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Fertilité des sols : le phosphore, un défi pour la conversion à grande échelle en bio

Plus que l’azote, le phosphore pose question dans les sols des exploitations en agriculture biologique. Il a tendance à diminuer sur le long terme. Les formes d’apport sont restreintes pour cet élément.

Le colza (carencé ici) fait partie des cultures ayant une forte exigence en élément phosphore. © Terres Inovia
Le colza (carencé ici) fait partie des cultures ayant une forte exigence en élément phosphore.
© Terres Inovia

« Une baisse du phosphore est constatée dans les exploitations converties à l’agriculture biologique et ce, aussi bien en grandes cultures qu’en système avec élevage. » Animateur de la filière bio chez Arvalis, Régis Hélias s’appuie sur des résultats d’essais pour établir ce constat. « Dans la Drôme (dispositif de Dunière), un essai longue durée en système biologique montre une dégradation de performance des cultures au fil du temps en même temps qu’une baisse des teneurs en phosphore dans le sol. À Jeu-les-Bois dans l'Indre, nous avons un autre dispositif d’exploitation bio comportant un élevage. Des pertes de production et de qualité des surfaces fourragères apparaissent. Le seul indicateur explicatif est la diminution de la teneur en phosphore. »

Une partie de cet essai reçoit des apports organiques riches en phosphore, calculés pour compenser les exportations par les récoltes de cet élément, voire pour en redresser la teneur dans le sol. Malgré tout, des mesures par la méthode Olsen montrent une diminution des teneurs, bien que plus lente que dans la partie de l’essai recevant des engrais pauvres en phosphore.

Conséquences visibles au bout de plusieurs années

Régis Hélias s’alarme en outre de la situation connue en Occitanie où une cinquantaine d’exploitations agricoles converties en bio sont suivies depuis 2017, dont la moitié de conversion récente. « Il y a une diminution de la teneur en phosphore corrélée à la durée de la production en bio. Certaines exploitations partent de très bas en matière de phosphore du sol. Comment va se comporter leur système après dix ou vingt ans de culture bio ?(1) La diminution du phosphore dans le sol est pernicieuse. On ne s’en rend compte qu’au bout de plusieurs années avec des conséquences sur les productions agricoles. »

Enseignant chercheur à l’Inrae et à Bordeaux Sciences Agro, Thomas Nesme se montre moins alarmiste. Ce spécialiste analyse les grands cycles de l’azote, du phosphore et du carbone et mesure l’impact de différents scénarios, dont le développement de l’agriculture biologique. « Nous reposons sur un stock de phosphore dans les sols plutôt confortables en France, qui s’est notamment constitué dans les années 70-80. Même à l’échelle européenne, les stocks de phosphore apparaissent satisfaisants, y compris en système biologique. »

Le cahier des charges restreint les possibilités d’apport de phosphates

Cependant, Thomas Nesme appelle à la vigilance sur cet élément. « Quand une production biologique est mise en œuvre depuis longtemps, on observe des situations qui commencent à être problématiques dans les bassins de grandes cultures. Il faut suivre l’évolution de la disponibilité du phosphore du sol et voir si les exportations sont compensées par les apports d’engrais effectués. Il est vrai que l’activité biologique des sols est plus élevée qu’en conventionnel et que cela permet de mieux exploiter le phosphore du sol. Mais à long terme, le problème d’épuisement du sol en phosphore reste le même. »

La diminution de phosphore du sol s’observe aussi en agriculture conventionnelle. Mais en matière de fertilisation phosphatée, les agriculteurs bio partent avec un handicap. Le cahier des charges bio exclut l’utilisation des engrais minéraux fabriqués à partir des roches phosphatées qui sont traitées à l’acide pour rendre le phosphore plus disponible pour les plantes. Les agriculteurs bio ne disposent alors que de deux types de solutions : les roches phosphatées non traitées (phosphore très peu soluble et faiblement disponible) et les ressources organiques issues de l’élevage ou de déchets verts dont la disponibilité n’est pas infinie.

Regarder du côté des boues de stations d’épuration ?

La rotation culturale ou les couverts végétaux apportent peu de phosphore biodisponible. « Une idée est de revoir nos bassins de production en relocalisant des élevages dans les régions où ils sont peu présents. Dans les systèmes en bio, on trouve plus d’élevage en situations de grandes cultures qu’en conventionnel au sein des mêmes régions. Ce différentiel semble augmenter », rapporte Thomas Nesme. Mais même l’utilisation des produits de l’élevage a pour effet d’exporter du phosphore des sols.

D’autres projets de ressource se font jour et ils posent question. « La disponibilité de matière organique pour fertiliser les sols est un enjeu. L’utilisation des boues de stations d’épuration est interdite en bio mais les points de vue divergent parmi les acteurs de la bio, certains souhaitant plus de souplesse sous certaines conditions de traitement de ces boues », rapporte Thomas Nesme.

Régis Hélias s’intéresse également à la question « du recyclage local des déjections humaines ». Des organismes travaillent notamment sur l’urine humaine qui concentre une grande partie des nutriments des eaux usées, comme avec la production de struvite, un sel chargé en phosphates qui pourrait être utilisé comme engrais agricole. La question du phosphore en bio ne doit pas rester insoluble.

(1) Un projet Casdar dénommé Phosphobio pourrait démarrer dans les prochains mois.

L’azote reste l’élément prioritaire à fournir

Le gros enjeu de fertilisation en grandes cultures biologique reste l’azote, pour assurer le meilleur rendement possible des cultures. « Heureusement, l’agriculteur dispose d’un portefeuille de solutions avec l’apport de matière organique et le recours aux légumineuses en couvert végétal d’interculture ou en culture, remarque Thomas Nesme, Inrae. En potassium, les sols sont globalement bien pourvus. » Régis Hélias, Arvalis rapporte cependant le cas d’un agriculteur bio qui a abandonné la culture de luzerne déshydratée car les exportations de celle-ci engendraient une perte conséquente de potassium dans les sols.

Taux accru de matière organique dans les sols bio

 
Les taux de matière organique sont plus importants en sol bio qu'en conventionnel. © C. Gloria
Le taux de matière organique (MO) est globalement plus important dans les sols bio qu’en conventionnel, selon Thomas Nesme, Inrae. « En agriculture biologique, on cherche des taux assez élevés pour favoriser la libération d’azote. C’est aussi le carburant de l’activité biologique du sol. Les producteurs bio agissent un peu comme des 'puits' de matière organique dans le territoire, en collectant divers produits de MO. Avec le développement du bio, il y a risque de compétition pour cette ressource pondéreuse qui ne voyage pas très bien et dont les quantités ne sont pas illimitées. » Tout le contraire des engrais minéraux azotés disponibles en quantité quasi illimitée et facilement transportables… pour l’agriculture conventionnelle.

 

AVIS D'EXPERT - Justine Sourisseau, directrice du GRCeta Sols forestiers d’Aquitaine

« Une fertilisation de base équilibrée avec les fientes de poules pondeuses »

« Dans les Landes, nous sommes sur des sols sableux très filtrants et pauvres en éléments nutritifs à la base. 10 % des adhérents du GRCeta sont convertis au bio. En quelques années, le profil physico-chimique de ces sols s’améliore notablement en situation d’agriculture biologique. Pour l’azote, le phosphore, la potasse, les producteurs apportent une fumure de fond à base de fientes de poules pondeuses dans la majorité des cas, voire du lisier ou du fumier d’élevage se situant à proximité de leurs exploitations. Ils complètent avec des bouchons (pellets) plus riches en azote qui sont achetés en big bag. Ils sont de compositions très diverses et constitués à partir d’effluents d’élevage, de farine de plume, de restes d’abattages (PAT)… Les teneurs en éléments sont connues. Parmi toutes ces formes d’engrais, les plus riches en phosphore sont généralement les fientes de volaille. La fiente standardisée à 80 % MS est passée de 50-55 euros la tonne en 2015 rendu ferme à 85 euros en moyenne aujourd’hui. Quant aux bouchons, ils coûtent 350 à 400 euros la tonne pour un apport d’au minimum 1 tonne/hectare. Nous expérimentons les apports en localisé au semis pour diminuer le coût à l’hectare. »

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