« Je continue d’élever des chèvres malgré la guerre »
En Ukraine, Vasyl Tsvyk continue de produire du lait, des yaourts et des fromages de chèvre malgré la guerre. Le plus gros éleveur caprin du pays poursuit le florissant développement de sa laiterie et son exploitation de 2 100 hectares et 3 600 chèvres.
Croisé lors du dernier Capr’Inov, Vasyl Tsvyk s’inspire du savoir-faire français. Au salon caprin de Niort, il en a profité pour s’informer des dernières nouveautés des équipements et services pour l’élevage de chèvres. Cet agriculteur ukrainien revient de loin. Située à 80 km à l’est de Kiev, son exploitation a vu les chars russes passer à proximité des bâtiments il y a deux ans. Aujourd’hui, le front a reculé mais la guerre complique la vie du plus gros élevage de chèvres d’Ukraine.
Sa ferme de 2 100 hectares est issue d’une partie d’un ancien kolkhoze. « Je préfère bien travailler avec une petite surface que mal avec trop », explique-t-il en se comparant avec ses voisins dont les structures affichent entre 5 000 et 10 000 hectares. L’exploitation démarre en 2011 et profite vite des cours élevés des céréales. Les sols noirs de tchernoziom sont riches en humus et permettent des rendements élevés en maïs, blé, orge ou colza. Il a, par exemple, produit 140 quintaux de maïs à l’hectare l’an dernier en y mettant 100 kg d’azote. Avec la guerre, le céréalier a eu très peur quand les exportations des céréales étaient bloquées et que l’État ukrainien rachetait le blé à 40 euros la tonne en juin 2022. Heureusement pour lui, en juillet 2022, la Russie et l’Ukraine ont conclu un accord – négocié par la Turquie et les Nations unies – permettant aux cargos de naviguer le long d’un corridor dans la mer Noire, libérant ainsi des millions de tonnes de céréales destinées à l’exportation.
Un nouveau bâtiment de 1 800 m² sort de terre
Son projet caprin démarre en 2013 mais la révolution ukrainienne de 2014 et la guerre russo-ukrainienne de 2014 retardent la concrétisation. Après avoir visité des élevages en Israël et aux Pays-Bas, c’est en France que Vasyl trouve l’inspiration. Il y passe dix jours en 2013 puis il y reviendra régulièrement. Son cheptel est d’ailleurs issu de la génétique française avec l’arrivée en juillet 2015 des 300 premières chevrettes issues des établissements Clochard à Curzay-sur-Vonne dans la Vienne.
Vasyl trouve les fournisseurs et l’expertise technique en France
Aujourd’hui, avec le croît interne et l’achat régulier d’animaux, ce sont 3 000 chèvres laitières saanen et alpines qui sont élevées dans le village de Cherevky. À terme, 10 000 animaux pourraient être élevés ici. « Ce n’est pas la guerre qui l’arrête, observe Lionel Moreau qui l’accompagne depuis le début dans le développement de son élevage. La demande des grands magasins l’incite à développer sa production caprine, surtout que la concurrence est pratiquement inexistante. » Actuellement, quatre bâtiments longitudinaux accueillent les animaux ainsi qu’une nurserie post-sevrage et une salle de traite en épi. Le matériel de traite vient de chez DeLaval et les autres équipements (cornadis, allaiteurs automatiques, matériels divers…) de l’Alliance pastorale.
En ce moment, un nouveau bâtiment de 4 000 m² est en train de sortir de terre pour abriter 1 800 chèvres, une salle de traite de 2x36 places, des bureaux et une cantine pour les salariés. Pour nourrir son troupeau, la ferme Tetiana cultive ses fourrages et fabrique ses aliments à la ferme. Tous les composants des aliments sont produits sur place, à l’exception des minéraux et des tourteaux de soja que trouve facilement Vasyl car ils sont produits sur le sol ukrainien. La poudre de lait pour les chevreaux est fournie par Bonilait. Pour produire quatre litres par jour, la ration comprend 650 g de pulpe betterave, 1,2 kg de foin de ray-grass et de luzerne, 1,9 kg d’ensilage de maïs, 300 g de mélasse et 1,2 kg de concentrés à 18 % de protéines.
Faire manger du chèvre aux Ukrainiens, un défi !
« Il n’y a aucune tradition de consommation de produits caprins en Ukraine, et pas non plus d’habitude de manger des fromages à pâte molle », explique Vasyl. C’est pourquoi son entreprise Tetiana s’est tout de suite tournée vers la fabrication de yaourts puis, dans un second temps de fromages à pâte pressée. La première laiterie a été mise en route en 2016, doublée par un deuxième atelier en 2022. Les produits sont variés et vendus sous la marque Zinka, un nom que les Ukrainiens donnent généralement aux chèvres. Les produits laitiers sont vendus dans un rayon de 200 km autour de Kiev, dans les hypermarchés et petits magasins. Vasyl a aussi développé de toutes petites échoppes comme à l’hôpital de Brovary où malades, blessés de guerre et infirmiers viennent acheter des yaourts Zinka. Petit à petit, les tommes commencent à plaire aux goûts des Ukrainiens qui se rendent compte qu’il n’y a pas de fortes odeurs, contrairement à leur appréhension.
Des experts français pour l’accompagner dans la production caprine et fromagère
Pour l’élevage comme pour la fabrication de fromages, Vasyl s’est fait épauler par des experts et des consultants français. « Nous avons appris à faire des fromages et ils sont maintenant aussi bons que ceux qu’on trouve en Europe », vante-t-il. Et avant que les premiers litres de lait n’arrivent à la laiterie, l’entrepreneur a envoyé ses équipes en France pour des stages de trois mois afin qu’elles puissent apprendre la transformation laitière. Malgré ses 80 salariés, Tetiana reste une entreprise familiale dans le sens où son père et sa mère travaillent dans l’entreprise et que sa fille l’aide pendant les vacances scolaires.
Mis à part le couvre-feu à 11 heures du soir, on pourrait presque se croire en paix à Cherevky. Il n’y a pas de bombe ni de pénuries mais la situation reste compliquée. Par exemple, Vasyl qui est maire de sa commune de 17 000 habitants a dû organiser la prise en charge par ses administrés de 8 000 réfugiés internes. « Tout a été désorganisé avec l’invasion russe, admet Vasyl. Beaucoup de personnes ont quitté le pays et le pouvoir d’achat des Ukrainiens a baissé. »
Ce chef d’entreprise audacieux est devenu très vite le premier producteur caprin du pays avec près des deux tiers du lait de chèvre produit. Son succès inspire quelques autres producteurs qui se lancent aussi dans l’élevage caprin. De quoi redonner aux Ukrainiens le goût du chèvre !