S’adapter pour répondre aux enjeux de demain
La filière veaux doit se renouveler pour répondre aux attentes de la production et de la consommation : alimentation animale, performances, bien-être animal, empreinte environnementale, antibiorésistance …
La filière veaux doit se renouveler pour répondre aux attentes de la production et de la consommation : alimentation animale, performances, bien-être animal, empreinte environnementale, antibiorésistance …
Le 6e Symposium international de la filière veaux a été l’occasion pour ses acteurs de se rassembler pour partager des constats, ouvrir le dialogue ou encore proposer des démarches de progrès répondant à la fois aux enjeux de production de demain et aux attentes sociétales, afin de poursuivre ses objectifs en l’occurrence, valoriser ses spécificités, maintenir sa dynamique et être proactive. Les enjeux sont de taille, « à commencer par le renouvellement des générations qui apparaît comme fil conducteur pour chacun d’entre eux », remarque Marc Butruille, vice-président de la section veaux d’Interbev.
Dans un souci de compétitivité, la production de veaux doit pouvoir s’adapter rapidement aux nouvelles exigences et opportunités des marchés, tout en maîtrisant la qualité du produit fini. Dans cette optique, l’alimentation des veaux, à base d’aliments d’allaitement et d’aliments fibreux, représente un paramètre clé.
« Les rations doivent en effet être efficaces pour maîtriser les coûts de production (coût alimentaire = 65 % du coût de production), limiter l’empreinte carbone et assurer la qualité du produit fini. Depuis le début des années 2000, on note cependant un allongement des durées d’élevage, une augmentation des proportions d’aliments fibreux dans les rations et donc une réduction de l’utilisation de poudre de lait dans les aliments d’allaitement, et ceci au détriment de l’indice de consommation. En sept ans, une perte de 15 % de produits laitiers dans l’alimentation des veaux a été observée. Face à la volatilité des matières premières laitières, les pratiques alimentaires se sont ainsi diversifiées et l’index d’efficacité alimentaire s’est dégradé. On peut également se poser la question de l’impact de ces changements sur la qualité du produit fini », observe Thomas Billé, directeur général adjoint du pôle Feed du groupe Laïta.
Cependant, « la plus grande incorporation de fibres dans l’alimentation du veau revêt des bénéfices en termes de bien-être animal et de santé », tempère Joop Lensink, enseignant chercheur à l’ISA de Lille. L’alimentation fibreuse permet en effet de réduire les comportements anormaux des animaux en stimulant la mastication mais aussi d’améliorer la santé digestive du rumen et de la caillette.
L’usage raisonné des antibiotiques pour lutter contre le développement de l’antibiorésistance animale et humaine représente un autre enjeu de progrès pour la production. Dans le cadre du plan EcoAntibio 2011-2016, dont l’objectif était de diminuer de 25 % l’usage des antibiotiques dans toutes les filières animales, la filière veaux de boucherie française a souhaité dresser un état des lieux de l’usage des antibiotiques et de l’antibiorésistance.
« La mesure de cet usage reste un exercice difficile en raison de l’inexistence d’indicateurs complètement standardisés. Le nombre de traitements par veau est assez conséquent et la faible variabilité d’usages entre les élevages indique que les leviers de réduction relèvent davantage de démarches de filières que de démarches individuelles. Les résistances à la tétracycline, à la pénicilline, aux sulfamides ou aux aminosides sont, quant à elles, déjà élevées à l’entrée en engraissement des animaux. La recherche spécifique de la résistance aux céphalosporines de 3e génération, un indicateur important, a montré par contre que les animaux arrivaient dans les élevages avec une prévalence très élevée, qui se révélait moindre à leur sortie. L’acquisition de cette résistance majeure se fait donc avant l’entrée des veaux en engraissement », expose Emilie Gay, chercheuse en épidémiologie à l’Anses de Lyon.
En 2015, Interbev veaux a lancé une campagne de sensibilisation des acteurs de la filière. Action qui a débouché sur une charte interprofessionnelle de bonne maîtrise sanitaire et de bon usage des traitements médicamenteux, signée par 63 % des éleveurs de veaux. Les autres pays producteurs travaillent également sur le sujet. Les Pays-Bas, très investis depuis 2007, ont de leur côté observé une diminution de l'utilisation des antibiotiques de l’ordre de 35 % depuis 2009.
Chaque année, 1,4 million de veaux de moins de 80 kilos font l’objet d'échanges commerciaux entre pays européens. Pays-Bas (800 000 têtes), Espagne (300 000 têtes) et Italie (100 000 têtes) représentent les trois principaux pays importateurs ; Allemagne, France et Irlande, les trois premiers pays exportateurs. Au vu de ces chiffres, l’optimisation des circuits d’approvisionnement en jeunes veaux, les bonnes pratiques en matière de transport, ainsi que la qualité des animaux mis à l’engraissement constituent une clé de réussite de l’élevage de veaux de boucherie de demain.
« Une diète alimentaire jusqu’à 30 heures et un transport jusqu’à 12 heures n’ont pas d’effets préjudiciables sur le métabolisme de veaux en parfaite santé au départ. Ainsi, l’immunité du nourrisson apparaît comme une condition sine qua non pour amener des jeunes veaux en bonne santé dans les ateliers d’engraissement. Le renforcement du système immunitaire passe ainsi par le savoir-faire de l’éleveur naisseur - qui a aujourd’hui plutôt tendance à considérer le veau comme un sous-produit du lait -, sa bonne maîtrise technique et son sens de l’observation. Il est donc important de se rapprocher de la filière lait », souligne Thierry Lorent, vétérinaire.
Les flux d’approvisionnement depuis les élevages naisseurs vers les ateliers d’engraissement sont organisés, mais complexes... Les simplifier demain sera une nécessité. La filière veaux néerlandaise s’est investie sur le sujet. « Le SBK, interprofession néerlandaise du veau de boucherie, a mise en œuvre une plateforme de coopération entre les éleveurs naisseurs, les transporteurs, les engraisseurs, les négociants et les centres de rassemblement pour améliorer la qualité et la santé des veaux destinés à l’engraissement », explique Henk Beckman, secrétaire du SBK.
Avec l’accès aux nouvelles technologies, le bâtiment d’élevage veaux de boucherie de demain est un élément clé pouvant fournir des réponses face aux enjeux de bien-être et de santé des animaux, de performances techniques, de développement durable, mais il peut également permettre d’attirer les jeunes à l’installation. Pour Angélique ??Delaire??, éleveuse « le bâtiment du futur devra offrir de meilleures conditions de travail grâce à une distribution facilitée des aliments, tout en sécurisant le travail de l’éleveur ». Quant à Sébastien ??, « il en attend une meilleure gestion de la santé et du bien-être des animaux grâce à de nouveaux capteurs permettant de régler l’aération de manière automatisée et d’optimiser les traitements médicamenteux, tout en réduisant la consommation d’énergie et en valorisant les gaz à effet de serre ».
Pour laisser entrevoir les possibilités offertes aux éleveurs, Yvonnick Rousselière est venu dévoiler les récentes évolutions et les nouveaux outils mis à la disposition des éleveurs de porcs pour maîtriser de manière optimale l’ambiance dans leurs bâtiments. « Aujourd’hui, les éleveurs porcins peuvent avoir accès à une nouvelle génération de ventilateurs, synonyme d’économie d’énergie comprise entre 65 et 80 % par rapport à des ventilateurs classiques. Ventilateurs réglés à distance grâce à de nouveaux logiciels. À l’avenir, on espère également voir apparaître des capteurs avec enregistrement continu et envois ponctuels d’alertes qui permettront d’isoler les animaux qui toussent selon leur type de toux, pathologique (problème d’ambiance) ou épidémiologique (grippe). » Ce bâtiment performant préservera également les performances technico-économiques en intégrant le concept d’alimentation de précision, basé sur l’ajustement en continu des apports nutritionnels aux besoins des veaux, à l’aide d’une caméra 3D. Un gain conséquent sur l’efficacité alimentaire sera ainsi possible. Enfin, ce bâtiment sera à la fois économe en énergie et producteur d’énergies alternatives.
La filière veaux, au même titre que toutes les filières, doit désormais répondre à de nouvelles exigences des consommateurs qui sont à la fois d’ordre environnemental, de bien-être animal et de modification des modes de consommation. « La question environnementale était prégnante dans les années 1980 ; celle du bien-être animal a commencé à se poser dans les années 1990 ; la prise en compte de la santé humaine en lien avec l’usage des antibiotiques a été très présente à partir des années 2000 et, depuis, on observe une critique générale de l’élevage dans sa globalité », constate Christine Roguet, ingénieur agronome et chef de projet à l’Ifip (Institut du porc). Le débat est désormais philosophique et porte davantage sur le droit animal et sa place face à l’homme et à la société.
Du côté de l’empreinte environnementale, « la filière doit se montrer pro-active en harmonisant la méthodologie de calcul de l’empreinte carbone pour sa crédibilité », remarque Nicolas Martin, conseiller politique à la Fédération européenne des fabricants d’aliments composés, avant de poursuivre, « l’amélioration des performances environnementales va de pair avec l’amélioration des performances techniques. Dans la production de veaux de boucherie, le poste le plus onéreux pour l’environnement, comme pour l’exploitation, est l’intrant alimentaire. Qu’il s’agisse de gaz à effet de serre, d’eau ou de consommation d’énergie fossile, l’aliment acheté est très coûteux, aussi bien sur le plan économique qu’environnemental. Agir sur le poste des achats d’aliments apparaît ainsi comme une stratégie gagnant-gagnant pour le système de production et pour l’environnement ».
Les leviers d’actions identifiés résident dans une meilleure gestion des effluents, du transport, de l’efficacité alimentaire, des émissions de gaz à effet de serre (méthane, ammoniac, carbone), sans oublier la consommation d’eau.
La question du bien-être animal a commencé à se poser dans les années 1990. Elle a évolué au cours des années, notamment au travers du changement progressif de la réglementation européenne - d’abord donneuse de normes avant d’évoluer vers des obligations d’objectifs - mais également au travers du nombre des acteurs, très nombreux aujourd’hui (lois française et européenne, association de protection des animaux, techniciens, vétérinaires, éleveurs, scientifiques, public, GMS agroalimentaires), et qui a entraîné pour l’éleveur davantage de contraintes directes para-législatives par la distribution. « Les débats de société sont aujourd’hui très vifs et universels entre les pays d’Europe. On observe par ailleurs un glissement de l’encadrement des systèmes d’élevages par des normes réglementaires vers des normes établies par des chartes professionnelles. Celles-ci laissant espérer une plus-value à l’éleveur », note Christine Roguet, avant d’ajouter, « le bien-être animal doit être une démarche graduelle ».
Aux Pays-Bas, une démarche « Beter Leven » a été créée en 2007 et repose sur la mise en place d’un label bien-être qui identifie le bien-être animal à l’aide d’étoiles – d’une à trois étoiles sur l’emballage, sachant que plus il y a d’étoiles plus la viande est de qualité. « Cette démarche touche différentes filières, dont celle du veau, et concerne en 2016, 26 millions de têtes commercialisées (dont 250 000 veaux), 1 600 exploitations agricoles, 300 opérateurs et 18 enseignes de distribution », présente Bert Van den Berg, responsable de projet pour une ONG néerlandaise de protection animale. Au Canada, la question du bien-être est également très présente. « Même s’il n’y a pas réellement de réglementation, la pression des anti-viandes est très forte. On avance petit à petit entre éleveurs, en l’absence de soutien des pouvoirs publics », constate Fabien Fontaine, éleveur québecois de veaux de lait et de grains (25 000 places).
« Restons dans le raisonnable et dans l’économiquement rentable », a par ailleurs souligné Marc Butruille, vice-président d’Interbev veaux. « Lorsque l’on aborde ces sujets sociétaux, il ne faut pas occulter le bien-être de l’éleveur et ce, d’autant plus dans une filière où il est déjà difficile de recruter de nouveaux exploitants », a rappelé Alexandre Merle.
La consommation de viande de veau s’érode depuis quelques années. Trois raisons semblent se détacher : la crise économique qui conduit le consommateur à privilégier des protéines moins chères, l’insuffisante présence à l’esprit de la viande de veau et l’évolution du comportement du consommateur (moins de temps consacré à manger et à la confection des repas). Selon Thibaut de Saint Pol, sociologue, « les consommateurs font des arbitrages que la filière doit s’approprier : les valeurs, les pratiques et les coutumes ». Aussi, pour y remédier, la filière doit travailler sur de nouvelles formes de présentation dans les points de vente, en « ré-enchantant la zone marché », note Olivier Dauvers, expert grande distribution, et en proposant des produits adaptés aux attentes de rapidité et de praticité des consommateurs. Pour les séduire, l’accent doit être mis sur les qualités nutritionnelles de la viande de veau, au vu de préoccupations santé de plus en plus prégnantes. « La viande de veau a toute sa place dans un régime alimentaire sain et équilibré. Elle apporte tous les nutriments essentiels (fer, protéines, minéraux et vitamine B12) », rappelle Nathalie Hutter Lardeau, nutritionniste. Il est nécessaire de rassurer le consommateur dans ses choix et de le convaincre des qualités gustatives de la viande qu’il achète et des conditions d’élevage des veaux. « Le consommateur de viande sous signe de qualité recherche cinq piliers : qualité supérieure, environnement, bien-être, proximité et équité. D’autre part, il veut être rassuré sur la qualité du produit et sur le fait que la valeur revient aux producteurs », Pierre Cabrit, Fil Rouge.
« Face à ce phénomène de déconsommation, l’export peut également apparaître comme une solution, même si la filière a été jusqu’alors peu tournée vers le commerce international. Des marchés s’ouvrent — Japon, États-Unis… — des opportunités avec », souligne Lara Messie, directrice Unité business du groupe Giraudi