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En grandes cultures, les excès de pluies hivernales bousculent les assolements

Les niveaux de pluviométrie de l’hiver, largement supérieurs à la normale, modifient la physionomie de la plaine : semis de blé tendre reportés, sole d’orge de printemps, de maïs et de tournesol en forte hausse.

Les céréales n'aiment pas beaucoup les excès d'eau, en particulier les orges. © C. Baudart
Les céréales n'aiment pas beaucoup les excès d'eau, en particulier les orges.
© C. Baudart

Dans toutes les régions de grandes cultures, les producteurs ont retardé leurs dates de semis de céréales pour mieux faire face aux adventices résistantes. Mais les pluies abondantes, tombées à partir d’octobre 2019, ont rapidement rendu difficiles voire impossibles les chantiers de semis. « Une situation accentuée par les conditions de récolte des maïs et betteraves à l’automne. Elles n’ont pas permis d’installer les cultures de blé dans de bonnes conditions », précise Jean-Olivier Lhuissier, directeur collecte chez Vivescia Agriculture.

D’octobre à décembre 2019, le cumul de pluie tombée sur l’Hexagone est « le plus élevé enregistré depuis 1959 avec un excèdent proche de 60 % », notent les experts de Météo France. La pluviométrie du mois d’octobre a été excédentaire de plus de 40 % en moyenne sur la France, et celle de novembre de près de 90 %. Un phénomène qui n’a épargné aucune région. Pire, aucune fenêtre de travail ne s’est offerte jusqu’à mi-décembre. En novembre, Météo France a enregistré 15 à 27 jours de pluie sur une grande moitié ouest de la France. À peine ressuyés, les sols étaient à nouveau trempés.

Forte proportion de blés tendres en mauvaises conditions

Les surfaces emblavées sont donc restées en deçà des intentions de semis en blé tendre et orge d’hiver. Phénomène aggravant, les niveaux de pluviométrie ont généré inondations et formation d’eau en surface, asphyxiant des champs entiers de céréales. « 2 % des blés ayant souffert des excès d’eau ont dû être retournés dans la Brie, les Ardennes et en Champagne humide », note Jean-Olivier Lhuissier. Pour la France, l’incidence est notable : selon les estimations officielles du SSP, la sole de blé tendre sera la plus faible depuis 2003, en diminution de 7,5 % par rapport à 2019.

Ces conditions climatiques ont dégradé comme rarement l’état sanitaire des blés, avec des conséquences sur leur potentiel. Selon Céré’Obs, l’outil de suivi des conditions de croissance des céréales de FranceAgriMer, la proportion de blés tendres en mauvaises conditions est la plus élevée depuis plus de cinq ans : 12 % des surfaces de blé tendre à la date du 9 avril. L’an dernier, ce chiffre était de 2 %. À l’inverse, 62 % seulement des surfaces de blé tendre bénéficiaient de conditions d’implantation bonnes à très bonnes alors que l’an dernier, ce chiffre était de 83 %. « En limons battants et terres hydromorphes, on observe des pertes de pieds car les semis ont été plus tardifs dans des conditions difficiles, suivis d’excès d’eau », développe Jean-Olivier Lhuillier. La situation est particulièrement marquée sur toute la façade ouest, et en particulier dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Poitou-Charentes, Normandie et Pays de la Loire, où 26 % des blés affichent une mauvaise croissance.

Les orges de printemps vers un trop-plein ?

Les parcelles qui n’ont pu être semées ou à problème ont été remplacées par des cultures de printemps, grandes gagnantes de ces changements d'assolement. Les surfaces d’orge de printemps progresseraient de 8,9 % sur un an, à 696 000 hectares. Par rapport à la moyenne quinquennale, l’écart est de 39 %. « Les orges de printemps, le tournesol, le blé dur et le maïs sont les principales cultures qui bénéficient du recul du blé tendre et du colza. Nous notons aussi des progressions de cultures comme le sorgho, la féverole ou le soja, relève Pierre Toussaint, directeur filières-collecte-qualité chaîne du grain chez Axéréal. Des retournements ont encore eu lieu de fin mars à début avril. » Chez Vivescia, on note également une augmentation de la sole d’orge de printemps, mais « plus fortement encore chez les maïs (+17 %) et tournesol (+80 %). » Dans un contexte de pandémie qui bouscule les fondamentaux, ces nouveaux volumes pourraient exercer une pression accrue sur les prix. Mais comme le rappelle Savine Oustrain, directrice recherche et innovation chez Vivescia Agriculture, « la météo, comme à l’accoutumée, pourra aussi changer les équilibres ».

Du blé dur semé en quantité entre janvier et avril

Du blé dur semé début avril : en ce printemps, cette situation inédite n’était pas rare dans les secteurs aux abords du Marais poitevin. « Dans les zones de marais de notre région Ouest Océan que nous suivons (comme le Poitou-Charentes, la Vendée et le Maine-et-Loire), les semis de céréales ont été impossibles en automne et en hiver et ce sont environ 15 000 hectares de blé dur qui ont été ensemencés entre la mi-mars et début avril, rapporte Jean-Louis Moynier, ingénieur régional Arvalis. Dans ce secteur, on reste malgré tout à -20 %, -25 % de surface en blé dur par rapport à ce qui était prévu en début de campagne. » Dans d’autres secteurs qui ont moins subi l’impact des fortes précipitations, du blé dur a été semé en janvier à la place d’orge d’hiver et de blé tendre qui n’avaient pu l’être à l’automne. « Le blé dur a cette particularité de montrer une physiologie de type blé de printemps adaptée à des semis d’automne. Mais on peut semer du blé dur assez tard jusqu’en mars, explique Jean-Charles Deswarte, ingénieur chez Arvalis au pôle valorisation de l’écophysiologie. Dans ces conditions toutefois, les risques de stress hydrique et thermique de fin de cycle vont être amplifiés avec des conditions de remplissage du grain qui ne seront pas optimales. »

Le potentiel de rendement est inévitablement réduit, de l’ordre de 30-40 % par rapport à des semis à des dates classiques. « Les rendements pourront être de l’ordre de 50-60 quintaux/hectare dans les zones de marais aux sols très profonds, avec une récolte à prévoir en deuxième quinzaine de juillet plutôt que dans les premiers jours de juillet en temps normal », estime Jean-Louis Moynier. Avec des objectifs de rendement à la baisse, les intrants seront réduits en conséquence et les charges allégées. Les agriculteurs font le pari de récupérer de la marge en espérant une poursuite de la hausse des cours de cette céréale. « Toutefois, prévient l’ingénieur Arvalis, avec la récolte en plein juillet, il faudra être très vigilant sur le risque de casse du grain auquel le blé dur est très sensible. »

Globalement, selon les estimations Agreste, les surfaces en blé dur varieront peu par rapport à la campagne précédente dans ses bastions du centre de la France ainsi qu’en Occitanie. Tel n’est pas le cas du Sud-Est (Provence-Alpes-Côte d’Azur) où cette céréale poursuit sa dégringolade en descendant sous la barre des 20 000 hectares.

Par ailleurs, la sole en protéagineux est estimée en hausse de 12,5 % sur un an pour s’établir à 272 000 hectares : + 11,8 % pour la féverole et + 10,5 % pour le pois protéagineux. Un plus pour la protéine française.

De très bons niveaux de nappes

Une note d’optimisme malgré tout après la succession de perturbations de l’hiver : les nappes se sont rechargées comme jamais. « Les pluies efficaces ont permis aux nappes phréatiques d’enregistrer de fortes remontées », note le Bureau de recherches géologiques et minières, service géologique national français, dans son bulletin de mars 2020. Les précipitations cumulées de septembre 2019 à mars 2020 sont en moyenne excédentaires de +18 %. L’ensemble des nappes est aujourd’hui à un niveau « globalement autour de la moyenne à modérément haut ». Une situation qui devrait perdurer jusqu’à début mai.

Le tournesol et le maïs regagnent du terrain

Les surfaces de tournesol font un bond. « Nous tablons sur une surface supérieure à 700 000 hectares cette année contre un peu plus de 600 000 hectares en 2019. Inévitablement, les difficultés de semis de culture d’hiver se sont traduites par un report sur les cultures de printemps et d’été », analyse Afsaneh Lellahi, en charge des actions régionales chez Terres Inovia. Les surfaces de colza détruites par le gel qui se chiffrent en dizaines de milliers d’hectares vont être en partie semées en tournesol, cette culture restant l’une des rares solutions alternatives dans ces situations. Localement, Vivescia note par exemple une augmentation de 80 % de sa sole de tournesol !

Le soja devrait connaître une progression au-delà de sa surface record 2019 de 163 000 hectares.

La sole de maïs progresse également et efface quatre années de baisse. « La surface de maïs comptera autour de 150 000 hectares de plus en 2020 », indique Thomas Joly, animateur de la filière maïs chez Arvalis. Dans des départements comme l’Oise ou l’Aisne, la hausse est estimée entre 5 et 10 %, alors que dans le Sud-Ouest la surface reste plutôt stable. Mais à la mi-avril, les agriculteurs attendaient encore un retour rapide des pluies après un début de printemps très sec.

 

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