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Fin du CIPC : des surcoûts pour le stockage des pommes de terre

L’antigerminatif historique des producteurs de pommes de terre, le CIPC, sera bientôt interdit. Les alternatives existent mais compliquent la conservation des lots, pourtant essentielle.

L'interdiction du CIPC génère une hausse substantielle des coûts de production. © M. Martin, Arvalis
L'interdiction du CIPC génère une hausse substantielle des coûts de production.
© M. Martin, Arvalis

Couramment utilisé pour la conservation de pommes de terre de consommation, le chlorprophame, ou CIPC, voit ses jours comptés. Le produit n’aura plus d’autorisation de mise en marché (AMM) au 8 janvier 2020. Seul un délai permettra son utilisation sur la fin de campagne, vraisemblablement jusqu’au 31 juillet 2020, date demandée par la filière française. Cet antigerminatif est suspecté être cancérogène pour l’homme et il a été classé comme tel par la réglementation européenne.

Dans un proche avenir, il faudra faire sans. « Il existe des produits de substitution », rassure Michel Martin, ingénieur responsable des équipements et de la conservation des pommes de terre chez Arvalis. Quatre autres antigerminatifs dotés de mode d’actions différents sont homologués : l’éthylène, l’huile de menthe, le 1.4 DMN et l’hydrazide maléique. « Avec les quatre, on peut composer pour assurer une bonne efficacité », précise l’ingénieur. Le hic, c’est qu’aucun ne présente seul l’efficacité et la simplicité d’utilisation du CIPC et qu’ils sont systématiquement plus chers. « C’est un changement de paradigme. Ces solutions ont toutes leurs contraintes, avec généralement moins de souplesse et de rémanence que le CIPC », complète François-Xavier Broutin, chargé de mission à l’UNPT (1). L’usage de tel ou tel produit dépend par exemple du débouché, de la variété, du type de stockage.

L'éthylène, un produit à haute technicité

L’éthylène est une hormone végétale qui freine l’apparition des germes puis leur vitesse d’élongation. Elle est distribuée dans le bâtiment sous forme gazeuse, à l’aide d’un appareil spécifique. L’efficacité du produit varie selon la variété et la température du stockage. S’ils apparaissent, les germes sont petits et faiblement adhérents aux tubercules. Ils sont éliminés facilement à la moindre reprise.

L’utilisation du produit est assez technique : la montée en concentration doit être lente et progressive, pour se stabiliser à la concentration homologuée (10 ml/t) durant toute la durée du stockage. Pour éviter une élévation de la teneur en CO2, le bâtiment doit être aéré régulièrement. Ce procédé est déconseillé pour les débouchés "frites", vu les accroissements de taux de sucre et de risque acrylamide qu’il induit, potentiellement cancérogène.

De l'huile de menthe par thermonébulisation

L’huile de menthe est appliquée en plusieurs fois par thermonébulisation, à la dose de 90 ml/t pour la première application et de 30 ml/t pour les suivantes. Cette huile essentielle détruit le germe en formation. Une première application est à prévoir dès le stade point blanc, afin de détruire le méristème à l’origine du germe. L’opération est à renouveler quelques semaines plus tard, lorsque la germination reprend, au plus tard à nouveau au stade point blanc. Ce délai varie selon la variété et la température du stockage.

Vu la volatilité du produit, la nécessité de laisser le bâtiment fermé durant 48 heures fait partie des contraintes d’utilisation du produit. Celle de disposer d’un bâtiment hermétique aussi. L’huile de menthe et l’éthylène sont des molécules d’origine naturelle qui peuvent être utilisées en agriculture biologique. Elles ne laissent pas de trace de résidus sur les tubercules et n’ont pas de LMR (2).

Bonne efficacité pour l'antigerminatif Dormir

Parmi les antigerminatifs, le 1,4 Diméthylnaphtalène (1,4 DMN) s’applique en cours de conservation. Il est plus connu sous son nom commercial : Dormir (Dormfresh). Ce produit, dont la LMR est de 15 mg/kg, est thermonébulisable à la dose de 20 ml/t avec un maximum de six applications par an et un délai après traitement de 30 jours pour la commercialisation des tubercules traités. « Les essais conduits à Villers-Saint-Christophe dans l’Aisne ont montré une bonne efficacité de contrôle de la germination en utilisant le produit. Il faut cependant bien respecter les préconisations d’application fournies par la firme pour garantir efficacité et sélectivité », commente Michel Martin.

Pour une efficacité maximale, il doit être appliqué assez tôt, avant le démarrage de la germination, mais après un bon séchage du tas. Tous ces produits, thermonébulisés en cours de conservation, sont généralement appliqués par une entreprise spécialisée.

Une gestion qui commence au champ avec l'hydrazide maléique

Contrairement aux précédents produits, l’hydrazide maléique s’applique au champ, en végétation, avec un pulvérisateur classique. L’application doit intervenir a minima 15 jours à trois semaines avant la date de défanage. Le produit bloque la germination des tubercules durant deux à trois mois, en fonction de la variété et de la température de conservation. Si les pommes de terre sont stockées plus longtemps, un autre antigerminatif devra être prévu en relais.

Les effets de la nouvelle réglementation sur le CIPC sont plutôt durs à avaler pour les producteurs, mais ont-ils le choix ? Les produits de substitution sont tous plus chers que le CIPC. Pour le marché du frais lavé, le coût moyen du CIPC appliqué en thermonébulisation (18 g/t) était estimé à 3,40 € ht/tonne, contre 4,30 €/t pour l’éthylène (10 ppm), 8,40 €/t pour Dormir (20 g/t puis 3 applications à 10 g/t) et 20,40 €/t pour l’huile de menthe (300 g/t).

Pour la filière pommes de terre, l’avantage de cette mesure est de ne pas être franco-française. Elle s’impose de la même façon à tous nos concurrents européens et ne créera pas de distorsion entre pays producteurs. La France est le deuxième producteur européen. La mesure peut aussi être l’occasion de valoriser les efforts de tout un secteur pour une agriculture moins dépendante des pesticides. Reste que la mesure est décriée : il reste difficile d’affirmer le lien entre CIPC et cancer et, aux États-Unis, le produit n’est pas classé cancérogène.

(1) Union nationale des producteurs de pommes de terre

(2) Limite maximale de résidus.

Avis d’agriculteur - David Desprez, producteur de pommes de terre à Auppegard, Seine-Maritime

“La fin du CIPC nécessite de revoir ses fondamentaux"

" Sur la campagne 2018-2019, j’ai commencé à utiliser le produit Dormir dans la cellule de stockage en palox destinée à l’industrie, après la proposition de mon applicateur. Une première application a été effectuée en février dernier et le résultat s’est avéré très probant. Je n’ai pas appliqué d’hydrazine maléique avant, les pommes de terre ont été arrachées en octobre, stockées à 7 °C et la première application a eu lieu le 6 février à la dose de 16 mg/t. Pour un enlèvement fin mai, il y avait zéro germe. J’étais agréablement surpris car on entend de tout. La fin du CIPC nécessite de revoir ses fondamentaux et d’être très technique : avant l’application, il faut compter un défanage, un arrachage à maturité avec une pomme de terre formée, un arrachage en bonnes conditions de température et d’humidité et une ventilation adaptée après rentrage.
Par contre, le prix de Dormir est trois fois supérieur à celui du CIPC et ça, c’est moins bien. Tout cela se traduit par une hausse des coûts de production que l’on ne peut pas répercuter. Difficile de négocier un supplément de prix pour coller à l’évolution de la réglementation. L’huile de menthe et l’éthylène sont des produits encore plus chers, sans compter que ces alternatives nécessitent des bâtiments de stockage récents et bien isolés. Chez moi, les bâtiments ont vingt ans."

Des résidus de CIPC dans les bâtiments

L’interdiction d’utilisation du CIPC est actée et désormais la filière pomme de terre focalise ses efforts sur l’obtention d’une limite maximale de résidus (LMR) temporaire de trois à cinq ans minimum. À défaut, c’est le seuil de 0,01 mg/kg (1 ppm) qui s’appliquera au lendemain de l’expiration de l’AMM. Le CIPC est en effet rémanent dans les bâtiments de stockage, d’autant plus qu’il a été appliqué en thermonébulisation. Il est souvent présent du sol au plafond dans les bâtiments et des risques de contaminations indirectes existent, même si les récoltes ne sont pas traitées au CIPC. « Un dossier a été déposé dans ce sens le 31 juillet dernier au niveau européen, avec une forte implication de la filière française », indique François-Xavier Broutin, de l’UNPT. Ce dossier a donné lieu à une intense collecte de données pour évaluer l’évolution des teneurs de CIPC au sein de bâtiments non traités et proposer une teneur réaliste.

« Aujourd’hui, les teneurs en résidus de CIPC des pommes de terre sont cinq fois inférieures aux LMR. Elles sont de l’ordre de 2 ppm quand le seuil réglementaire est de 10 ppm », détaille Michel Martin, ingénieur chez Arvalis. L’annonce d’une LMR temporaire de 5 ppm provoquerait le soulagement de toute la filière. L’enjeu économique est considérable. « Si une LMR temporaire n’est pas accordée, il faudrait raser tous les bâtiments ayant reçu du CIPC », résume François-Xavier Broutin. Arvalis étudie déjà les meilleures méthodes de nettoyage et de désinfection pour dépolluer les locaux contaminés le plus rapidement possible.
 

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