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Vers la serre 4.0

Capteurs connectés, modélisation et gestion des données… les nouvelles technologies amènent à gérer la serre par anticipation des besoins de la plante. La lumière naturelle ou artificielle est désormais le paramètre déterminant des cultures.

Greensys 2019, symposium international sur la gestion et les technologies avancées pour les serres innovantes a été l’évènement scientifique et technique de l’année qui s’est déroulé à Angers, mi-juin. Une journée dédiée aux professionnels a permis de présenter des éléments scientifiques les plus aboutis et novateurs, utilisables dans les serres. Ainsi, la robotique est un sujet que la recherche essaie d’aborder depuis de nombreuses décennies sans réalisation tangible, loin de la révolution annoncée au début des années 1980. Pourtant, selon Jochen Hemming de l’université de Wageningen aux Pays-Bas, la serre serait le milieu protégé le plus favorable au développement de robots (voir encadré).

De la lumière dans les serres

La dynamique des fluides est également une technologie récemment adaptée aux serres. Dans son domaine de recherche qui concerne la modélisation et la simulation du microclimat des serres, Jean-Claude Roy, université de Bourgogne-Franche-Comté, a présenté un logiciel de dynamique des fluides (CFD). Il s’agit d’un outil puissant pour la détermination du microclimat à l’intérieur des serres en prenant en compte divers flux d’air et de température à partir d’un maillage permettant une vision en géométrie 3D (voir encadré). Pour Sike Hemming, experte de la conception et des matériaux en couverture de serres à l’université de Wageningen, la transmission hémisphérique est le paramètre le plus important à considérer concernant l’effet de la lumière naturelle dans la serre. Selon elle, le matériau de couverture doit s’évaluer en tenant compte de sa transmission et de sa réflexion. « On n’a jamais une transmission perpendiculaire sur la couverture d’une serre. Il est donc important de déterminer la quantité de transmission hémisphérique au cours d’une journée », explique-t-elle, rappelant que 1 % de transmission lumineuse augmente de 0,7 à 1 % les rendements de la tomate et de 2,7 à 4 % ceux du concombre. Le choix du matériau est donc déterminant (voir encadré) et peut être amélioré par l’apport de pigment (films plastiques) ou des propriétés plus diffusantes (verres) qui amélioreraient la transmission hémisphérique. Toujours dans le domaine de la lumière, Léo Marcelis, également chercheur à Wageningen a fait le point sur l’éclairage Led. L’influence de celui-ci sur la plante est liée à son intensité, sa durée (photopériode), sa qualité (spectre) et sa direction. Selon lui, 30 % de la lumière apportée est utilisé par la plante et il semble possible d’augmenter de 30 % son utilisation. Des gains de 15 % sont envisageables en réduisant la déperdition lumineuse par le toit (effet réfléchissant vers l’intérieur) et en adaptant le positionnement de lampes. « L’éclairage inter-culture peut apporter des gains en prenant en compte l’orientation des feuilles et l’effet de la lumière sur le dessous des feuilles ? », mentionne-t-il. L’importance de la lumière comme facteur de production a également été relevée par Marco Cossus, chercheur à l’université de Sassari (Italie) dans les serres photovoltaïques où elle fait encore cruellement défaut dans la plupart des constructions actuelles. Des pistes d’amélioration existent (voir encadré).

Anticiper les besoins de la plante

En s’interrogeant sur comment maîtriser l’environnement de la serre à partir des nouvelles technologies, Vincent Truffaut, CTIFL et Nicolas Gilardi, Cybeeletech passent de l’action corrective à l’anticipation des besoins de la plante, basée sur l’utilisation de capteurs IoT (Internet des objets connectés) et de la modélisation agro-environnementale. Les travaux menés sur le développement d’outil pour l’évaluation de gestion de la serre doivent permettre de corriger l’hétérogénéité du climat en fonction des exigences de la plante. Celles-ci diffèrent de manière verticale selon les différents états physiologiques de la plante, notamment du fruit (fruits à maturité en bas, bouquet floral en haut). Les chercheurs débutent également un travail de modélisation du CO2 et assurent qu’il est possible de manager le climat de la serre par anticipation des conditions météo à plus long terme (actuellement l’anticipation est d’une journée). L’accumulation des données et leur utilisation conduisent ainsi Maurice Husson, Grodan, à parler d’horticulture 4.0. L’entreprise propose ainsi « une plateforme ouverte E.Gro qui apporte une visibilité globale pour permettre de prendre des décisions pertinentes à partir d’une grande base de données collectées », explique le responsable.

Extraire, stocker et réutiliser la chaleur

De la même manière, Feije De Zwart, spécialiste de la gestion de l’énergie à l’université de Wageningen, place beaucoup d’intérêt dans l’usage des pompes à chaleur (PAC). Selon lui, leur utilisation permettra de consommer 9 m3 de gaz par ha alors de 30 m3 sont nécessaires aujourd’hui. En effet, les pompes à chaleur permettent d’extraire au quotidien la chaleur latente de la serre due au rayonnement naturel et à l’éclairage, de la stocker puis de la réutiliser. Dans ce schéma, la consommation d’énergie se répartit en 50 % d’énergie électrique pour extraire la chaleur et 20 % de fonctionnement de l’open buffer. Seulement 30 % de l’énergie nécessaire à la culture proviendraient du gaz. « Malgré le coût élevé des nouvelles technologies, les PAC deviendront économiquement intéressantes avec l’augmentation du prix des énergies fossiles mais aussi la pression sociétale sur leur usage. En revanche, la consommation électrique sera croissante », conclut le chercheur. Cette réflexion fait écho aux travaux de Dominique Grasselly et Ariane Grisey, CTIFL, concernant l’analyse du cycle de vie de la tomate dans le cadre du Agribalyse. « Des solutions existent pour atténuer l’empreinte carbone des productions sous serre », ont assuré les spécialistes (voir encadré). Ainsi, l’engouement de l’agriculture urbaine, dont Guillaume Morel Chevillet a témoigné, répond à une relocalisation de la production espérée par certains consommateurs.

La transmission hémisphérique est le paramètre le plus important pour évaluer la lumière naturelle dans la serre, Sike Hemming, université de Wageningen

L’apprentissage des robots

Jochen Hemming de l’université de Wageningen fonde beaucoup d’espoir dans l’amélioration des systèmes de vision et l’arrivée de l’intelligence artificielle permettant un apprentissage du robot (deep learning). « La culture devra aussi s’adapter et il peut être plus facile de faire évoluer un type de conduite que de dresser un robot », commente le chercheur. Il est également possible d’envisager des robots pour des tâches plus simples que la récolte mais utilisatrices de main-d’œuvre (effeuillage par exemple), pour protéger les intervenants (applications phytosanitaires) ou pour réaliser un travail partiel, complété par la main de l’homme qui doit continuer à avoir sa place. Car « quelle acceptabilité peut avoir le consommateur pour des légumes ramassés avec un robot ? », s’interroge, avec anticipation et raison, Jochen Hemming.

Trois éléments à prendre en compte

Dynamique des fluides

Un logiciel de dynamique des fluides (CFD) permet ainsi la prise en compte des rangs de végétation, l’influence des filets anti-insectes, l’évolution de la concentration des spores de botrytis… La CFD a également pu simuler la répartition de CO2 au sein d’une serre fermée. Le développement de la CFD doit permettre l’augmentation de la précision des modèles de transferts air – cultures et celle de la définition spatiale de la géométrie des cultures. Connecté à des outils de contrôle des serres pour la prédiction en « temps réel » des conditions climatiques internes à venir.

Analyse du cycle de vie

Dans l’analyse du cycle de vie (ACV) d’une production de tomate sous abri chauffé en France, le chauffage représente 85 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Des travaux de modélisation sur les différents modes de chauffage et de types de serre montrent une réduction très importante des GES avec l’utilisation de biomasse et d’énergie fatale ainsi que pour les serres fermées. A noter, l’ACV d’une tomate sous abri froid est plus faible pour un hectare conduit en agriculture biologique qu’en agriculture conventionnelle. Mais le résultat s’inverse lorsque l'ACV est ramenée au kilogramme produit.

Diffusion de la lumière

Selon les données de l’université de Wageningen (Pays-Bas), le verre antireflet augmente de 5 à 8 % la transmission. Associé à un nettoyage régulier, les gains peuvent être de 10 à 15 %. Mais les gains ne s’arrêtent pas là. La diffusion de la lumière permettant une répartition verticale et horizontale est aussi déterminante. Elle permet son interception par les cultures palissées (concombre, tomate) avec des augmentations de rendement de 8 à 10 %. Les gains sont plus importants pour les cultures ornementales basses (anthurium, bromelia).

Les serres photovoltaïques doivent être plus lumineuses

Marco Cossus, chercheur à l’université de Sassari, a étudié la répartition de lumière sous différents types de serres photovoltaïques (PV) allant de 25 % à 100 % de couverture du toit. Selon lui, les faiblesses des serres PV actuelles sont dues à des taux de couverture excessifs, l’utilisation de panneaux photovoltaïques opaques conventionnels, des matériaux de faible transmission et diffusion, des hauteurs trop faibles et une orientation est/ouest trop pénalisante. Afin d’augmenter la durabilité de la prochaine génération de serres photovoltaïques, ses travaux lui permettent de proposer un taux de couverture PV maximum de 25 %. « Une couverture photovoltaïque de 1 % supplémentaire entraîne une réduction de 0,8 % du rayonnement solaire », précise-t-il. De même, l’augmentation de la transmissivité de la lumière du toit peut être améliorée par l’utilisation de panneaux PV semi-transparents, sélectifs conçus à partir de technologies photovoltaïques organiques. Le schéma d’installation des panneaux photovoltaïques sur le toit (en damier par exemple) permet également d’uniformiser la diffusion de la lumière. L’augmentation du rayonnement global peut également être améliorée en accentuant la hauteur sous chéneau. « Un mètre supplémentaire apporte + 3,8 % de lumière », complète-t-il. De même, modifier l’orientation en passant à une disposition nord/sud augmente de 24 % le rayonnement global annuel de la serre. Le chercheur a souligné l’hétérogénéité de la distribution de la lumière qui affecte le choix de la culture et sa conduite (taille, fertirrigation). Selon les données, dans une serre couverte à 50 % de panneau et comptant 6 rangs de culture, près de la moitié de la surface reçoit seulement 30 % du rayonnement annuel. Comparé à une serre conventionnelle qui offre des conditions de luminosité satisfaisantes à favorables à une culture de tomate pendant 8 mois de l’année (mars à octobre), une serre couverte à 25 % place la culture en conditions « suffisantes pour des rendements moyens » pendant 7 mois (mars à septembre). Pour celle couverte à 50 %, les conditions « passables avec perte de rendement » ne durent que 5 mois (avril à août) et ne peuvent permettre une culture de tomate. La culture de laitue semble trouver des conditions légèrement plus favorables dans les serres couvertes à 25 %. Ainsi, sans renoncer à l’agrivoltaïque, associant production d’énergie et agricole, Marco Cossus a prôné une amélioration de la luminosité des serres PV pour en faire un concept durable.

 

"Les sols reconstitués sont une opportunité"

Martine Dorais, Centre de recherche et d’innovation sur les végétaux (CRIV), Canada

Martine Dorais a témoigné de l’approche outre-atlantique de la culture bio sous serre avec différents niveaux de certification dont certaines mettent en œuvre des cultures hors-sol à partir de sol reconstitué dans des gouttières (100 à 180 litres par mètre linéaire), avec l’apport de fertilisants, de biostimulants et de vers de terre. De fait, la chercheuse s’est penchée sur l’activité biologique et microbienne. Selon ses observations sur 66 sols commerciaux et expérimentaux provenant du Canada et du Mexique, l’abondance des micro-organismes bénéfiques était supérieure ou similaire à celle des sols, la diversité de la population microbienne et son activité sont similaires à celles des sols. Martine Dorais a noté également que la diversité bactérienne était affectée par le choix de la culture (celle du poivron est inférieure à celle rencontré en culture de tomate ou concombre). Ses perspectives de recherches sont d’apporter une meilleure compréhension des interactions entre le microbiote du sol et la performance de la plante (productivité et qualité) et d’améliorer la résilience des plantes aux stress biotiques et abiotiques. « Dans le contexte nord-américain, les sols reconstitués sont une opportunité pour produire bio sous serre et faire face à une demande croissante des légumes bio », commente Martine Dorais. En Europe, ce concept ouvre une voie dans une approche durable des cultures hors-sol.

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