Alimentation
"Les bovins allaitants ont des besoins en minéraux à ne pas négliger"
Après 25 ans de recherche à l’Inra, François Meschy, spécialiste des minéraux et oligo-éléments nous fait part de son expérience qu’il nous livre à l’occasion de la parution de son ouvrage consacré à la nutrition minérale des ruminants.
Vous venez de publier un ouvrage sur la nutrition minérale des ruminants. Pourquoi ce livre ?
François Meschy - Plusieurs constats ont incité sa rédaction. L’alimentation minérale est un thème rarement approfondi dans la formation agricole au sens large, mais reste un enjeu important dans les élevages. Il n’est d’ailleurs pas toujours facile de faire la part des choses entre ce qui est scientifiquement avéré et ce que les éleveurs peuvent parfois entendre sur le terrain. L’idée du livre est de donner des clés (de lecture) pour y parvenir et tordre le cou à certaines idées reçues. Il existe d’autre part peu d’informations objectives et actualisées en langue française sur le sujet. En 1978, le « livre rouge » de l’Inra traitait de la nutrition minérale mais l’information se trouvait dispersée dans une dizaine de chapitres. Plus récemment, la révision des recommandations d’apport en phosphore, magnésium et calcium a donné lieu à d’autres publications mais assez dispersées. D’où l’intérêt de synthétiser et de rassembler tous ces éléments dans un seul ouvrage.
Quels messages souhaitez-vous faire passer aux éleveurs allaitants ?
F.M. - Les troupeaux allaitants ne sont pas particulièrement « gâtés » au plan minéral ; cette catégorie de ruminants a aussi des besoins minéraux, et en général des rations qui ne permettent pas de les satisfaire. Par rapport aux vaches laitières, ces besoins sont relativement modestes en quantité, mais il n’en est pas pour autant moins important de les couvrir. Les allaitantes ingèrent beaucoup moins de matière sèche, et ont donc moins d’apports par les aliments. D’autre part, les teneurs en minéraux des fourrages publiés par l’Inra en 2007 ont été très largement revues à la baisse par rapport à l’édition précédente. Plusieurs explications sont avancées : une « dilution » avec les augmentations de rendement, l’effet de la sélection génétique des espèces fourragères qui se fait avant tout sur la matière organique et donc au détriment de la teneur minérale, peut être aussi une baisse de la fertilisation phosphatée. Les teneurs en calcium diminuent de 30 % en moyenne, et celles en oligo-éléments de 20 à 25 %. Il est important de tenir compte de ces nouvelles données pour bien calculer les apports. Si on utilise les anciennes tables, on peut se tromper de beaucoup.
Quels sont les minéraux les moins bien pris en compte dans le rationnement des troupeaux allaitants ?
F. M. - Je souhaite attirer l’attention en particulier sur l’apport de cobalt, de sélénium et d’iode. Ces oligo-éléments jouent un rôle central dans le fonctionnement de l’élevage allaitant. Le cobalt est très important pour l’activité cellulolytique dans le rumen et les fourrages en sont largement carencés. Le sélénium a un rôle déterminant au moment du peripartum (mammites, métrite, non-délivrance, kystes ovariens…) et ainsi sur les retours en chaleur. L’iode, très peu présent dans les fourrages, est très important pour la vitalité des veaux et leur démarrage. Y a-t-il une catégorie d’animaux particulièrement sensible ? F. M. - La couverture des besoins des génisses allaitantes ne doit surtout pas être négligée et leurs besoins sont importants. Elles doivent en effet fabriquer un squelette convenablement minéralisé, d’abord pour être solide, et ensuite pour pouvoir puiser dans ces réserves osseuses en début de lactation si l’alimentation n’est pas suffisante. Ramenés au kilo de matière sèche ingérée, les besoins des génisses (charolaises) en croissance sont équivalents à ceux d’une vache adulte pour le calcium absorbable (2,4), et supérieurs pour le phosphore absorbable (1,9 contre 1,6).
Que penser des bolus ?
F. M. - Les bolus conviennent bien aux animaux aux besoins modérés et aux apports d’oligo-éléments. Par contre, il est illusoire de miser dessus pour couvrir les besoins en phosphore, calcium et même en magnésium. En termes de qualité, tous les bolus ne se valent pas. Pour qu’un bolus soit efficace, il doit rester dans le rumen et assurer un relargage effectif des éléments qu’il contient pour une durée suffisante. Il existe différents procédés de fabrication, mais l’évaluation de la qualité est délicate faute de données objectives. C’est une voie probablement intéressante pour les troupeaux allaitants au pâturage.
L’une des originalités de votre livre est de consacrer un chapitre au rôle des minéraux dans le rumen. Est-ce un point essentiel ?
F. M. - De la même manière que les bactéries du rumen ont besoin d’azote pour leur métabolisme, elles requièrent des éléments minéraux, en particulier phosphore, soufre et cobalt. On n’imagine pas que le besoin des bactéries en phosphore représente deux fois et demi le besoin d’entretien d’une vache ! La particularité, c’est que les bactéries peuvent uniquement utiliser le phosphore soluble. Or, seule une petite partie du phosphore provenant de l’alimentation est solubilisée dans le rumen, et elle ne suffit pas à couvrir le besoin des bactéries. En fait, chez le ruminant, l’essentiel du besoin en phosphore des bactéries (60 à 75 %) est couvert par le recyclage salivaire par l’intermédiaire d’un important flux de phosphore soluble qui remonte du sang vers la salive. D’où l’intérêt d’assurer une bonne rumination avec un régime riche en fibres, une teneur en concentrés pas trop élevée, et de limiter tout autre facteur favorisant l’acidose ruminale.
Vous abordez également le thème de l’équilibre électrolytique alimentaire. Pourquoi s’y intéresser ?
F. M. - De récents travaux de recherche sur les minéraux portent sur l’équilibre électrolytique, notamment pour mieux prévenir l’acidose métabolique. Le maintien de l’équilibre acido-basique au niveau sanguin est primordial. Il repose sur la nature des aliments que les animaux ingèrent. Or, tous les aliments ne présentent pas le même pouvoir acidogène au niveau du sang. Celui-ci est estimé à travers le bilan alimentaire cations-anions (Baca = sodium + potassium - chlore - soufre) qui participe directement à la régulation du pH sanguin. Plus ce bilan est faible, plus la ration est acidogène. Par ailleurs, le bilan électrolytique trouve également une application dans la gestion du stress thermique, dès 25 °C chez les ruminants. Les bovins perdent en effet d’importantes quantités d’électrolytes (sodium, potassium) lors des grosses chaleurs. Le maintien d’un Baca élevé permet de compenser la réduction du pH sanguin. On sait que le bilan électrolytique influe sur les performances des jeunes bovins en engraissement notamment, par le biais de l’optimisation de l’ingestion. Le travail aujourd’hui vise à pouvoir préciser les recommandations alimentaires et la valeur des aliments.
Vient de paraitre
« Nutrition minérale des ruminants » traite à la fois des minéraux majeurs et oligoéléments, mais pas de la nutrition vitaminique. Pour chaque élément sont abordés les fonctions au sein de l’organisme, les conséquences d’un apport insuffisant ou excessif, les apports journaliers recommandés et ceux réalisés par les principales catégories d’aliments. Des considérations pratiques sont aussi abordées. Prix : 32 €. Editions Quae Tél. 0130833406. http://www.quae.com