Aller au contenu principal

De la luzerne non fauchée pour nourrir les abeilles

En Champagne-Ardenne, des bandes non fauchées de luzerne profitent aux pollinisateurs. Une contrepartie financière compense le manque à gagner pour les agriculteurs volontaires protecteurs de la biodiversité.

Le coût de la démarche Apiluz est pris en charge par les luzerniers et les différents partenaires du projet.
Le coût de la démarche Apiluz est pris en charge par les luzerniers et les différents partenaires du projet.
© J. Guichon

Impulsée par l’association Symbiose et s’appuyant sur les coopératives agricoles champardennaises, la démarche Apiluz consiste à ne pas faucher des bandes de luzerne afin de permettre la floraison et donc d’attirer les abeilles butineuses. « Sur nos sols crayeux champenois, la luzerne produit davantage de nectar que dans d’autres régions, indique Isabelle Kouamo, animatrice de l’association Symbiose, qui porte le projet. Localement, c’est une chance pour la biodiversité d’avoir cette culture sur de si larges territoires. Avec cette gestion différenciée de la récolte, elle devient une opportunité notable pour la protection des pollinisateurs. »

Pour fournir de la ressource alimentaire aux abeilles au moment où elles en ont le plus besoin, une bande de 3 mètres de large n’est pas fauchée après la première coupe des luzernes de deuxième et troisième années de production. Cette démarche concerne les parcelles de plus de 3 hectares et reste basée sur le volontariat. « Ce qui est important, c’est de créer un corridor écologique pendant une période de disette afin que l’abeille ne perde pas d’énergie et renforce sa ruche pour l’hiver », explique Isabelle Kouamo.

L’opération est économiquement neutre pour les agriculteurs engagés : le coût de la démarche Apiluz est pris en charge par les groupes luzerniers et les différents partenaires du projet. Afin de compenser la perte de production des producteurs, chaque coopérative de déshydratation verse une contrepartie financière calculée en fonction de la surface de bande non fauchée (BNF) et d’un rendement forfaitaire de 2 tonnes de matière sèche par hectare.

Grande richesse biologique même en plaine céréalière

Concernant la biodiversité, Apiluz démontre qu’une culture pluriannuelle comme la luzerne peut générer de la ressource alimentaire pour tout un cortège d’insectes. « C’est d’autant plus important dans des régions qui présentent encore les stigmates de la réorganisation parcellaire des années 1960-1970, avec de grandes surfaces et peu d’infrastructures de repérage pour les insectes », indique Fabrice Allier, responsable agroécologie à l’Institut technique et scientifique de l’abeille et de la pollinisation (Itsap).

L’association Réseau biodiversité pour les abeilles (RBA) a effectué des relevés d’indicateurs qui prouvent l’intérêt BNF sur le maintien des populations d’insectes sauvages et domestiques. « Nous observons dans les BNF une richesse biologique des insectes pollinisateurs, constate Isabelle Kouamo. C’est probant. Les agriculteurs sont régulièrement accusés de réduire la diversité biologique, or grâce à ces bandes nous remarquons le contraire et pourtant nous sommes dans une plaine céréalière. Ces actions sont valorisantes pour notre agriculture. »

La luzerne, championne de la production de nectar

En 2021, le RBA a réalisé des relevés de poids de ruches grâce à des balances connectées. Les données ne sont pas encore diffusées, l’association attend de finaliser les trois années d’expérimentation avant d’émettre des conclusions qui semblent très positives. « Après la récolte de printemps, je me réjouis qu’il y ait de la luzerne en fleurs pour permettre à mes abeilles de produire du miel et de faire des provisions pour l’hiver, explique Christophe Pigeot, apiculteur à Sainte-Maure dans l’Aube. Je trouve la démarche Apiluz intéressante. J’aimerais qu’il y ait plus de bandes non fauchées par parcelle pour produire davantage de nectar et de ressources mellifères. »

Isabelle Kouamo indique qu’à l’heure actuelle, les moyens financiers et logistiques ne sont pas suffisants pour répondre à cette demande. « De plus, notre volonté n’est pas d’impacter la production de la luzerne, précise-t-elle. Il n’existe pas encore de débouchés pour valoriser ces bandes de luzerne moins qualitatives et pauvres en protéines. »

AVIS D’AGRICULTEUR

Jean-Baptiste Prévost, 280 ha à Nuisement-sur-Coole dans la Marne, engagé dans la démarche Apiluz

« Pour les producteurs, l’impact économique est nul »

 

 
« Les 3 mètres de large de la bande non fauchée représentent un bon compromis en limitant le salissement de la parcelle », apprécie Jean-Baptiste Prévost.
« Les 3 mètres de large de la bande non fauchée représentent un bon compromis en limitant le salissement de la parcelle », apprécie Jean-Baptiste Prévost. © J. Guichon
« La démarche Apiluz est intéressante du fait de sa dimension collective. C’est une mesure environnementale bénéfique pour les pollinisateurs domestiques et sauvages. Les 3 mètres de large de la bande non fauchée (BNF) en milieu de parcelle représentent un bon compromis, car ils permettent de limiter le salissement de la parcelle. De plus, ils correspondent à la largeur de coupe de la faucheuse ce qui est plus pratique lorsque la bande est récoltée en fin de floraison. Sur mon exploitation, les BNF représentent 0,48 hectare pour lesquelles je perçois une indemnité financière d’environ 80 euros. Elle compense une perte forfaitaire calculée de 2 tonnes de matière sèche par hectare payée par ma coopérative à 83 euros la tonne. Pour les producteurs, l’impact économique est nul. »

 

280 ha de grandes cultures dont 80 de blé, 40 d’orge d’hiver, 35 de betteraves, 40 de luzerne, 15 de tournesol, 10 de colza, 1 d’asperges, maraîchage.

2 400 agriculteurs pour 1 800 kilomètres de bandes non fauchées

La démarche Apiluz a été lancée en 2014 dans le département de la Marne, grand producteur de luzerne déshydratée. En 2021, elle s’est déployée dans les départements limitrophes où il est possible de produire de la luzerne déshydratée : Aisne, Ardennes, Seine-et-Marne, Aube, Haute-Marne, Yonne et Val-de-Marne, pour 2 400 agriculteurs engagés et 1 800 kilomètres de bandes non fauchées. Les porteurs du projet sont à la recherche de solutions financières pérennes pour développer cette action. Apiluz agrège un grand nombre d’acteurs de la région, dont Cristal Union et Tereos, Sun Deshy, Luzeal, Prodeva, Capdea, Cérésia, la chambre d’agriculture de la Marne, le Réseau biodiversité pour les abeilles, mais aussi Lidl, la Fondation du Crédit agricole Nord-Est et la Fondation Avril. Les collectivités sont aussi impliquées (région Grand Est, département de la Marne), ainsi que deux syndicats apicoles (FGSAM et la Champagne apicole).

Une grande diversité d'insectes dans la luzerne non fauchée

 

 
Une grande diversité d'insectes dans la luzerne non fauchée.
Dans les bandes non fauchées (BNF), les papillons et les abeilles domestiques sont très présents. De par la présence régulière de fleurs, la luzerne offre une ressource importante de nectar aux insectes butineurs pendant la période de disette alimentaire. 1 hectare de BNF nourrit en moyenne 160 000 abeilles domestiques, soit quatre à cinq colonies.

 

Les plus lus

<em class="placeholder">Matthieu Kohler, agriculteur à Sélestat (67) :« Ma priorité numéro 1 avec l&#039;épandage de produits résiduaires organiques est l&#039;enrichissement de mes sols en matière ...</em>
En Alsace, « j’économise plus de 100 €/ha sur les parcelles qui reçoivent des produits résiduaires organiques »

À Sélestat, en Alsace, chez Matthieu Kohler, une trentaine d’hectares reçoit chaque année des épandages de différents produits…

<em class="placeholder">Moisson des céréales. Moissonneuses-batteuses Claas dans une parcelle d&#039;orge dans la plaine céréalière de la Marne. chantier de récolte des orges avec des rendements ...</em>
Moisson 2025 : quels impacts du pic de chaleur actuel sur les céréales à paille ?

Des températures qui dépassent les 30 degrés, une absence de pluies depuis plusieurs semaines…, des inquiétudes pointent dans…

<em class="placeholder">Les agronomes Marcelo Arriola et Andrés Madias sont chercheurs au sein de l’association argentine des producteurs en semis direct (AAPRESID).
Marcos Sincovich et Edgardo ...</em>
Argentine : pourquoi le travail du sol fait un retour en force dans le pays ?
Les céréaliers d’Argentine réintroduisent du travail du sol en système semis direct. Ce retour au binage est leur seule façon de…
<em class="placeholder">Jérôme Noirez, agriculteur et gérant au sein de la SEP Poinsirez à Arraincourt, en Moselle, pratique l’agriculture de conservation des sols</em>
En Moselle, « nous gérons le couvert d’interculture courte entre deux céréales comme une culture à part entière »

Jérôme Noirez, gérant au sein de la SEP Poinsirez à Arraincourt, en Moselle, pratique l’agriculture de conservation des sols.…

<em class="placeholder">Desséchement précoce des feuilles du bas des plantes dans une parcelle de maïs.</em>
Canicule et sécheresse : quelles conséquences sur le maïs ?

Du nord au sud, la canicule frappe la France avec des températures qui dépassent localement les 35 degrés. Les parcelles de…

<em class="placeholder">Tas de compost vegetal dans une parcelle cerealiere avant son epandage. </em>
Amendement organique : quels intérêts présentent les composts pour les sols ?

Parmi les produits résiduaires organiques, les composts présentent un profil intéressant pour améliorer les sols sur plusieurs…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 96€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Grandes Cultures
Consultez les revues Réussir Grandes Cultures au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Grandes Cultures