistiques perturbaient déjà fortement les flux en mars, Poutine a appelé les fabricants d’engrais russes à cesser leurs exportations. Le moyen de pression est on ne peut plus clair.

L’impact sur les disponibilités pourrait se faire sentir en France, où la moitié des engrais minéraux utilisés sont importés. Seul l’ammonitrate est fabriqué en France et en Europe… à partir de gaz, provenant notamment de Russie. Vu les prix de ce dernier, le géant industriel Yara a annoncé une réduction de sa production d’ammoniac et d’urée en Europe de 45 % depuis la mi-mars.

Ces menaces sur les moyens de production, qui prévalent en Europe mais aussi dans les autres grandes zones de production du monde, fragilisent un peu plus le marché. La situation actuelle ne peut en effet se permettre une chute de production dans des bassins clés, au regard de la tension extrême sur le marché.

Incertitudes sur la production ukrainienne

Quel sera l’impact de la guerre sur la production agricole ukrainienne de maïs et de tournesol, deux cultures phares de ce pays ? La situation est encore confuse. Le ministère de l’Agriculture local avançait le chiffre d’une baisse de 30 % de la production, tandis que le cabinet d’analyse Ukragroconsult tablait sur une réduction de 10 à 15 %. Tout va dépendre du manque de semences, de main-d’œuvre et de carburant. Les potentiels de rendement risquent eux aussi d’être affectés par le conflit, avec un accès restreint aux intrants. Autre question de taille : la Russie va-t-elle mettre la main sur une partie de cette production, ainsi que sur les infrastructures portuaires ukrainiennes de la mer Noire ? L’enjeu est colossal pour l’équilibre des flux mondiaux.

Les prix des grains atteignent des sommets affolants

 

 
Le blé à Rouen a dépassé 400 €/t, quand le colza franchissait la barre des 1000 €/t. Des niveaux inédits.
Le blé à Rouen a dépassé 400 €/t, quand le colza franchissait la barre des 1000 €/t. Des niveaux inédits. © Commoprices / La Dépêche petit meunier

 

C’est un vent de folie qui souffle sur le prix des matières premières agricoles depuis le lancement de l’offensive russe sur l’Ukraine, date à laquelle la volatilité s’est emparée des marchés. Depuis, les prix réagissent aux soubresauts du conflit. Le blé rendu Rouen a dépassé les 400 euros la tonne le 7 mars avant de se replier légèrement, tandis que le marché physique du colza a franchi les 1 000 euros la tonne le 22 mars. Ce dernier est dopé à la fois par le renchérissement de l’énergie et par la menace d’un assèchement du marché mondial en huile de tournesol, dont les trois quarts des exportations proviennent de Russie et d’Ukraine. Le maïs est lui aussi en surchauffe, au-dessus de 350 euros la tonne Fob Bordeaux sur tout le mois de mars, menaçant la rentabilité des élevages.

Les plus lus

Parcelles avec des infrastructures agroécologiques dans le lointain
Suppression des 4 % de jachère : quel impact sur ma télédéclaration PAC 2024 ?

Dès cette campagne 2024, il n’est plus nécessaire de mettre en place de la jachère, cultures fixatrices d’azote ou …

Installation de stockage de céréales de Jean-Christophe Dupuis, agriculteur à Mancey, en Saône-et-Loire
Stockage des céréales : « Mon installation simple me permet d’atteindre un coût de stockage de 8 €/t »
Jean-Christophe Dupuis est agriculteur à Mancay, en Saône-et-Loire. Depuis 2021, il stocke 1 200 tonnes de grains sur son…
Epandage d'engrais sur champ de blé
Engrais azotés : quelle stratégie d'achat adopter pour la prochaine campagne ?
La nouvelle campagne d’achats d’engrais azotés par les agriculteurs pour 2025 démarre à peine. C’est le moment de réfléchir à sa…
Parcelles agricoles au printemps, colza au premier plan, champ de blé et de colza au deuxième plan
PAC et DPB : les six points à retenir avant de faire un transfert

Le transfert des droits à paiement de base (DPB) est une démarche qu’il ne faut pas prendre à la légère puisqu’elle…

parcelles de blés au printemps
Blé tendre et orge d’hiver : quel impact du froid ces derniers jours ?
Le froid de ces derniers jours est arrivé sur des céréales à des stades sensibles localement. Le point sur le risque de dégâts…
Clément Savouré, agriculteur en Eure-et-Loir
Achat d’engrais : « Nous arbitrons entre l’ammonitrate et la solution liquide en fonction du prix de l’unité d’azote »

Clément Savouré, agriculteur à Le Gué-de-Longroi, en Eure-et-Loir, privilégie les achats d’engrais à la morte-saison pour…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 100€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Grandes Cultures
Consultez les revues Réussir Grandes Cultures au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Grandes Cultures