Alain Lamassoure, député européen
L’Europe fait sa révolution politique
Partisan convaincu de l’aventure européenne, Alain Lamassoure fait partie des Français qui comptent à Bruxelles et à Strasbourg. Il livre à Fld ses réflexions sur les évolutions institutionnelles offertes par le Traité de Lisbonne.
Fld : Quels sont les principaux changements apportés par le traité de Lisbonne dans le fonctionnement des institutions européennes ?
Alain Lamassoure : Le Traité de Lisbonne va rendre l’Union européenne plus démocratique. Il va la rapprocher des citoyens et lui donner plusieurs visages qui lui faisaient cruellement défaut jusque-là.
L’un de ces visages est celui du Président permanent du Conseil européen qui garantira plus de continuité aux travaux des chefs d’Etats et de gouvernements et représentera l’Union lors des sommets internationaux. Herman van Rompuy, ancien Premier ministre belge, a été choisi pour assurer cette nouvelle fonction.
A ses côtés, a été nommé un Haut-représentant pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, ancienne commissaire européenne britannique. Elle sera vice-présidente de la Commission européenne et présidera également les réunions des ministres des Affaires étrangères. Cette double casquette lui permettra d’harmoniser les différentes actions extérieures de l’UE et d’accroître leur efficacité. Elle sera assistée dans cette tâche par un Service Européen d’Action Extérieure qui sera constitué prochainement.
Le Traité confère également plus de pouvoirs au Parlement européen, mais nous y reviendrons plus en détail si vous le voulez bien, et aux parlements nationaux qui seront associés plus étroitement à l’élaboration des législations européennes grâce au mécanisme dit d’“alerte précoce” selon lequel ils pourront tirer la sonnette d’alarme sur tout nouveau projet présenté par la Commission européenne dans un délai de huit semaines.
Les compétences de l’Union vont également être élargies, ce qui lui permettra désormais de pouvoir développer une véritable politique spatiale, une politique de l’énergie, etc. En parallèle, la prise de décision à la majorité qualifiée remplacera l’unanimité dans de nombreux domaines, notamment en matière d’affaires étrangères, de justice et affaires intérieures, ce qui facilitera considérablement les travaux du Conseil.
En ce qui concerne les citoyens plus directement, deux grandes avancées sont à noter. Tout d’abord, à travers l’élection du Parlement de Strasbourg, ils éliront “Monsieur, ou Madame, Europe”, le Président de la Commission, qui sera désormais élu par le Parlement. Cette innovation conduira les groupes politiques à présenter à l’avance des candidats qui devront défendre un programme de travail et présenter leurs ambitions pour l’Europe. Les citoyens auront ainsi désormais leur mot à dire sur les orientations que suivra l’UE. Enfin, et il s’agit d’une innovation très importante, un nouvel instrument est à leur disposition. Il s’agit de l’initiative citoyenne qui permettra à un million de citoyens originaires de plusieurs Etats membres de demander aux autorités européennes de se saisir d’un problème et de se prononcer dessus.
Fld : Le pouvoir du Parlement est renforcé par ces nouvelles règles. Comment va-t-il pouvoir mieux contrôler le travail de la Commission ?
A. L. : En effet, le Parlement européen est le grand gagnant de cette nouvelle donne puisqu’il va voir ses pouvoirs accrus grâce à l’extension de la procédure de codécision ainsi qu’à de nouveaux pouvoirs budgétaires.
En matière agricole, le Traité de Lisbonne lui permettra d’avoir son mot à dire sur la réforme à venir de la Pac puisque celle-ci ne relèvera plus de la compétence exclusive des Etats membres. Le Traité met également fin à la distinction qui existait depuis les débuts de la construction européenne entre les “dépenses obligatoires” et les “dépenses non-obligatoires”. Jusque-là, les dépenses agricoles, qui représentent encore environ la moitié du budget européen, relevaient des dépenses obligatoires sur lesquelles le Parlement européen n’était que consulté, la décision finale restant entre les mains des Etats membres. Cela n’arrivera plus : désormais le Parlement devra donner son accord sur l’ensemble du budget de l’Union européenne, y compris sur les dépenses agricoles et la nouvelle procédure de décision en matière budgétaire permettra au Parlement d’avoir le dernier mot en cas de désaccord avec le Conseil des ministres. Mais le Parlement n’est pas totalement impuissant pour autant à l’heure actuelle : il a œuvré pour que le budget 2010 de l’UE comprenne un fonds d’aide d’urgence de 300 millions d’euros pour le secteur laitier, ce qui a été accepté par les Etats membres.
Fld : Ainsi, dans le cadre de la future Pac d’après 2013, le rôle du Parlement sera majeur !
A. L. : Exactement. Dans le domaine agricole, le Traité de Lisbonne constitue une véritable révolution politique. Je viens de vous dire que l’exception agricole en matière budgétaire disparaissait. Les décisions de caractères législatifs, comme l’existence ou non d’une OCM, relèvent désormais de la codécision. Sur toutes ces questions, il faudra un accord entre les ministres et le Parlement. Et en cas de désaccord, au final, la décision ultime appartiendra aux députés européens. Il est incontestable que cela va changer l’état d’esprit. Mais il est difficile de savoir comment. Je pense que le Parlement européen sera prudent. En matière agricole, nous entrons, au plan mondial, dans une période d’incertitude. Tout ce que je peux dire, c’est que nous devrons changer les outils de la Pac, qui avaient été conçus dans le cadre d’une politique protectionniste. le protectionnisme va devenir de moins en moins possible.
Fld : Que devient alors la notion de “préférence nationale” ?
A. L. : Je préfère l’expression de “préférence communautaire”. Le terme ne figure pas dans les traités. Toutefois, il était au cœur de la Pac. Nous y avons renoncé avec le Traité de Marrakech (1994), quand l’agriculture est entrée dans les négociations multilatérales. Nous nous sommes alors engagés à supprimer les mesures qui faussaient la concurrence. Nous ne sommes plus protectionnistes. Nous sommes prêts à ouvrir davantage nos marchés agricoles à la concurrence internationale. C’est l’objet des négociations du cycle de Doha, des négociations qui doivent aboutir à un accord équilibré, où chacun se fait des concessions mutuelles. L’Europe, en réformant sa Pac pour la rendre “Doha compatible”, a déjà fait des efforts importants. Nous sommes la première région importatrice de produits agricoles du monde.
Fld : Qu’est-ce que la codécision ?
A. L. : La codécision est une procédure de prise de décision qui a été introduite par le Traité de Maastricht en 1992 selon laquelle le Parlement européen et le Conseil des ministres sont “codécideurs”, c’est-à-dire qu’ils disposent d’un pouvoir égal tout au long du processus de décision. Elle a permis au Parlement européen de monter en puissance dans le système de prise de décision et donc de démocratiser celui-ci.
Avec le Traité de Lisbonne, la procédure de codécision devient la “procédure législative ordinaire” et s’appliquera à une très large majorité des décisions de l’UE.
Fld : Prenons deux exemples dans l’actualité :
- la Commission fait le forcing pour obtenir un accord à tout prix dans le dossier banane à l’OMC, le représentant de Bruxelles étant allé bien au-delà de son mandat de négociation ;
- la Commission vient de signer un nouvel accord avec le Maroc, accord en attente de ratification par le Conseil.
Si le Traité de Lisbonne était entré en vigueur plus tôt, en quoi ces deux dossiers auraient connu un traitement différent ?
A. L. : En ce qui concerne le dossier banane, j’ai appris avec soulagement qu’un accord avait enfin été trouvé à la mi-décembre qui satisfait toutes les parties, il ne me semble donc pas utile de polémiquer sur le rôle de la Commission. J’ajoute que cet accord doit encore être validé par le Parlement européen qui devrait se prononcer dans les prochains mois.
Quant à l’accord avec le Maroc, et aux accords commerciaux de manière générale, le Traité de Lisbonne va relativement peu changer la donne en matière de négociation : la Commission va rester aux commandes. Toutefois, le Parlement européen devra donner son approbation à tout nouvel accord commercial négocié par la Commission suivant la procédure d’“avis conforme”. Et surtout, un accord interinstitutionnel actuellement en cours de négociation devrait conférer au Parlement le pouvoir d’adopter et de transmettre à la Commission des avis tout au long de chaque processus de négociations lui donnant ainsi un droit de regard accru sur leur déroulement et leur contenu.
Fld : Dans le monde agricole, et notamment dans le secteur des fruits et légumes, il est souvent question des distorsions de concurrence entre pays de l’UE et pays tiers (charges sociales, normes phytosanitaires, taxe carbone…). Comment organiser le développement des échanges sans pénaliser les productions nationales et européennes ?
A. L. : Il y a objectivement une concurrence entre les pays européens. On ne peut pas l’éviter. Mais on peut faire en sorte qu’elle soit loyale, qu’elle soit transparente.
Sur le plan social, on ne va pas subordonner le commerce au fait qu’il n’y a pas le même droit social partout. En Europe, il n’y aura pas, au moins dans les vingt ans qui viennent, d’harmonisation des normes sociales. C’est à la France d’en tenir compte en n’imposant pas de charges supplémentaires à ses entreprises. Il y a aussi un problème franco-allemand spécifique. Je n’arrive pas à comprendre comment un fruit ou un légume allemand soit meilleur marché qu’un fruit ou un légume français. L’Allemagne utilise, pour employer et rémunérer sa main-d’œuvre polonaise ou ukrainienne, des failles du système bureaucratique. On ne peut pas continuer à fonctionner comme cela. Les relations franco-allemandes sont suffisamment bonnes pour que l’on puisse se mettre autour de la table et régler ce problème.
Pour les normes phytosanitaires, il faut certes en parler au niveau communautaire, mais le problème est avant tout franco-français. A partir du moment où l’Efsa valide un produit, il peut être consommé en France. Mais notre pays a décidé que les Français devaient bénéficier de normes de qualité supérieures aux autres pays européens. C’est un choix contestable qui pénalise nos producteurs.
Sur le prix de l’énergie, grâce au Traité de Lisbonne, l’Europe a les moyens d’avoir une politique énergétique commune. Et donc, de voir le prix de l’énergie se rapprocher entre les pays. On supprimera ainsi les conditions de concurrences anormales.