Sur les pistes contre suzukii
Barrières physiques, parasitoïdes, lâchers de mâles stériles, la recherche creuse toutes les pistes pour lutter contre Drosophila suzukii.
Barrières physiques, parasitoïdes, lâchers de mâles stériles, la recherche creuse toutes les pistes pour lutter contre Drosophila suzukii.
Contre Drosophila suzukii, la recherche et le développement sont loin d’être à court d’idées. « Différentes méthodes comme le resserrement des récoltes, la gestion des déchets de récoltes, l’augmentation de la température sous abris à la fin des cultures et le passage au froid après récolte fonctionnent efficacement sur petits fruits », rappelait Blandine Polturat, Ctifl lors du congrès de la FNPF à Cavaillon, fin janvier. Des essais qui se poursuivent à l’Aprel ont montré que leur combinaison s’accompagnait d’une augmentation des rendements. Dans le domaine de la protection physique, une piste sera explorée l’an prochain au Ctifl de Balandran avec l’installation d’un verger protégé par des filets verticaux d’une hauteur de quatre mètres sans toit. « L’idée n’est pas d’être totalement imperméable ni de n’avoir aucun ravageur dans les parcelles mais de diminuer les niveaux de population de Drosophila », précise l’expérimentatrice. C’est un système moins coûteux qu’une couverture totale, appelé à être complété par d’autres méthodes de protection mais qui s’est révélé efficace et sans impact sur le microclimat de l’autre côté des Alpes. En matière de protection biologique, l’échec avec un parasitoïde indigène a conduit les chercheurs sur la piste des parasitoïdes exotiques. Une espèce candidate est actuellement passée au crible et des essais sont programmés en serre. Comme le précisait Blandine Polturat, « pour développer ces méthodes et d’autres encore, nous avons encore besoin d’approfondir les comportements et les déplacements du ravageur. La recherche fondamentale et l’expérimentation sont très mobilisées ». D’ici 2020, ce ne sont d’ailleurs pas moins de huit projets qui cibleront l’étude de méthodes de protection contre le ravageur.
La technique de l’insecte stérile
La solution pourrait encore venir d’une autre technique. « C’est la piste de l’insecte stérile à laquelle on réfléchit dans le cadre de Drosophila suzukii », explique Simon Pellous chargé de recherche au centre de biologie pour la gestion des populations à l’Inra de Montpellier. Très efficace là où elle est développée, la méthode est généralement combinée avec d’autres outils. En Europe, le programme majeur d’insecte stérile porte depuis 15 ans sur cératite ou mouche méditerranéenne. Il est basé en Espagne dans la région de Valence et a permis la diminution des populations jusqu’à des seuils économiquement viables sur agrumes, pêches et kaki. Cette technique de l’insecte stérile (TIS) repose sur des lâchers massifs et répétitifs dans les populations naturelles, de mâles rendus stériles par irradiation. « Ces mâles irradiés entrent en compétition avec les mâles des populations naturelles, on voit alors une réduction de la fécondité des femelles qui se traduit par une diminution de la densité des populations de ravageurs, explique Laurence Mouton, maître de conférence à l’université Lyon I, chercheuse au laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE). L’irradiation n’est pas toujours efficace à 100 % et elle peut affecter la compétitivité des mâles, ce qui réduit l’efficacité de la méthode ». L’alternative à la production de mâles stériles consiste à utiliser des bactéries induisant de l’incompatibilité cytoplasmique (voir encadré). Un autre projet franco-autrichien étudie la combinaison de la technique de l’insecte incompatible et de celle de l’insecte stérile. Les femelles sont en effet plus sensibles à l’irradiation que les mâles. En cas de lâcher accidentel de femelles, celles-ci seraient ainsi stériles. Comme l’ajoute Laurence Mouton, « a priori, nous avons trouvé les doses d’irradiation qui seraient optimales. Les premiers résultats montrent que pour les mâles Drosophila suzukii, il fallait des doses importantes d’irradiation pour être stériles ». Reste qu’aujourd’hui, il n’y a pas de cadre légal en France sur l’utilisation de la technique appliquée en protection des cultures ou en santé publique. « Pourtant avec l’insecte stérile, on pourrait avancer beaucoup plus vite que d’habitude », insiste Simon Fellous. Le dossier est dans les mains des différents ministères concernés.
La technique de l’insecte incompatible
Une incompatibilité cytoplasmique se traduit par la stérilité du croisement entre un mâle infecté par une bactérie et une femelle non infectée. Ces bactéries, comme Wolbachia, qui ne sont présentes que chez les invertébrés, se transmettent uniquement par les mères. Cette technique dite de l’insecte incompatible (TII) a été expérimentée en laboratoire pour développer une stratégie de lutte contre les populations de Drosophila suzukii dans les serres. « Nous avons identifié deux souches de Wolbachia qui induisent de l’incompatibilité cytoplasmique chez Drosophila suzukii et qui n’affectent pas la compétitivité sexuelle des mâles, précise Laurence Mouton. Elles sont donc de bonnes candidates pour utiliser la TII en vue de lutter contre ce ravageur ». Mais pour appliquer cette technique il reste à savoir quelle quantité de mâles lâcher et à quelle fréquence (une à deux fois par semaine). De plus, elle nécessite une production en masse : il faut lâcher des millions d’individus par semaine, ce qui est compliqué à obtenir en laboratoire. Autre problème, la méthode de sexage doit être efficace, car il ne doit pas y avoir de femelles dans les lâchers.