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Mortellaro : quand la dermatite digitale s’attaque aux taurillons

Des problèmes de dermatite digitale (ou maladie de Mortellaro) apparus dans des ateliers d’engraissement ont conduit, en novembre 2019, au lancement d’une action collective dans l’Aisne. Le point sur la situation.

Dans le cadre d’un groupe de travail engraisseurs spécialisés de l’Aisne et de la Somme (29 ateliers soit 7 600 taurillons par an), de la dermatite digitale (ou maladie de Mortellaro) a été identifiée sur les taurillons. « Cette maladie pose de plus en plus de problèmes dans les ateliers d’engraissement. Pour les élevages atteints, les répercussions peuvent être importantes, tant sur le bien-être des animaux concernés que sur la productivité des troupeaux (diminution des performances zootechniques, surcharge de travail, coût de traitement) ou encore sur le moral des éleveurs », souligne Christian Guibier, conseiller équipe élevage de la chambre d’agriculture de l’Aisne. Et de poursuivre : « Pour un engraisseur, le coût de la maladie est élevé entre la perte de croissance, la dépréciation des carcasses en raison de leur vente anticipée à 550-600 kilos vifs, voire la mort de l’animal. Dans les élevages où la dermatite est très présente, on peut atteindre 18 à 20 % des animaux vendus à moins de 400 kg carcasse. L’incidence économique est donc certaine et n’est pas non plus à négliger chez les naisseurs, avec l’apparition de problèmes de reproduction en lien avec les boiteries. »

Outre le facteur économique, l’incidence psychologique est également très lourde. « Face à cette maladie, on se trouve dépourvus. Le surcroît de travail est énorme. On n’en voit pas l’issue », témoigne anonymement un naisseur-engraisseur. « Chaque matin, j’appréhende de trouver de nouveaux taurillons incapables de se lever. J’envisage l’arrêt de l’atelier jeunes bovins », indique un autre éleveur.

Identifier les pratiques applicables en jeunes bovins

Dans les ateliers de jeunes bovins, il existe peu de recul sur les facteurs favorisants, les traitements possibles, leur efficacité… C’est pourquoi la chambre d’agriculture de l’Aisne, en partenariat avec l’Institut de l’élevage, le GDS de l’Aisne et le SCEA de Vauxbuin (1), a mis en place en novembre 2019 et pour une durée de trois ans, une initiative afin de mieux comprendre le développement de la dermatite dans les ateliers d’engraissement de jeunes bovins et d’en améliorer le contrôle. Ce projet se déroule en deux phases. « La première vise à réaliser un état des lieux, à décrire les lésions présentes et à identifier les potentiels facteurs de risque dans les ateliers d’engraissement inclus (prévention sanitaire, conduite alimentaire, type de logement, densité, paillage, raclage, curage). La seconde a pour but d’évaluer l’efficacité de mesures de contrôle pour lutter contre la dermatite digitale et voir celles qui seront acceptables dans leur mise en œuvre. Les moyens de maîtrise en élevages laitiers ne sont pas forcément tous transposables en engraissement », explique Aurore Duvauchelle-Waché, vétérinaire à l’Institut de l’élevage.

L’action doit être collective

« Après un an de recul, on constate une meilleure sensibilisation des éleveurs qui ont davantage recours à un pédicure pour vérifier les pieds des animaux qui boitent », observe Christian Guibier, avant d’ajouter : « Face à cette problématique, seule une action collective de l’ensemble des professionnels, naisseurs, engraisseurs, OPC, vétérinaires, pédicures, sélectionneurs, stations d’évaluation… permettra une gestion efficace de la dermatite digitale. Ce n’est pas juste un problème d’engraisseurs. Toute la filière est concernée. »

(1) Cette action bénéficie du soutien financier du Conseil régional des Hauts-de-France et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Un cinquième des animaux touchés

Huit élevages ont été inclus dans ce programme. Dans chaque exploitation, un à trois lots de 20 à 50 bovins ont été sélectionnés. « Trois visites, effectuées par un pareur, doivent être réalisées tout au long de la phase d’engraissement (à l’arrivée, à 4-5 mois et avant l’abattage). Six élevages ont d’ores et déjà été audités trois fois », résume Aurore Duvauchelle-Waché. Aucune lésion n’a été détectée à l’arrivée des 283 broutards suivis. Après 4 à 5 mois d’engraissement, « sur les 272 taurillons réexaminés, 58 d’entre eux dans six élevages ont présenté des cas de dermatite, soit 21,3 % d’animaux atteints. Des différences, en termes d’atteintes et d’importance entre lots et élevages, ont également été constatées. »

De nombreuses lésions dorsales sur les antérieurs

Pour l’instant, même si aucune corrélation entre présence de lésions et boiteries n’a été mise en évidence, il reste essentiel d’observer les pieds des animaux. « On a pu remarquer que les postérieurs et les antérieurs sont atteints dans les mêmes proportions et que, contrairement aux élevages laitiers, on a rencontré de nombreux cas de lésions en face dorsale (à ce stade de l’étude, 40 % des lésions étaient présentes sur la face dorsale des antérieurs, c’est-à-dire sur le dessus du pied). Ce résultat doit donc inciter les éleveurs à regarder les pieds de leurs jeunes bovins lorsqu’ils circulent dans les parcs ou s’alimentent, ce qui permet déjà une première observation », souligne la vétérinaire.

Par ailleurs, parmi l’ensemble des animaux atteints, peu de cas de panaris ont été identifiés.

Avis d’expert : Ioan-Emmanuel Dod, pédicure bovin au sein d’un cabinet vétérinaire de la Somme

« Une maladie que l’on achète »

Quelle évolution de la dermatite digitale dans les élevages que vous suivez ?

J’exerce depuis une dizaine d’années en tant que pédicure et j’observe un développement en flèche de la dermatite dans les troupeaux de vaches allaitantes depuis cinq à six ans. La contamination a commencé dans les élevages mixtes lait-viande. Les engraisseurs sont très concernés depuis deux ans. Certes, la dermatite digitale ne représente pas la principale cause de boiteries dans les élevages allaitants que je suis mais c’est de loin la plus difficile à gérer. Il y a cinq à six ans, j’intervenais principalement en élevages laitiers. Aujourd’hui, ma clientèle est composée pour moitié de troupeaux laitiers et pour l’autre d’allaitants, en raison de la dermatite, principalement.

Comment intervenez-vous dans les élevages ?

Quand un éleveur appelle pour une boiterie, on essaie d’intervenir dans les trois jours suivants, on ne la laisse pas traîner. Une boiterie, même légère, reste une urgence ! J’agis désormais soit en systématique sur l’ensemble du troupeau, soit et c’est le cas le plus souvent sur des lots d’animaux.
Le diagnostic repose sur l’inspection des pieds et la reconnaissance des lésions. Il est donc indispensable pour arrêter la flambée, de lever les pieds et de réaliser un parage fonctionnel. La prévention et le contrôle de la dermatite digitale doivent nécessairement reposer sur la mise en place de mesures spécifiques et adaptées à chaque élevage. Il n’existe pas de solution miracle mais une détection et un traitement précoces sont primordiaux. Une intervention rapide et individuelle augmente les chances de guérison à moindre coût et limite la propagation de la maladie. La difficulté est d’autant plus grande en jeunes bovins que la détection et la prise en charge médicale sont bien plus délicates qu’en élevages laitiers. À chaque ferme, son conseil.
Pour empêcher les contaminations en élevages, le pareur se doit également d’arriver avec une tenue propre et du matériel lavé et désinfecté pour chaque exploitation.

Quels conseils donneriez-vous aux éleveurs pour limiter sa propagation ?

La dermatite digitale est généralement introduite dans un élevage à l’occasion de l’achat d’une bête infectée, puis se propage par contacts de proximité entre animaux. D’où l’importance, en élevages allaitants, de réaliser un examen des pieds lors d’acquisitions et ce, d’autant plus si ces dernières concernent un taureau de monte naturelle. Ce devrait être impératif, au même titre que la prise de sang obligatoire ! Dès qu’un éleveur détecte une boiterie, je recommande d’isoler l’animal et si la dermatite est en cause, je conseille l’élimination de l’animal en cause car le coût de la maladie sera, quelle que soit la valeur de l’animal, bien plus élevé. En cas de contamination du site, tout un protocole adapté à l’élevage est mis en place. Un mois et demi avant la période de saillie, il faut remettre les pieds de ses taureaux de monte naturelle en état. Les taureaux doivent être vérifiés tous les ans.

 

Lire aussi : Dermatite digitale des bovins "une maladie sournoise et accablante"

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