Élevage bovins viande en Afrique de l’Ouest : les systèmes transhumants sous pression
Les élevages bovins mobiles du Sahel et du nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest sont performants pour approvisionner en viande à un prix compétitif toute la région. Cependant, les conflits armés et le rétrécissement des parcours les mettent de plus en plus en difficulté.
Les élevages bovins mobiles du Sahel et du nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest sont performants pour approvisionner en viande à un prix compétitif toute la région. Cependant, les conflits armés et le rétrécissement des parcours les mettent de plus en plus en difficulté.





Dans les pays du Sahel et le nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (1), l’élevage de bovins connaît une croissance continue depuis la fin des grandes sécheresses des années 70 et 80. Le cheptel, estimé à, au minimum, 110 millions de têtes sur l’ensemble de cette zone en 2021 par la FAO, a été multiplié par trois en suivant le rythme de la démographie.
« Le système naisseur mobile – ou transhumant – concerne la très grande majorité de l’effectif des bovins en Afrique de l’Ouest », présente Christian Corniaux du Cirad. Plusieurs dizaines de millions d’éleveurs et d’agro-éleveurs en vivent dans le delta du fleuve Sénégal, jusqu’au bassin du lac Tchad, et dans les plaines maliennes et burkinabées. Dans ces régions où il pleut moins de 500 mm par an, ils ont besoin pour élever leurs vaches de bouger en fonction des pâturages et points d’abreuvement qui leur sont accessibles.
« Le climat évolue dans ces pays vers une augmentation du cumul des pluies sur l’année. On mesure une disponibilité en fourrages, notamment ligneux, plus importante qu’il y a dix ans », explique Bernard Bonnet de l’Iram. La mousson africaine provoque en revanche de plus en plus fréquemment des inondations. Mais la situation est donc très différente de celle du Sahara, qui fait face à une accélération de la désertification mettant en péril l’élevage.
Transhumance à pied sur des centaines de km
Dans les pays du Sahel, un troupeau d’une centaine de têtes peut quitter son village d’attache avec des bergers pendant trois à huit mois de l’année. Les animaux sont plutôt des taurins dans le sud de la zone, car ils y étaient historiquement plus présents du fait de leur moindre sensibilité à la trypanosomiase (maladie transmise par la mouche tsé-tsé). Azawak, Bororo,..les races sont très nombreuses. Dans le Nord, il y a davantage de zébus, mieux adaptés aux périodes de sécheresse.
Il y a en général 75 % de femelles dans les troupeaux, qui élèvent leurs veaux et sont en partie traites – le lait étant la base de l’alimentation des éleveurs. « Les naissances sont réparties sur l’année, mais les vaches commencent souvent une gestation pendant la saison des pluies, ce qui fait qu’elles vêlent vers mai-juin, en pleine période de sécheresse. Une autre période de vêlages est observée en septembre et octobre, pendant l’hivernage », indique Christian Corniaux.
Pour schématiser, les éleveurs sahéliens commencent par faire pâturer leurs troupeaux au sud où il pleut plus tôt, et ils remontent avec les pluies. Ils se déplacent généralement en groupes à géométrie variable.
Un réseau de grands marchés de bétail vif
En parallèle de ces déplacements, les éleveurs sahéliens livrent des jeunes mâles maigres vers les bassins de consommation des capitales et des pays côtiers situés à plusieurs centaines de kilomètres. Les grandes lignes de leurs trajectoires sont traditionnelles, mais elles sont aussi adaptées aux différentes crises, contraintes et opportunités affectant le commerce du bétail. Convoyés à pied, ces animaux peuvent être partiellement engraissés en chemin. Le transport en camions prend le relais sur certains segments selon l’urbanisation de la région, ou pour des animaux plus âgés et plus lourds qui marchent moins bien.

Le Nigeria, notamment, est une plaque tournante du commerce de bovins vifs de l’Afrique de l’Ouest. Avec près de 200 millions de consommateurs, c’est un marché de poids dans la région. Par exemple, au marché en vif de Wudil dans le nord du pays, trois millions de têtes de bétail seraient commercialisées chaque semaine, d’après un article du The Guardian de 2024.
« Cet élevage naisseur est performant puisqu’il assure une quasi-autonomie en viande bovine de l’Afrique de l’Ouest », pointe Christian Corniaux. Les animaux arrivent sur les marchés de bétail vif à un prix compétitif, et des négociants peuvent les faire engraisser quelques mois et abattre en livrant une viande bovine à un prix adapté aux moyens financiers des habitants. « La consommation n’est que de 5 à 7 kg par an et par habitant, mais les populations connaissent une augmentation exponentielle. Or, jusqu’à présent, les élevages naisseurs livrent suffisamment d’animaux pour satisfaire les besoins », observe le chercheur. Il y a ainsi très peu d’importations de viande bovine en Afrique de l’Ouest, contrairement à ce qu’il se passe sur le marché de la viande de poulet ou pour le lait en poudre.
Des conflits d’usage et une stigmatisation
Si le système « tient », les difficultés se multiplient ces dernières années à cause, en premier lieu, des conflits armés et de beaucoup de questions politiques. « Le vol de bétail est devenu leur problème numéro un », explique Bernard Bonnet. Les bergers vivent dans des conditions extrêmement rudes durant certaines parties de la transhumance. Ils sont stigmatisés dans de nombreuses régions. Des accords bilatéraux sont mis en place pour qu’ils puissent passer les frontières, mais ceux-ci sont instables. L’urbanisation et le développement de zones de cultures réduisent les aires de pâturage et génèrent beaucoup de conflits d’usage. Les éleveurs doivent aussi s’adapter à des fluctuations des taux de change entre les monnaies.
La sédentarisation de l’élevage émerge, mais reste très minoritaire. « Elle concerne les noyaux laitiers autour des laiteries, des centres urbains ou le long des axes routiers et également les ateliers d’embouche de bovins et d’ovins autour des villes, des abattoirs ou au moment de la Tabaski (Aïd) de la part d’investisseurs d’origine urbaine », explique Christian Corniaux.
Très peu d’importations de viande bovine en Afrique de l’Ouest
2026 : année internationale du pastoralisme
Les Nations unies ont proclamé 2026 « année internationale du pastoralisme et des pâturages ». Cet événement vise à faire mieux connaître l’importance des éleveurs pastoraux et des terrains de parcours « pour la création d’un environnement durable, d’une croissance économique et de moyens de subsistance résilients pour les communautés, sur toute la planète. »
Au Sommet de l’élevage, un espace spécifique lui sera dédié comme l’année dernière et animé par de multiples actions tout au long de la durée du salon.
AVSF : « renforcer les éleveurs de bovins du Sahel »
L’ONG Agronomes & vétérinaires sans frontières est active dans les pays du Sahel depuis les années 80.
« AVSF – agronomes & vétérinaires sans frontières – est présent au Sahel depuis sa création dans les années 80 », a présenté Stefano Mason, vétérinaire et responsable du programme élevage et santé animale à l’AVSF, à l’occasion des journées nationales des GTV en mai. « Nous avons affiné notre approche toujours dans l’objectif de valoriser les ressources pastorales pour que les éleveurs soient le plus possible autonomes, pour qu’ils soient plus forts vis-à-vis des politiques pour défendre leurs intérêts, et pour moderniser cet élevage sans le dénaturer ». L’organisme apporte son appui pour gérer de manière concertée l’eau, les pâturages, les couloirs de passage, les marchés aux bestiaux, et les parcs de vaccination.
« On développe depuis quelques années une approche par unités pastorales qui rassemblent des groupements d’éleveurs au-delà du niveau administratif de la commune. » L’objectif est qu’ils puissent gérer eux-mêmes à cette échelle les ressources fourragères, notamment mettre en défens telle zone pour telle période, pour laisser la végétation se régénérer. Un système d’information est développé aussi au sein de ces unités pastorales (pluviométrie, présence de mares, prix des marchés du bétail, campagne vaccinale, vols de bétail…). « Nous avons appuyé les éleveurs à mettre en place des stocks fourragers pour être sécurisé en cas de crises socio-économiques graves, et à adopter une prophylaxie pour éviter la propagation de certaines épizooties. »
AVSF travaille aussi sur la diversification des revenus, en particulier pour les femmes, par exemple avec l’engraissement d’ovins pour Tabaski (Aïd), la production de lait et des emplois autour des panneaux solaires.