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Viande bovine polonaise
L’engraissement à la conquête des marchés européens et tiers

D’outsider, la Pologne est devenue en seulement quelques années le second exportateur européen de viande bovine se positionnant de manière croissante sur les marchés exports français. Où s’arrêtera-t-elle ? Zoom sur cette production.

L’agriculture est d’une importance majeure en Pologne. Très impactée par la chute du bloc communiste, elle a connu une nouvelle jeunesse après son adhésion en 2004 à l’UE, résultat d’une volonté gouvernementale jamais démentie mais aussi d’aides européennes massives. Si la production laitière occupe une place essentielle, derrière les céréales et devant la volaille, la Pologne est également devenue un acteur européen majeur dans le secteur de la viande bovine. « Avec un troupeau laitier conséquent (3e cheptel européen), elle détient un important vivier de veaux toujours plus nombreux à être engraissés en jeunes bovins d’où une progression fulgurante de la production polonaise de viande bovine sur la dernière décennie », note l’étude de l’Institut de l’élevage portant sur les filières viande bovine et laitière de la Pologne et ses perspectives à l’horizon 2020.

Le nombre de mâles d’un à deux ans a doublé depuis 2003 pour atteindre 757 000 têtes, fin 2015. Ce développement s’est traduit par une forte augmentation des abattages de bovins mâles (+ 91 % en 2015 par rapport à 2005, soit 263 000 tonnes équivalent carcasse) et par une chute importante des exportations de bovins maigres : « celles de petits veaux sont tombées de 710 000 têtes en 2004 à 120 000 têtes en 2015, celles de broutards sont passées de 72 000 têtes à 13 000 têtes. Les abattages de femelles, quant à eux, oscillent au gré des contraintes, liées au secteur laitier. Aujourd’hui, la dynamique de développement est moins forte mais reste alimentée par la reconversion de petits éleveurs laitiers (moins de 20 vaches). La prime annuelle de 70 €/bovin, limitée à 30 têtes, ne semble pas être le moteur principal du développement de l’engraissement. »

Un agrandissement des ateliers limité

Le fort attachement à la terre des agriculteurs polonais, résultant de l’histoire mouvementée de ce pays convoité par ses voisins, limite l’agrandissement des exploitations. En 2013, 91 % des exploitations avaient moins de 50 bovins de un à deux ans et détenaient 74 % des mâles de un à deux ans. Les systèmes d’engraissement incluent généralement le sevrage car si le veau n’est pas gardé sur l’exploitation laitière pour y être engraissé, il est vendu à une ou deux semaines. Pendant deux mois et demi à trois mois, l’alimentation est lactée avec une phase d’adaptation à l’alimentation solide. Les jeunes bovins reçoivent quant à eux une alimentation à base d’ensilage de maïs et de céréales, pour être vendus entre 18 et 24 mois, à un poids oscillant entre 600 et 700 kilos vif selon la race, Holstein ou croisés.

« Certains engraisseurs se fournissent en broutards de huit mois, mais de façon marginale compte tenu du faible nombre de vaches allaitantes. Elles sont en effet encore minoritaires même si leur nombre a augmenté de 53 % en 17 ans pour compter fin 2015 169 000 vaches. On les trouve majoritairement dans l’Ouest, où de grandes exploitations ont pu se développer. Les régions du Sud, pourvoyeuses de veaux de bons gabarits pour les ateliers d’engraissement du centre du pays, pourraient à terme devenir des régions allaitantes », poursuit l’Institut de l’élevage.

De nombreux intermédiaires pour la mise en marché

L’objectif de l’association des engraisseurs est de développer la production de bovins croisés, très recherchés. Une initiative a été conduite en ce sens et a satisfait laitiers et engraisseurs. Toutefois, elle n’a concerné qu’un petit nombre d’éleveurs, et la spécialisation laitière tout comme l’arrêt des petits producteurs, les plus enclins à croiser a réduit le taux de croisement ces dernières années. En revanche, l’engraissement de génisses croisées se développe afin de servir le débouché italien.

« Autre fait marquant, la multitude d’intermédiaires existants pour approvisionner les abattoirs et qui empocheraient une part substantielle de la valeur ajoutée. Des organisations de producteurs se sont ainsi mises en place pour réduire le poids des intermédiaires. La création d’un marché au bétail est également en projet. »

Entièrement privée, l’industrie de l’abattage-découpe reste un secteur peu concentré, 262 établissements étaient encore dénombrés en 2015. Les abattoirs traditionnellement mixtes bœuf et porc, tendent pour les plus importants à spécialiser leurs sites afin de faciliter l’export vers les pays tiers non consommateurs de porc. « La viande bovine, relativement marginale avant l’adhésion de la Pologne à l’UE représente aujourd’hui plus de 30 % du chiffre d’affaires de ce secteur. Par ailleurs, le recours aux aides européennes et/ou les investissements de grands groupes étrangers ont enclenché une dynamique de restructuration et de profonde modernisation des outils d’abattage/découpe. Plus de trois milliards d’euros ont été investis en 12 ans dans ce secteur. Avec une main-d’œuvre quatre fois moins chère qu’en France, les abattoirs polonais proposent aujourd’hui une viande au rapport qualité-prix imbattable en Europe. La Pologne s’imposant ainsi comme le fournisseur low cost de la viande bovine sur le marché européen », note l’Institut de l’élevage.

Développement rapide des exportations et de la qualité

Les volumes exportés ont plus que quintuplé depuis 2004 pour totaliser 430 000 téc en 2015, du fait d’une hausse considérable des disponibilités exportables (élévation de la production et réduction de la consommation intérieure). « Les ventes se sont tout d’abord développées vers l’Europe de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne. Puis, à partir de 2010, les flux vers les pays tiers se sont intensifiés, notamment en raison de l’ouverture du marché turc et vers Israël, dans une moindre mesure. L’interdiction de l’abattage rituel en janvier 2013 a mis un coup d’arrêt à ces flux pendant deux ans, avant sa levée en janvier 2015. »

Le bas prix de la viande bovine polonaise lui a permis de percer de façon significative sur tous les marchés exports de la France, en particulier en Italie où la crise économique a conduit à une descente en gamme de la demande. Avec 82 000 téc expédiées en 2015, l’Italie est le premier client de la Pologne, devant l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. L’Espagne, le Royaume-Uni, la Suède et la Grèce sont des acheteurs secondaires, mais néanmoins en croissance.

« Bien que plébiscitée pour son prix, la viande polonaise était au départ décriée pour sa dureté, conséquence notamment de l’absence de maturation en abattoir. Toutefois, en moins de cinq ans, les abattoirs ont réalisé d’énormes progrès technologiques qui ont amélioré la tendreté des viandes, leur couleur et le gras selon les attentes des importateurs. Les opérateurs italiens reconnaissaient ce changement. Le travail sur la qualité se poursuit, avec des projets comme l’analyse prédictive de la qualité de la viande, sur le modèle australien MSA. Un label QMP (Quality Meat Program) a vu le jour en 2008. Il impose des règles strictes en termes de races, bien-être animal, alimentation, transport des animaux et abattage. »

Des visées expansionnistes amenées à se stabiliser

Le principal facteur pouvant freiner la poursuite du développement de l’engraissement de jeunes bovins en Pologne sera la disponibilité en veaux et en broutards, du fait du repli du cheptel laitier (- 225 000 veaux en 2020). La progression des importations de veaux maigres en provenance des pays voisins devrait continuer, mais elle sera limitée par la baisse des naissances également à l’œuvre. « La production polonaise de viande bovine devrait donc cesser d’augmenter avant 2020. Les abattages de mâles non castrés plafonneraient à 900 000 têtes, ceux des génisses à 250 000 têtes. Au total, la production polonaise de viande de gros bovins atteindrait 476 000 téc en 2020, un niveau équivalent à celui de 2015, en légère baisse par rapport à 2016 », prédit l’Institut de l’élevage.

Source : Dossier Economie de l’élevage réalisé par le département économie de l’Institut de l’élevage : « Pologne, le jeune bovin conquérant ». Tarif : 18 €. www.idele.fr
Un prix mais aujourd’hui une qualité aussi

Des conditions naturelles peu favorables

Les trois quarts du territoire se situent en plaine. Au Nord, la mer Baltique et au Sud deux chaînes de montagne, constituent les frontières naturelles. Le climat de type continental marqué, se traduit par des hivers rigoureux et longs, des étés secs et chauds qui accentuent le caractère fluctuant des productions agricoles. Les inondations sont fréquentes en fonction des saisons et des régions. La Pologne occupe la cinquième place en termes de surfaces agricoles utilisées, au sein de l’Union européenne à 28. La qualité des sols est généralement faible. Les terres arables, principalement occupées par les cultures céréalières représentent 75 % de la SAU. Les prairies permanentes et pâturages 22 %.

Caroline Monniot, département économie de l’Institut de l’élevage

« Un jeune bovin toujours conquérant malgré la diminution du nombre de veaux disponibles »

Rien ne prédestinait la Pologne à devenir un acteur majeur du marché de la viande bovine européenne. Comment peut-on l’expliquer ?
Caroline Monniot - « Cette étude, réalisée avec Sébastien Bouyssière, nous a permis de comprendre les dessous de cette dynamique. L’entrée dans l’Union européenne de la Pologne a tout d’abord créé des flux de petits veaux laitiers exportés principalement vers les Pays-Bas. Puis certains éleveurs laitiers, contraints par les quotas, se sont lancés dans l’engraissement, ce qui a permis à la Pologne de ramener progressivement de la valeur ajoutée chez elle. Le débouché italien et l’ouverture de la Turquie en 2010 ont dopé les prix des animaux finis, motivant les mises en place et les créations d’ateliers, y compris chez des céréaliers. La crise laitière a donné un nouveau coup de pouce : les éleveurs ont cherché un complément de revenu soit en engraissant leurs veaux, soit en arrêtant le lait et en montant un atelier d’engraissement pour valoriser leurs bâtiments existants. On trouve ainsi des mâles à l’engraissement dans toute la Pologne. En parallèle, les polonais développent un cheptel de mères allaitantes. Cependant, dans ce domaine, ils partent de zéro et l’attachement à la terre dont ils font preuve limite la taille des exploitations ce qui n’est pas propice à un développement rapide. »
Malgré la réduction du nombre de veaux laitiers disponibles et la lente constitution d’un troupeau allaitant, la Pologne restera-t-elle un acteur majeur européen de la viande bovine ?
C. M. – « Même si la Pologne devrait stabiliser son volume de production après 2017, elle restera un acteur majeur de la filière viande. De nombreux éleveurs ont investi dans des bâtiments et la viande bovine représente désormais 30 % du chiffre d’affaires des abatteurs dont les outils seraient en forte surcapacité. De plus, elle a de l’avenir avec les exportations vers le marché méditerranéen et notamment vers Israël et la Turquie. Enfin, la consommation intérieure de viande bovine devrait rester basse, n’étant pas dans les traditions culinaires et les prix du bœuf au détail s’étant envolé. »
Existe-t-il des opportunités d’export de broutards français ?
C. M. – « Pour compenser la baisse des veaux laitiers et pour approvisionner l’activité d’engraissement, les importations polonaises de veaux maigres devraient se poursuivre mais seront limitées par la baisse des disponibilités dans les pays voisins. Les importations de broutards, français et irlandais, ne sont donc pas à exclure non plus mais resteraient marginales. Par contre, je ne sais dire si cela est une bonne chose ou non. Peut-être viendront-ils directement nous concurrencer sur nos marchés ensuite. La bonne nouvelle toutefois : le coût de production devrait augmenter (augmentation du coût de la main-d’œuvre), donc l’avantage concurrentiel se réduire. Cependant, les Polonais l’ont compris et développent de la viande de qualité. Ils savent s’adapter rapidement pour fournir un marché, sont très à l’écoute du client et très sérieux. Seul point qui pourrait être un frein, le manque d’organisation au niveau de la filière et de transparence des abatteurs. »

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