Cerises : apprivoiser les contraintes techniques des vergers sous couverture intégrale
Les vergers de cerisiers dits « modernes » sont de plus en plus nombreux dans le Rhône. Mais cette conduite sous couverture intégrale induit de nouvelles exigences techniques.
Les vergers de cerisiers dits « modernes » sont de plus en plus nombreux dans le Rhône. Mais cette conduite sous couverture intégrale induit de nouvelles exigences techniques.



Avec 6 000 à 8 000 tonnes de cerises chaque année, le Rhône se classe au deuxième rang des départements français producteurs, derrière le Vaucluse. Pour préserver ce potentiel de production, arboriculteurs et techniciens se sont emparés des nouvelles configurations de vergers, qui associent protections contre la grêle, la pluie et les ravageurs comme Drosophila suzukii. Ces vergers « modernes » et leur couverture intégrale représentent un investissement conséquent, en moyenne de l’ordre de 100 000 euros par hectare.
Dans la région de Bessenay (Rhône), qui concentre la moitié de la production du département, la filière bénéficie déjà d’une dizaine d’années de recul sur ces nouveaux modèles. Pourtant Cédric Chevalier, expert technique pour l’expéditeur Cerifrais, reconnaît que la couverture intégrale nécessite de repenser totalement la conduite des vergers. « Par exemple, il est essentiel de gérer l’irrigation de manière que l’arbre soit en confort hydrique permanent. Sous bâche, on a des feuillages beaucoup plus verdoyants, l’arbre a besoin davantage d’eau avant récolte. Mais il ne reçoit pas directement l’eau de pluie », souligne l’expert technique. Le risque d’à-coups dans les apports d’eau, avec un arbre en léger stress hydrique, « qui se gave » lorsque l’eau est en profusion dans le sol suite à une forte pluie, pourrait selon lui expliquer certains phénomènes d’éclatement et de pourriture sous bâche.
Maturité : une coloration modifiée
Autre effet induit de la couverture intégrale : la modification de la coloration des fruits. « La qualité visuelle des fruits est meilleure sous bâche. Ils sont plus brillants, plus lumineux. Mais ils prennent aussi de la couleur plus vite. Le bon stade de maturité ne correspond plus au code couleur traditionnel. Pour les producteurs, il s’agit donc de réapprendre à caler ces stades de maturité pour chaque variété », constate Cédric Chevalier.
Côté ravageurs, la couverture intégrale a fait ses preuves face à Drosophila suzukii ou Rhagoletis cerasi. Revers de la médaille, elle favorise la prolifération d’autres insectes comme les fourmis et forficules. « Les fourmis, c’est un problème qui monte en puissance depuis deux ans », confirme Dimitri Piraud, qui exploite 24 hectares de cerisiers dont 7,5 hectares couverts à Bessenay.
« Si la glu demeure la piste la plus efficace, reste à savoir comment l’appliquer. « On est passé de vergers traditionnels en gobelet à 400 arbres par hectare à des vergers palissés sous couverture intégrale qui comptent 1 000 à 1 200 arbres par hectare. Il faut donc trouver des solutions pour appliquer la glu sans multiplier par trois le temps de travail », avertit Cédric Chevalier.
Tâtonnement variétal
Malgré ces nouveaux freins techniques, Dimitri Piraud est convaincu que la couverture intégrale est la seule issue pour la production de cerises dans le Rhône. Installé en mars 2025, à la suite de son père, il a vu les premières bâches posées sur l’exploitation neuf ans plus tôt. Sur les 7,5 hectares désormais couverts, presque trois hectares seront arrachés et replantés cette année. « Il s’agit de vergers conduits en petits gobelets, que nous n’arrivons pas à faire produire malgré nos efforts techniques. Je vais replanter en axe, prioritairement avec des variétés de valeur sûre, comme Régina, avec laquelle je suis certain de faire du tonnage », confie Dimitri Piraud. Assurer des volumes est pour l’instant sa priorité. Et d’ajouter : « Pour ce qui est du calibre, avec des nouvelles variétés, on verra plus tard. »
Il avoue quelques déconvenues sous couverture intégrale, notamment avec la variété Nimba, très touchée cette année par la pourriture. Le technicien Cédric Chevalier y voit l’héritage d’une année 2024 particulièrement humide, qui a certainement laissé de forts inoculums de Monilia dans les vergers. La chaleur et le taux d’humidité sous bâche ont favorisé leur développement. Se pose donc la question de nouvelles stratégies de gestion du risque fongique en couverture intégrale.
Économie de produits phyto
Il en faut toutefois davantage pour décourager Dimitri Piraud. Producteur, il est aussi le représentant en France de la marque allemande des filets Voen (1). Pour la couverture de ses vergers, il ne travaille qu’en monoparcelle, y compris sur les parcelles les plus pentues. Relever les filets Insect Proof sur du monorang serait trop exigeant en main-d’œuvre. Avec cette couverture intégrale, il estime bénéficier d’un meilleur confort de travail. « On est protégé du vent. Si la fenêtre de tir est restreinte pour un traitement, on peut y aller. Avec mon père, nous avons calculé que la couverture intégrale nous permet d’économiser 440 à 500 euros par hectare par an de produits phytosanitaires », commente Dimitri Piraud.
Outre ces économies sur les intrants, c’est avant tout le gain de production qui a séduit l’arboriculteur. Ses cerises sont vendues brut de cueille à Cerifrais. « Le taux de déchets sur mes vergers en extérieur varie en moyenne entre 18 et 25 %. En protection intégrale, il n’est plus que de 3 à 7 %. Tous les cinq à six ans, je gagne donc une récolte. Ce qui paye le coût des bâches de protection climatique et des filets Insect Proof, soit entre 60 000 et 70 000 euros par hectare, (hors implantation et installation par un prestataire) », argumente le producteur.
À l’avenir, il compte bien dompter les aléas techniques de ce nouveau mode de conduite en se tournant vers l’expérience des producteurs allemands. « Ils ont vingt ans de recul sur la couverture intégrale en cerise. Maintenant je les écoute », assure Dimitri Piraud.
Avis d’expert
Cédric Chevalier, expert technique pour l’expéditeur Cerifrais
Les étapes pour implanter un verger moderne
Pour Cédric Chevalier, de Cerifrais, l’implantation d’un verger de cerisiers en couverture intégrale se raisonne en plusieurs étapes. D’abord, une évaluation de la ressource en eau d’irrigation. « Si le verger est couvert de mars à septembre, il ne recevra pas directement l’eau de pluie. Il faut donc s’assurer que le volume disponible pour l’irrigation, notamment dans le cas de retenues collinaires, est suffisant pour répondre aux besoins de l’arbre. Ceci, sans sous-estimer ce que le climat nous réserve », commente le technicien. Cette ressource disponible et la nature du sol détermineront le choix du porte-greffe, qui lui-même orientera le choix du mode de conduite et de la variété. Variété dont il conviendra de vérifier l’adéquation avec la demande commerciale…
L’avis du producteur
Dimitri Piraud, producteur de cerises et représentant de Voen
« Nous pouvons travailler au verger quand il pleut »
Dimitri Piraud estime à 100 heures par hectare et par an, le temps de travail lié à la couverture des vergers dont 40 heures pour le dépliage des bâches et 60 heures pour leur repliage. « Depuis cette année, je fais appel à un prestataire qui met à disposition six personnes pour cette tâche. Je n’ai qu’une facture à régler. J’ai mes propres nacelles que nous conduisons avec mon père pendant que les salariés du prestataire assurent le dépliage », explique le producteur.
En couverture intégrale, Dimitri Piraud estime avoir gagné en efficacité de travail. « Avec les bâches [déployées de fin mars à fin septembre] nous pouvons pratiquer la taille douce en vert en août et septembre sans risque de brûlure pour les arbres », souligne-t-il. Sans oublier, la possibilité de travailler dans les vergers par temps pluvieux. Il reconnaît cependant qu’en déployant ses bâches six mois par an, il raccourcit leur durée de vie. « Mais vu le temps que nous passons à travailler le végétal, pas question de tout perdre en quelques minutes », conclut-il.