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Engrais azotés : incertitudes sur les prix et la disponibilité au printemps

Flambée du prix du gaz, réduction de la production européenne, agriculteurs dans l’expectative… La situation sur le marché des engrais azotés pour la prochaine campagne s’annonce incertaine. Tour d’horizon avec les différents représentants de la filière.

Pour assurer sereinement sa fertilisation au printemps, mieux vaut ne pas tarder à commander ses engrais.
Pour assurer sereinement sa fertilisation au printemps, mieux vaut ne pas tarder à commander ses engrais.
© C. Baudart

« C’est la guerre à 2 000 kilomètres de chez nous, tout peut arriver. » C’est par ces mots sans détour que Sylvain Jessionesse, cofondateur de Piloter sa ferme et agriculteur dans le sud de l’Aube, évoque le manque de visibilité actuelle sur l’avenir du marché des engrais. Le sujet occupait déjà les esprits l’an dernier. Cette année, il revient en force dans un contexte de très fortes tensions sur le marché du gaz qui se traduit par une nouvelle hausse du prix des engrais et une baisse de la production européenne.

Au 8 septembre, d’après les données d’Agritel, la solution azotée atteignait 682,50 euros par tonne (€/t) FOT Rouen, contre 612,50 €/t le 25 août. L’urée affichait 927,50 €/t franco atlantique contre 897,50 €/t le 1er septembre. Même tendance pour le prix de l’ammonitrate 33,5 % : au 2 septembre, il s’élevait à 920 €/t contre 880 €/t le 26 août.

Production européenne d’engrais au ralenti

Des producteurs d’engrais aux agriculteurs, en passant par les distributeurs, c’est l’ensemble de la chaîne qui est dans l’incertitude pour la campagne 2023. L’explosion récente du prix du gaz a contraint les industriels européens à réduire la voilure, voire, pour certains, à complètement stopper la fabrication d’engrais. Les soubresauts du marché du gaz frappent en effet de plein fouet la fabrication des engrais azotés, puisque celle-ci nécessite de l’ammoniac produit à partir de gaz. Le prix de ce dernier représente jusqu’à 80 % du coût de production des engrais. « On estime que la production européenne d’ammonitrate est en recul de 50 % », avance Alexandre Willekens, consultant analyste Marché des grains chez Agritel.

La France n’est pas le pays le plus touché par la baisse de la production : nombre de ses usines sont situées près des zones portuaires et ont la possibilité de s’approvisionner directement en ammoniac importé pour fabriquer des engrais. Cet ammoniac provient de pays producteurs tels que l’Algérie ou le Canada, où les prix du gaz ne subissent pas les conséquences géopolitiques de la guerre en Ukraine. Une bonne nouvelle en demi-teinte puisque la production française ne couvre qu’un tiers des besoins en azote de l’agriculture nationale.

Difficultés logistiques à craindre pour les importations

Doit-on pour autant craindre une pénurie ? « Tout ce qui n’est pas produit actuellement risque de manquer à un moment donné », considère Florence Nys, directrice de l’Unifa, qui rappelle que le prix du gaz conditionne le redémarrage des usines européennes. « Nous pourrions manquer d’engrais au printemps », confirme Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB-FNSEA).

Pour l’instant, le manque de produits n’est pas encore constaté. « On trouve de la marchandise à l’import, des arrivées de bateaux sont programmées au niveau des ports français », précise Philippe Forgeret, sous-directeur et responsable approvisionnement de la coopérative Agropithiviers, dans le Loiret. Pour la solution azotée, la France et l’Europe se sont tournées vers l’import en provenance des États-Unis, de Trinité-et-Tobago ou encore d’Égypte.

Pour l’ammonitrate, principal engrais utilisé par les agriculteurs français, la situation est différente. « Il va falloir substituer 6 000 à 10 000 millions de tonnes de nitrate d’ammonium par un équivalent en urée qu’il faudra importer », explique Denis Lefevre, directeur commercial chez Amaltis, grossiste en engrais qui fournit les coopératives et les négoces. En plus des fournisseurs habituels que sont l’Égypte et l’Algérie, l’Europe s’est tournée récemment vers des origines plus lointaines que sont le Nigeria et des pays du Moyen-Orient.

Le grossiste ne s’inquiète pas tant de la disponibilité de l’urée que des problèmes logistiques au niveau des ports. « Une année ordinaire, ce sont quelques bateaux de 5 000 à 10 000 tonnes qui arrivent, explique-t-il. Cette année, pour des raisons de coûts logistiques, ce sont plutôt des bateaux de 30 000 à 50 000 tonnes, qui nécessitent des ports en eau profonde. » Sur la façade atlantique, seul le port de La Rochelle permet d’accueillir ce type de navires. Les délais de livraisons pourraient donc fortement s’allonger dans les prochains mois.

Reporter ses achats d’engrais peut être risqué

Si pour l’instant les problèmes de disponibilités ne sont pas d’actualité, le taux de couverture des agriculteurs inquiète les observateurs du secteur. « Les achats de morte-saison, entre mai et septembre, ont été moins dynamiques qu’à l’accoutumée », souligne Cédric Benoist. À mi-septembre, le taux de couverture avoisinait les 60 %, soit 20 points de moins que la normale, avec des disparités fortes entre régions et entre productions. À la sortie de l’été, « les agriculteurs semblent de retour aux achats », note néanmoins Alexandre Willekens.

Plusieurs tendances se dessinent. Quand leur trésorerie le permettait, certains agriculteurs ont anticipé leurs achats d’engrais pour la campagne 2023 dès le printemps 2022. D’autres se sont lancés plus récemment par crainte de voir se croiser la courbe du prix des céréales qui baisserait tandis que celle du prix des engrais poursuivrait sa hausse. Enfin, le reste fait le pari d’une baisse du prix des engrais dans les prochaines semaines.

« Nous invitons les agriculteurs à avoir une gestion de leurs achats la plus responsable possible et de ne pas attendre », avance Sandrine Hallot, directrice du Pôle métiers de la Fédération du négoce agricole (FNA). La spécialiste met en perspective le prix des engrais avec celui des céréales. « C’est vrai que les engrais sont chers, reconnaît-elle, mais si on fait ses calculs, au cours du blé actuel, les marges sont maintenues. » Elle conseille également de vendre une partie du grain de la prochaine récolte en parallèle des achats d’engrais pour se prémunir au maximum de « l’effet de ciseaux ». Même son de cloche chez Philippe Forgeret qui considère que les résultats de la récolte 2022 offrent une belle fenêtre de tir aux agriculteurs pour se couvrir rapidement en engrais.

Acompte et prix moyen des engrais lissé sur l’année

Ce manque de visibilité du côté de la commande des agriculteurs génère des difficultés dans la filière. « Le temps où les organismes stockeurs pouvaient se permettre d’acheter sans commande est révolu », constate Cédric Benoist. Les OS seraient alors exposés au risque de devoir vendre les engrais à un tarif plus bas que celui auquel ils les ont achetés, en cas de baisse des prix. C’est pourquoi la plupart des coopératives et des négoces proposent aujourd’hui un système de prix moyen lissé sur l’année avec un prix d’acompte à la commande. « Les structures ont besoin d’avoir de la visibilité sur les besoins pour déclencher leurs propres achats », confirme Simon Aimar, directeur de Négoce agricole Centre-Atlantique. Le responsable reconnaît que « personne ne sait où l’on va mais qu’il y a un consensus sur le fait que les prix vont rester hauts ».

Suppression des droits de douane sur les engrais azotés

L’Association générale des producteurs de blé (AGPB) et le Copa-Cogeca le demandaient : la Commission européenne a accédé à la requête des syndicats agricoles en supprimant jusqu’en 2024 les droits de douane (5,5 à 6,5 %) sur l’urée et l’ammoniac importés pour la production européenne d’engrais azotés. Les taxes antidumping sur les importations d’engrais sont pour l’instant maintenues. « Ces barrières tarifaires renchérissent les engrais azotés de 60 €/t rapport au reste du monde. Au vu des prix actuels, cela ne se justifie plus », estime Cédric Benoist, secrétaire général adjoint de l’AGPB. Les industriels français, représentés par l’Union des industries de la fertilisation (Unifa), s’opposent à ces mesures qui visent à les protéger de la concurrence mondiale. Le 15 septembre, le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski a évoqué la possibilité de « soutenir financièrement les producteurs européens d’engrais ». Il a également souligné « la nécessité de trouver des sources d’approvisionnement alternatives ».

Climat : le Giec met l’accent sur les engrais

Les nouvelles lignes directrices du Giec de 2019, qui seront appliquées aux émissions françaises dès 2023 « changeront totalement les priorités, en mettant en évidence la nécessité d’une action plus ciblée sur les grandes cultures », souligne Marion Guillou, ancienne PDG de l’Inrae et membre du Haut conseil pour le climat. Le dernier rapport du HCC rappelle les récentes révisions à la hausse des facteurs d’émission pour les engrais minéraux, et à la baisse pour les engrais organiques. Selon Marion Guillou, cela justifierait d’accélérer le calendrier de mise en œuvre de la loi Climat, qui prévoyait un décret définissant une trajectoire précise des émissions azotées. Cela aboutirait, sous réserve d’une « stabilisation du marché » après la guerre en Ukraine, à une taxe sur les engrais minéraux.

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