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Agriculture biologique : les céréales bio face au défi de la massification

La dynamique de croissance forte et régulière enclenchée depuis trois ans pour les céréales bio confronte la filière à de nouveaux enjeux pour ne pas basculer dans la surproduction.

Nouveau silo de Biocer dans l'Eure. Avec une collecte qui double tous les cinq ans, les organismes économiques doivent adapter leur infrastructure de stockage et de tri. © Biocer
Nouveau silo de Biocer dans l'Eure. Avec une collecte qui double tous les cinq ans, les organismes économiques doivent adapter leur infrastructure de stockage et de tri.
© Biocer

La récolte 2019 a marqué une étape importante dans la montée en puissance de l’agriculture biologique dans le secteur des grandes cultures. « C’est la première année que l’on a produit la quantité de blé bio nécessaire pour alimenter le marché français », souligne Jérôme Caillé, président de la commission bio de la Coopération agricole.

Un mouvement de fond semble bel et bien engagé. « Auparavant, on passait des marches tous les trois ou quatre ans. Mais depuis ces trois dernières années, on constate une dynamique de conversion forte et régulière, analyse Jean Buet, directeur de la coopérative bourguignonne Cocebi et de l’union de commercialisation Fermes bio, qui regroupe Biocer, la Cocebi et Probiolor, trois coopératives historiques du secteur biologique. Ce qui est nouveau depuis deux ou trois ans, c’est la conversion de grosses structures qui passent intégralement en bio en une fois. »

Lever le pied sur les importations

Même constat chez Biocer, qui collecte dans le quart nord-ouest de la France. « Nous voyons désormais plus fréquemment des structures de plusieurs centaines d’hectares passer en bio, d’un coup ou par tranche de 30 hectares, explique son président, Olivier Reboul. Et l’on a maintenant des conversions dans des zones à bon, voire excellent potentiel. Un hectare qui passe en bio en Picardie équivaut, en collecte, à deux ou trois hectares dans des régions moins productives. »

Conséquence de ces conversions à effet multiplicateur en rendement : la production de céréales bio augmente fortement depuis quatre ans. « Nous étions très déficitaires depuis longtemps, ce qui imposait d’importer, rappelle Jérôme Caillé, président de la section bio de la Coopération agricole. Le message que l’on cherche désormais à faire passer, c’est de lever le pied sur les importations, voire de freiner dur sur la production de certains produits. »

Pas d’inquiétude sur la rentabilité des céréales bio

À l’approche du point d’équilibre, la surproduction menace-t-elle désormais les grandes cultures bio françaises ? « La croissance de la production est tellement rapide qu’on ne peut pas exclure de se retrouver avec 10 % de surproduction, avance Jérôme Caillé. Et il faut être conscient qu’un excès modéré de l’offre face à la demande suffit pour faire chuter les prix. » Le professionnel se veut toutefois rassurant. « Compte tenu du haut niveau actuel des cours, une baisse de 10 ou 15 % des prix les ramènerait au niveau d’il y a trois ans et ne remettrait pas en cause la rentabilité des exploitations. » À plus de 450 euros la tonne payée au producteur, le blé meunier bio a en effet de quoi faire rêver plus d’un producteur en conventionnel… même s’il devait perdre 50 euros.

Pour autant, les responsables de la filière insistent sur l’importance de maîtriser la production, tout en s’attachant à la mettre en relation avec une demande. C’est pour cette raison que les organismes économiques promeuvent la contractualisation sur trois ou cinq ans, avec la fixation d’un tunnel de prix qui garantit la rentabilité de l’activité du producteur comme celle du transformateur. Tous s’entendent également sur l’importance d’entrer en contact avec le metteur en marché, quel qu’il soit, en amont de la conversion. « Le principe de la commercialisation, c’est d’orienter les productions au moment du semis, affirme Jean Buet. Quand on donne un avis d’emblavement, on a un débouché contractualisé à mettre en face. La planification est un élément fondamental pour ne pas casser la valeur. »

Anticiper la vente de la production en deuxième année

L’anticipation est notamment indispensable pour passer le moment délicat de la deuxième année de conversion, dite C2. Cette récolte ne peut être valorisée dans le circuit bio qu’en production animale. Et encore : fabricants d’aliments ne peuvent en intégrer que 25 à 30 % au maximum. Or, l’afflux de production a engendré de forts excédents en C2 pour la majorité des cultures, entraînant déclassement et chute des prix, notamment en céréales secondaires et graines protéagineuses. Pour limiter la casse, mieux vaut donc maximiser la part de légumineuses (luzerne ou trèfle) en C2. À défaut de pouvoir valoriser la récolte, cela permet d’améliorer le potentiel agronomique de son sol.

Des infrastructures condamnées à tenir le rythme

Au-delà des questions de commercialisation, la croissance actuelle de la collecte bio place les organismes économiques face à des défis logistiques. « Une croissance de plus de 10 % signifie que l’on double la capacité de production tous les cinq ans, souligne Jérôme Caillé. Cela impose de construire de nouveaux outils de stockage et de transformation, dans un contexte économique où les banques sont difficiles à convaincre. »

Les capacités de stockage doivent pourtant suivre pour garantir la qualité des lots. C’est aussi un outil de régulation qui pourrait s’avérer très utile en cas de déphasage temporaire entre offre et demande. Si Biocer s’est doté, fin 2019, d’un silo de 4 000 tonnes et 40 cellules à la pointe de la modernité à Marcilly-la-Campagne, dans l’Eure. Toutefois, 60 % seulement des volumes sont collectés à la moisson par la coop, grâce à une politique d’accompagnement du stockage à la ferme. La conversion récente de grosses exploitations, dont certaines disposent de capacités de stockage importantes, est à cet égard un atout pour la coopérative.

Le risque d’importation minimisé par la demande de produits français

La filière est-elle armée pour cette nouvelle phase de son développement, sur la ligne de crête de l’équilibre entre offre et demande ? « Un élément fondamental nous rend optimistes, c’est que les produits français sont clairement plébiscités en bio, relève Olivier Reboul. Cela éloigne le risque d’importations qui déstabiliseraient le marché. »

Concernant la vigueur de la demande intérieure, les partisans de l’agriculture biologique espèrent développer le marché encore embryonnaire de la restauration hors domicile, et notamment collective. « Il nous faut surtout éviter de devenir un marché de commodités, avertit Jean Buet. Nous n’avons pas de marché de dégagement à l’export, car ce serait au prix d’une casse de valeur extraordinaire, du fait de prix français supérieurs de 100 euros la tonne environ par rapport au reste du marché européen. »

Les bassins spécialisés en grandes cultures se mettent au bio

En France, les grandes cultures ne sont pas le principal moteur de la conversion en bio, mais les choses évoluent. Les surfaces cultivées en bio (surfaces en conversion et déjà certifiées) ont atteint en 2019 environ 2,3 millions d’hectares, soit 8,5 % de la surface agricole utile. Cela représente un doublement en cinq ans. Avec moins de 600 000 hectares, les grandes cultures de vente restent minoritaires : les cultures fourragères couvrent les trois quarts de la sole bio. Néanmoins, les conversions s’amplifient dans les grands bassins céréaliers à haut potentiel. En 2019, 4,9 % des surfaces de grandes cultures étaient conduites en bio.

La collecte de blé tendre rattrape la consommation

Jusqu’à la récolte 2019, l’équilibre du bilan français du blé tendre bio imposait le recours aux importations. Malgré une hausse constante de la consommation depuis 2014, notamment de la part de la meunerie, les postes d’offre et de demande sont désormais à l’équilibre, autour de 250 000 tonnes en 2019-2020. Le marché français en croissance pourrait-il aiguiser les appétits des producteurs étrangers ? Pour Jean Buet, directeur de la coopérative Cocebi, « le scénario le plus probable n’est pas un accroissement des importations qui déstabiliserait le marché, mais plutôt une hausse de la production française qui aurait du mal à remplacer les importations, moins chères ». Pour éviter ce cas de figure, la filière française table sur la contractualisation pluriannuelle avec un tunnel de prix, gage d’adéquation entre la demande et les volumes produits.

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