La Fédération nationale bovine appelle l’Europe à éclaircir sa vision sur l’élevage allaitant de demain
Lors de l’assemblée générale de la Fédération nationale bovine, tenue les 1er et 2 février à Metz, le gouvernement français et, plus largement, la Commission européenne ont été invités à se positionner sur le modèle d’élevage qu’ils souhaitent défendre à l’horizon 2050.
Lors de l’assemblée générale de la Fédération nationale bovine, tenue les 1er et 2 février à Metz, le gouvernement français et, plus largement, la Commission européenne ont été invités à se positionner sur le modèle d’élevage qu’ils souhaitent défendre à l’horizon 2050.
Vers quel modèle d’élevage se dirige-t-on en Europe d’ici à 2050 ? Cette question a animé les débats lors d’une table ronde organisée au congrès de la Fédération nationale bovine (FNB), les 1er et 2 février 2023 à Metz, en Moselle. Bruno Dufayet, président de la FNB et porte-parole pour la France, et quatre autres représentants des éleveurs de différents États membres (Belgique, Irlande, Italie, Pologne), ont partagé à cette occasion leurs attentes, espoirs et craintes concernant l’avenir de l’élevage bovin.
Tous se disent attachés à un modèle familial, fondé sur le lien à l’herbe et le plus extensif possible. Ils sont également unanimes sur leur volonté de tendre vers un modèle toujours plus vertueux. Brigitte Misonne, cheffe d’unité à la direction générale de l’Agriculture, invitée à témoigner au nom de la Commission européenne, confirme que « le modèle que l’Union européenne (UE) souhaite promouvoir pour sa résilience et sa durabilité est un modèle vertueux. Il doit être bien intégré dans son territoire et en symbiose avec les communautés locales, respectueux de la biodiversité et à l’écoute des progrès techniques pour réduire son empreinte carbone. Ce sont ces garanties de pérennité qui vont nous permettre de justifier demain auprès des citoyens que l’élevage allaitant a toujours sa place et même une place noble dans notre société ».
Donner un cap clair et s'y tenir
« Vous nous donnez une définition allant bien dans le sens de ce qu’on prône au niveau de la filière française, mais quelles cohérences politiques derrière pour accompagner ce bel élevage ? », rétorque Bruno Dufayet. Car les éleveurs se disent prêts à s’adapter, mais à condition qu’au niveau national et européen, les décideurs et acteurs économiques les soutiennent dans ce sens. « Il serait honteux de perdre toute une génération d’éleveurs européens à cause de mauvais choix dans les politiques publiques. La durabilité des exploitations ne peut tenir sans son pilier économique », renchérit Brendan Golden, président de la section bovine à l’Irish Farmer’s Association (IFA).
Alors que la décapitalisation du cheptel allaitant est passée à la vitesse supérieure dans la plupart des pays européens producteurs de viande (lire l'encadré ci-dessous), la FNB demande que soit posée une définition claire de la durabilité des systèmes d’élevage, et que l’ensemble des politiques publiques soient ensuite gérées à cette aune. « Malgré nos alertes répétées, la fonte des cheptels est un engrenage qui s’amplifie et qui nous échappe à présent », indique Bruno Dufayet. Sans un cadrage clair et anticipé, ce dernier craint que les systèmes de production et de consommation futurs ne soient pas du tout ceux que l’Europe aurait aimé préserver.
Injonctions contradictoires
La révision de la Directive sur les émissions industrielles (IED), qui prévoit d’élargir son champ d’application aux élevages européens comptant plus de 150 unités de gros bétail, est un illustre exemple des injonctions contradictoires envoyées par Bruxelles. Des incohérences que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, présent au congrès, n’a pas de mal à reconnaître : « il faut déjà nous mettre d’accord à l’échelle européenne sur une seule agriculture. Et faire en sorte que les dispositions mises en place au travers des différents ministères de l’Agriculture ne soient pas contrecarrées ailleurs, dans les autres segments européens », rapporte-t-il. Cette future directive est « un dangereux amalgame et une méconnaissance des efforts faits par les agriculteurs. La surcontrainte est une très mauvaise direction pour encourager le renouvellement des générations », défend Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.
D’après le ministre de l’Agriculture, la France reste opposée au projet tel qu’il est posé sur la table, mais au niveau européen, « la question n’est pas d’avoir raison, mais de trouver des alliés pour défendre sa vision », complète Marc Fesneau. Pour ce dernier, la même logique s’applique concernant les traités commerciaux portés par l’UE, un autre volet qui éveille la colère des éleveurs.
Définir des règles du jeu loyales
L’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, signé en juin 2022, n’en est qu’un parmi tant d’autres dans la pile en projet. Certes, seule la viande dite "haut de gamme avec pâturage exclusif" est autorisée à l’importation sur le sol européen, mais cette première avancée est loin d’être suffisante aux yeux des éleveurs. Interrogée à ce sujet, Brigitte Misonne, pour le compte de la Commission européenne, ne préfère pas s’avancer sur des garanties de clauses dans les traités à venir. « L’accord avec la Nouvelle-Zélande est un résultat concret, et il est censé être la référence pour les futurs accords », explique la cheffe d’unité à la direction générale de l’Agriculture.
D’ici à 2050, « il faudra nourrir neuf à dix milliards d’êtres humains sur Terre dans un contexte de dérèglement climatique. Et avec la pression foncière, on s’oriente plutôt vers un accroissement des échanges », reprend Marc Fesneau. Pour chaque futur accord, il s'agira de se questionner sur « les clauses de réciprocité qui viendront conforter notre modèle plutôt que de l'impacter. Et de définir les mesures à mettre en place pour éviter de soumettre nos productions à toute concurrence déloyale », résume-t-il.
« Nous le devons aux agriculteurs européens, mais aussi aux consommateurs très exigeants à notre égard », reprend Christiane Lambert.
La FNSEA et la FNB rebondissent par ailleurs sur les objectifs ambitieux annoncés dans le cadre du Green Deal. « À l’échelle européenne, les pays producteurs de viande bovine ont tout intérêt à adopter une posture d’ouverture vis-à-vis de ces grands principes, qui peuvent représenter une réelle opportunité », soulève Bruno Dufayet. À condition bien sûr que les produits importés hors des frontières communautaires remplissent aussi toutes les cases.
Sur le volet réglementaire, le chemin semble encore long avant l’inclusion systématique de réciprocité des normes de production. C'est une bataille culturelle à mener, impliquant une évolution des mentalités pour passer d'une approche "produit" à une approche raisonnée sur les modèles de production.
Face à la décapitalisation, la France est loin d’être un cas isolé
La fonte des cheptels, dont les effets se ressentent nettement depuis le début de l’année 2022, était à nouveau au cœur des échanges. En l’espace de six ans, la France a perdu 837 000 vaches allaitantes et laitières, et 27 % des exploitations de bovins ont disparu entre 2010 et 2020. « Paradoxalement, la consommation de bœuf est restée stable », pointe Bruno Dufayet, s’inquiétant de la forte progression des importations françaises. Chez nos voisins européens producteurs de viande bovine, venus témoigner, les mêmes préoccupations résonnent. En Belgique, Marianne Streel, présidente de la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA), s’inquiète d’une accélération de la décapitalisation du cheptel bovin de l’ordre de 4,5 %, contre 2 % les années précédentes. En Irlande, le recul des systèmes bovins viande, qui découle en partie de la conversion en faveur de l’élevage laitier, se poursuit. « Établi à 1 million de têtes il y a cinq ans, le cheptel allaitant irlandais s’est stabilisé à 900 000 têtes, et le gouvernement prévoit même une réduction à 600 000 têtes dans les années à venir », fait savoir Brendan Golden, de l’IFA.
En Pologne, la production de jeunes bovins recule désormais depuis deux ans, par manque de petits veaux à engraisser, le troupeau laitier se réduisant comme ailleurs dans l’UE. « En 2022, près de 250 000 veaux ont été importés. La demande des abattoirs est de plus en plus difficile à satisfaire », évoque Jerzy Wierzbicki, président de l’association polonaise des producteurs de bétail à viande. En Italie, ce sont 8 000 élevages de bovins viande qui ont cessé leur activité entre 2019 et 2021, d’après Franco Martini, président de l’organisation de producteurs Asprocarne Piemonte. Ce dernier alerte sur la disparition des petits élevages, au profit des plus grandes structures appartenant à des chaînes d’abattage.