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Races à très petit effectif
« Nous avons maintenu la quantité et la diversité » affirme L. Avon de l´Institut de l´élevage

Ingénieur à l´Institut de l´élevage, Laurent Avon est chargé de la mise en place et du suivi des programmes de conservation des races bovines françaises à petit effectif. Tour d´horizon.


Quand a-t-on commencé à se soucier de la disparition de certaines races bovines françaises ?
Laurent Avon - Cette prise de conscience a démarré au tout début des années soixante-dix, mais il a fallu attendre 1976 pour que des mesures effectives émanant essentiellement du ministère de l´Agriculture voient le jour. Après la guerre, il y a eu une volonté de réduire le nombre de races. On pensait que certaines d´entre elles étaient attachées à une agriculture du passé et qu´il ne fallait pas disperser les efforts. L´avènement des programmes de sélection basés sur la génétique quantitative incitaient à sélectionner les seules races à effectifs importants. On a alors encouragé la fusion de certaines d´entre elles dont les caractéristiques morphologiques semblaient assez proches (cas de la Garonnaise, de la Blonde des Pyrénées et de la Quercy qui ont fusionné en 1962 pour donner la Blonde d´Aquitaine) et certains souhaitaient aussi que celles ayant les effectifs les plus réduits cessent tout simplement d´exister.
Les restrictions les plus importantes sont intervenues au niveau de la réglementation de la monte naturelle publique, avant-guerre, puis après guerre quand s´est développé l´insémination, pour l´accès à cette technique. Les éleveurs de ces races n´avaient alors pas la possibilité d´utiliser l´IA sur leur cheptel ou alors seulement en croisement avec des races numériquement plus importantes les conduisant ainsi inéluctablement vers une disparition programmée.
Comment s´est organisée la sauvegarde de ces races ?
L. A. - A partir de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, il a d´abord fallu prospecter sur le terrain pour faire l´inventaire des animaux encore existants. Pour permettre de sauvegarder ces races il fallait surtout que les animaux soient localisés, expertisés et identifiés en cherchant à connaître leur origine.
Dans beaucoup d´élevages, la difficulté pour arriver à maintenir ces races vierges de tout croisement a aussi été le manque de taureaux disponibles. Compte-tenu de la raréfaction du nombre de détenteurs pour une race donnée, les liens entre éleveurs possesseurs de ces animaux s´étaient distendus à tel point que beaucoup ne savaient plus où aller chercher des taureaux pour perpétuer leurs élevages sans avoir recours à la consanguinité. D´où l´importance de pouvoir proposer rapidement un certain nombre de taureaux à l´IA.

Comment reconstituer un cheptel viable avec un nombre initial d´animaux très réduit ?
L. A. - La chance de ces races a été d´avoir des animaux susceptibles de conserver leurs facultés de reproduction jusqu´à un âge avancé. Si on prend l´exemple de la Ferrandaise, quand en 1978 on inventoriait une vache de vingt ans, cela voulait dire qu´elle était née à l´époque où il y avait encore plusieurs milliers de Ferrandaises en Auvergne. Nous avons travaillé sur un échantillon de cheptel qui était le reflet de ce qu´avait été la race au début des années soixante. De plus, si une vache est conservée jusqu´à 15 ou 20 ans dans un élevage, c´est qu´elle a forcément certaines qualités ! On est donc reparti sur des bases saines, mais le renouvellement des animaux devant permettre le redémarrage a été long car ces bêtes âgées étaient quand même au bout du rouleau. Avec les taureaux qui restaient ou que l´on eu le temps de prélever, on a pu mettre en place de nouveaux géniteurs. Mais beaucoup de ces vieilles vaches ne fécondaient plus, ou mal. Au cours des années quatre-vingt, il a fallu rajeunir les effectifs avant de prétendre les faire croître au cours des années quatre-vingt-dix.
Dans le même temps, les éleveurs qui avaient maintenu ces animaux sont eux-mêmes devenus retraités. Heureusement, on a eu la chance de trouver de jeunes éleveurs intéressés par ces races qui ont pris le relais.
Le but de ces programmes n´est pas de faire augmenter les effectifs à tout prix. Une race peut se maintenir avec peu d´animaux. L´important est simplement que chaque race fonctionne, qu´il y ait une bonne diversité interne et que les éleveurs intéressés n´aient pas de difficultés techniques pour les faire reproduire.

Y-a-t-il un nombre critique de vaches à partir duquel une race est condamnée à brève échéance ?
L. A. - C´est davantage le nombre de taureaux disponibles qui est un facteur limitant. Quand il y a consanguinité, le problème vient souvent du sexe le moins bien représenté. Si on a un nombre de taureaux suffisant, on peut repartir même avec un nombre de femelles assez faible s´il s´agit d´animaux de bonne qualité. Il est plus facile de faire redémarrer une race avec 30 bonnes vaches non apparentées qu´avec 300 médiocres et toutes plus ou moins cousines. Lorsque l´on rentre à l´IA plusieurs souches assez indépendantes les unes des autres et issues de mères de bonne qualité, on casse le processus de dégénérescence qui pourrait apparaître du fait d´un nombre insuffisant de reproducteurs.
Prélever différents taureaux pour l´IA est donc essentiel à la sauvegarde. Comment choisissez-vous ?
L. A. - Le choix de chaque animal doit se raisonner par rapport à ses qualités propres (origine, morphologie.) et à celles de sa mère et de son père, mais il faut aussi le raisonner par rapport aux autres taureaux déjà en stock. On essaie d´avoir un nombre d´animaux disponibles suffisant sans pour autant que certaines origines soient surreprésentées par rapport à d´autres. Dans des races où le renouvellement des taureaux est particulièrement difficile tant en raison des incertitudes financières inhérentes à ce type de programme qu´aux difficultés de choix des mères à taureaux possibles liées à la faiblesse de l´échantillon, il est utile que les stocks de semences utilisables donc les paillettes tendent à s´accumuler dans les cuves. Mais comme il n´y a pas de progrès génétique directement mesurable, on n´a pas intérêt à forcément remplacer un taureau par un autre. Si on dit que l´on veut remplacer un père par son fils et que l´on n´est pas certain que ce dernier soit meilleur que le premier puisque l´on n´a pas les moyens objectifs de le mesurer, alors autant faire que le père et le fils restent tous les deux à la disposition des éleveurs.
Une fois ces races remises sur pied, y-a-t-il inventaire régulier des animaux existants ?
L. A. - Bien entendu. C´est d´ailleurs un travail assez lourd dans la mesure où pour ces races, il y a trop peu d´éleveurs qui utilisent le contrôle de performances, voire l´Etat-civil. Mais cela fait partie du rôle d´animation. Il faut que les éleveurs se sentent suivis. Pour plusieurs races, je réalise donc un registre des éleveurs avec leurs coordonnées et la liste des animaux présents dans chaque élevage. On envoie ensuite ce document à tous les éleveurs détenant des animaux de la race concernée. Il faut faire circuler l´information entre les élevages. C´est cette absence de contact qui a longtemps été pénalisante. Les gens ne se connaissaient plus. Quand les éleveurs ont besoin de changer un taureau, il faut qu´ils sachent à quelle porte frapper pour trouver l´animal dont les caractéristiques et l´origine sont susceptibles de bien se marier avec leur cheptel. C´est un service très apprécié. Ce type de document vise aussi à corriger le fait que nous n´avons pas assez le temps d´aller sur le terrain.
Au sein de l´UE, la France est-elle privilégiée pour ce qui est du nombre de races maintenues ?
L. A. - Dans l´immédiat après guerre, cette idée qu´il fallait absolument réduire le nombre de races a été plus ou moins appliqué un peu partout en Europe. Par exemple en Allemagne - pays peut-être plus discipliné - beaucoup de races ont effectivement disparu à l´inverse de l´Espagne où beaucoup ont été sauvegardées. Cette diversité ne s´est maintenue que dans quelques pays : Italie, Espagne, Portugal, Grande-Bretagne et France. A ce propos, il y a probablement davantage de races différentes en Espagne qu´en France, mais elles sont moins différentes les unes par rapport aux autres comparativement à ce que nous avons chez nous où nous avons conservé tant la quantité que la diversité avec une trentaine de races autochtones dont une quinzaine ont frôlé la disparition.
Dans l´Union européenne, il y a environ 200 races bovines, mais l´adhésion des dix nouveaux Etats membres n´a pas apporté beaucoup de diversité. Il y a eu dans ces pays le rouleau compresseur du communisme et la mise en place des kolkhozes qui avait imposé tel ou tel type de race réduisant ainsi considérablement la diversité de l´espèce bovine. Ils n´ont d´ailleurs plus de race à viande spécialisée. A tel point que maintenant lorsqu´ils cherchent à développer un cheptel allaitant, ils viennent chercher des animaux chez nous ! A l´inverse, en France nous n´avons pas cherché à introduire de nouvelles races depuis longtemps. En dehors de la Holstein, l´essentiel de notre cheptel bovin est issu de races forgées de longue date sur notre territoire.

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